Vingt ans après… L’euro, mousquetaire de l’Union

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

L’euro a déjà surmonté de rudes épreuves. Ses détracteurs, comme ses soutiens, continuent de tirer argument de cette construction originale.

Le 31 décembre 1998 à midi, nous étions nombreux dans les salles de marché à sabler le champagne. Les ministres des finances européens annonçaient les cours de conversion à l’euro des premières monnaies qui constitueraient la nouvelle zone monétaire le 1er janvier 1999. La Banque Centrale Européenne, qui avait pris ses quartiers à Francfort, devenait l’institut d’émission unique. Les pièces et les billets seraient dans nos portefeuilles en 2002. C’était l’aboutissement du long processus de mise en œuvre décidé à Maastricht. Vingt ans après, l’euro s’est affirmé dans le paysage monétaire mondial comme une monnaie de réserve à part entière. Pourtant la crise des dettes souveraines de 2011 a bien failli l’engloutir. Ainsi, cette histoire n’a pas éteint ni vraiment modifié le débat des origines entre détracteurs et supporters, chacun ayant pu se sentir conforté dans ses prédictions.

Parmi les plus fermes et les plus éminents critiques, le monétariste Milton Friedman ne concevait pas qu’une monnaie fiduciaire puisse durablement servir de référence unique à une union d’états indépendants et disparates. Autrement dit, pour s’imposer, une monnaie doit reposer sur un territoire donné, relativement homogène et jouissant d’une bonne flexibilité des prix, de la mobilité de l’emploi et s’appuyant sur une souveraineté politique capable d’organiser des transferts entre régions.

Difficile de ne pas considérer qu’on est resté sur sa faim
et que l’euro n’a pas tenu toutes ses promesses.

Du côté des supporters – dont je fais partie – l’euro est l’aboutissement de la construction du marché unique européen par la disparition des coûts de transaction et des incertitudes liées à la fluctuation des changes. Face à l’effondrement du système de Bretton Woods, et au lendemain de la crise de 1992, l’euro répondait au besoin de stabiliser les échanges et offrait un territoire élargi de libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux.

Cela en valait-il la peine? L’euro s’est immédiatement imposé comme la deuxième devise de réserve du monde après le dollar, mais à hauteur d’environ 20% contre plus de 60% pour le dollar. 340 millions d’européens l’utilisent et une très large majorité des citoyens y est attachée. On l’a vu, sortir de l’euro n’est pas un slogan électoral porteur. Lors de la crise de 2011, les Etat membres ont mis en place le Mécanisme Européen de Stabilité, tandis que la Banque Centrale Européenne participait, par une intervention massive, au rétablissement de la confiance et au soutien du système financier.

Difficile de ne pas considérer qu’on est resté sur sa faim et que l’euro n’a pas tenu toutes ses promesses. Sur le plan intérieur, la convergence budgétaire est restée au mieux balbutiante avant la crise, contraignante sans contrepartie depuis. Pour un temps, l’euro a fait disparaître les différences de rémunération des dettes à l’intérieur de la zone, créant pour certains un formidable appel à l’endettement. Depuis la crise et le retour brutal à la réalité, le fossé économique s’est creusé entre le nord et le sud de l’Europe. Pour certains, comme la Grèce, le poids de la dette est devenu insoutenable. D’autres, comme la France, continuent de profiter du meilleur des deux mondes (marge de tolérance budgétaire et financement à bas coût de sa dette), mais au détriment de sa capacité d’influence. La crise de 2008 semble avoir sonné le glas du rattrapage économique. Les divergences des taux de chômage se sont accrues. Même en progression depuis la crise, la mobilité intra-européenne reste inférieure à celle des Etats-Unis. Plus encore, les écarts de revenu par habitant se creusant, cela a favorisé l’arrivée au pouvoir de gouvernements populistes. L’absence de réformes – d’autant plus douloureuses que les compensations sont maigres – accroit l’hostilité des européens à l’égard des «technocrates de Bruxelles». J’ajouterai que dans la construction européenne, l’Etat-nation qui en demeure le pilier a montré ses limites: l’accroissement des échanges transfrontaliers que permettait l’euro (dans tous les domaines économiques) a été freiné par la prévalence de la règle nationale.

Il importe aujourd’hui de s’engager
sur la voie de résolutions fermes.

Alors ressurgissent les même questions: fallait-il faire l’euro? Était-ce trop tôt? Ces interrogations sont à mon sens dépassées. Il importe aujourd’hui de s’engager sur la voie de résolutions fermes. Elles sont connues et passent entre autres par le renforcement du Pacte de Stabilité budgétaire et des mécanismes qui lui sont attachés. Mais peut-on se contenter de solutions si technocratiques, et pour tout dire bien trop absconses pour les citoyens européens? Aller de l’avant c’est aussi reprendre le projet européen où le transfert de compétences s’accompagne d’une translation des représentations des peuples.

L’euro mérite des institutions représentatives investies d’un pouvoir budgétaire et législatif réel. Les Etats seraient alors représentés au sein d’une seconde assemblée, créant ainsi un pouvoir bicaméral contrebalançant l’exécutif européen. Face à la tentation du repli national, retrouver le chemin de l’adhésion des citoyens au projet européen, implique le renforcement des pouvoirs représentatifs de l’Union. Ceci répondra plus à leurs aspirations que ne le prétendent ceux qui restent accrochés à leurs privilèges nationaux.

A lire aussi...