Les développements obligataires récents préfigurent-ils la mise en place d’un engrenage néfaste inévitable? Il vaut la peine de se poser la question!
En cette année 2022, déjà si particulière sur les marchés financiers, nous avons tous assisté à l’émergence d’un «violent» marché baissier sur les actifs obligataires. Certes, on peut aussi défendre que les actions sont entrées dans un bear market, pas tant au niveau des indices globaux que sur le front de certains secteurs de la cote; cependant, une telle conclusion demeure moins claire pour les actions que pour les obligations.
Dans un monde où l’interrogation majeure qui assaille les opérateurs est celle relative à l’inflation, il n’est pas illogique que le prix des actifs à revenus fixes subisse une pression baissière forte. D’abord parce que le changement d’environnement sur le front de la hausse générale des prix est radical par rapport à la décennie pré-covid qui avait été largement marquée par la menace «déflationniste»; la crise sanitaire et la guerre en Ukraine sont passées par là, avec leur lot de perturbations sur les chaînes d’approvisionnement et les volontés exprimées de favoriser une relocalisation de certaines productions. Ensuite, il y a bien évidemment l’affirmation de la nécessité d’accélérer la transition énergétique pour affronter les défis du réchauffement climatique qui nécessite des investissements importants; ceux-ci vont tendre mécaniquement à accroître le coût de l’énergie dans une optique à long terme. A cet égard, la guerre en Ukraine a certainement conduit à des changements (temporaires) néfastes dans la perspective de la réduction des émissions de CO2 - comme le recours au charbon par exemple - mais elle a surtout mis en exergue la nécessité de réduire la dépendance géostratégique aux énergies fossiles. Enfin, les opérateurs de marché ont peut-être intégré que les conséquences de l’agression russe en Ukraine ne resteront pas cantonnées au court terme; désormais, nul ne peut éviter de réfléchir à la question de l’architecture des relations internationales qui émergera de cette guerre. Penser que cette dernière porte en elle la fin de la globalisation «heureuse» des 30 dernières années est tout à fait légitime; une évolution qui incite nécessairement à s’interroger sur ses conséquences inflationnistes en raison de la chute des échanges internationaux ou encore des dépenses «non productives» - comme l’armement par exemple - qu’elle implique. Penser un monde qui fera la part belle aux blocs militaires, économiques et monétaires n’est pas sans conséquences pour le paysage inflationniste à moyen terme. En un mot comme en cent, que les opérateurs se désengagent des investissements obligataires ne devrait pas être une surprise, ce qui justifie a posteriori les recommandations de prudence à leur égard que nous avons pu émettre au cours des derniers trimestres.
L’ampleur de la correction obligataire depuis le début de l’année peut surprendre mais certainement pas le mouvement général de hausse des rendements auquel nous avons été confrontés, dans le sillage de chiffres d’inflation qui démontrent que les banquiers centraux ont mésestimé le risque de hausse des prix.
Les grands argentiers sont à la manœuvre et chacun est en droit de croire ou non à la capacité qu’ils auront de ramener la hausse des prix à des niveaux plus raisonnables. Seul le temps le dira. Cependant, il est tout de même étonnant d’observer l’ampleur des mouvements erratiques sur les rendements obligataires à 10 ans, particulièrement aux Etats-Unis, depuis quelques semaines.
La rapidité avec laquelle ces derniers se sont approchés de la barrière des 3% est «impressionnante»; de même, voir les taux réels sur les mêmes maturités flirter avec niveaux positifs ne peut pas laisser indifférent. Certains semble y voir la preuve que les marchés obligataires sont désormais les victimes d’une perte de liquidité, ce qui n’est jamais une bonne chose pour un fonctionnement «harmonieux» des marchés financiers dans leur ensemble.
Si l’on se remémore la séquence qui entoure le déclenchement des hostilités en Ukraine le 24 février, un des facteurs sur lequel nous avons tous porté notre attention était sans nul doute celui de l’identification de signes qui pouvaient conduire à considérer qu’un risque systémique était désormais présent.
En apportant une réponse négative à cette interrogation, le choix de ne pas altérer les orientations générales d’une allocation d’actifs pouvait se justifier, en évitant ainsi de vendre au plus mauvais moment sur le marché des actions en particulier.
Dans un tel contexte, il faut rester en alerte pour identifier des signes qui devraient conduire à revoir son jugement; à cet égard, les développements susmentionnés sur les marchés obligataires les plus liquides nous interpellent. Sans avoir de réponse péremptoire sur la question pour l’instant, il faut bien reconnaître que le franchissement rapide de la barre des 2.50% sur le 10 ans américain, puis l’enfoncement de celle des 2.75% qui a suivi, ne semblent pas avoir été en mesure de susciter le moindre intérêt de la part des investisseurs. Nous flirtons désormais avec les 3%. Cette barrière résistera-t-elle davantage aux pressions vendeuses qui dominent le marché obligataire ou «l’illiquité» constituera-t-elle à saper le mécanisme de recherche d’un niveau d’équilibre plus stable sur les actifs obligataires les plus sûrs?
La mécanique d’un choc réel conduisant à des chocs de liquidités puis de crédit est un scénario qui ne peut que rappeler de mauvais souvenirs à chacun d’entre nous, à l’image de la crise de 2008 ou de celle liée à l’émergence de la covid-19; c’est d’autant plus vrai que la marge de manœuvre des banquiers centraux apparaît aujourd’hui plus limitée que dans le passé récent, pour faire face à la survenance d’une telle éventualité. Dès lors, les développements obligataires récents préfigurent-ils la mise en place d’un engrenage néfaste inévitable? Il vaut la peine de se poser la question!