Economie mondiale: le temps des troubles est-il venu?

François Savary, Prime Partners

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Partir du principe que le pire est nécessairement probable ne suffit pas.  Il faut juste reconnaître la difficulté d’y voir clair dans un contexte avant tout marqué par de nombreuses inconnues.

En envahissant l’Ukraine le 24 février, V. Poutine a, parmi tant d’effets dévastateurs, favorisé le retour du temps des troubles pour l’économie mondiale. Alors que les chiffres publiés jusque là laissaient entrevoir une activité globale de bonne facture dans les diverses régions du monde en 2022, le maître du Kremlin a semé le doute sur les développements conjoncturels à venir, favorisant un retour sur le devant de la scène de la macroéconomie comme un déterminant majeur du comportement des actifs financiers. 

Les mouvements erratiques de ceux-ci au cours des quatre dernières semaines sont à l’image de la difficulté des opérateurs à se faire une idée sur l’évolution de la conjoncture à court terme d’une part mais également sur les contours d’un ordre économique mondiale qui ne manquera pas d’émerger à moyen terme de l’autre. Rarement depuis quarante ans, la visibilité économique n’avait été aussi trouble! 

Difficile dans un tel contexte de ne pas se faire peur, d’autant plus lorsque le prix du baril grimpe soudainement à USD 135 le baril comme il y a tout juste deux semaines. Au demeurant, le retour des prix de ce dernier sous la barre des USD 100, la semaine dernière, démontre toute la difficulté de faire des prévisions économiques dans un contexte aussi chahuté. 

Le risque de récession doit nécessairement être revu à la hausse.

Certes, le risque d’une stagflation a augmenté depuis un mois. De la même manière, celui d’une récession doit nécessairement être revu à la hausse. On peut même penser qu’au plus fort de la baisse des marchés des dernières semaines, les opérateurs en étaient venus à faire de la récession un scénario largement probable, particulièrement en Europe. 

Le choc de l’invasion ukrainienne est certes profond et sa réalité malheureusement incontestable, ce qui doit inciter à la prudence dans les prévisions économiques; en revanche, il faut aussi savoir reconnaître que le pessimisme absolu est une option dangereuse au regard des nombreuses variables mouvantes qu’il faut intégrer dans l’équation. L’exemple des mouvements erratiques des prix du pétrole mentionné ci-dessus - qui pourrait d’ailleurs être étendu à l’ensemble de la sphère énergétique - n’est pas unique. Une solution diplomatique à la crise dans un délai relativement bref est-elle à écarter? La réponse est loin d’être aisée, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit forcément positive. V. Poutine peut-il encore faire escalader le conflit, après avoir brandi la menace nucléaire au début de son agression, ou va-t-on «simplement» au-devant d’un conflit localisé, long et de tranchées? 

L’Europe qui a affiché une union «étonnante» dans la gestion de la crise va-t-elle se donner les moyens financiers de sa stratégie d’indépendance énergétique et de sa volonté de défense commune? Cela ne serait pas sans conséquences sur le plan budgétaire et pourrait renforcer les émissions obligataires communes initiées dans le sillage de la crise de la covid-19. D’une manière générale, l’activisme budgétaire européen est en train de se renforcer et il peut être un support important pour éviter les pires scénarios économiques à brève échéance, dans le cadre d’une politique de sauvegarde du pouvoir d’achat qui est une préoccupation chaque jour plus évidente. Les politiques monétaires peuvent-elles ignorer les développements géopolitiques et continuer sur la voie qui se dessinait il y a un peu plus d’un mois? Les décisions récentes de la Réserve Fédérale et les déclarations des membres du Conseil de la BCE semblent aller dans ce sens. Le chemin ainsi tracé est-il immuable? Rien n’est certain, d’autant plus si le prix des matières premières se stabilisent à des niveaux élevés mais évitent de se rapprocher des hauts observés dans le sillage immédiat de l’entrée des troupes russes en Ukraine. 

Un monde de blocs dissociés nettement moins globalisé sur le plan des flux humains, économiques et financiers n’est pas une hypothèse absurde.

On pourrait poursuivre l’énoncé des inconnues qui jalonnent désormais la route du cycle économique mondial. Cela ne ferait que renforcer le sentiment de trouble - au sens d’éléments obscurs et équivoques - qui assaille le jugement de tout un chacun dans la détermination d’un scénario économique et financier.
Et encore, c’est sans compter sur les interrogations relatives au nouvel ordre mondial qui ne manquera pas d’émerger à l’issue de cette guerre. Un monde de blocs dissociés nettement moins globalisé sur le plan des flux humains, économiques et financiers n’est pas une hypothèse absurde. Un tel environnement sera-t-il plus inflationniste que celui que nous avons connu depuis 40 ans? Vraisemblablement. Sera-t-il marqué par moins de croissance? Pas forcément mais la répartition de cette dernière pourrait être durablement affectée, ne serait-ce qu’en raison de la volonté affichée de renforcer le mouvement de «régionalisation» des chaînes de production que la crise de la covid-19 avait déjà remis sur le devant de la scène. 

Le «temps des troubles» et ses faux tsars est l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la Russie avec son lot de drames humains. L’économie mondiale est aujourd’hui confrontée à des troubles, qui sont de nature différente : nous sommes face à un manque de visibilité évident qui rend difficile la détermination d’une perspective économique tant à court qu’à moyen terme. 

Certes, bien des choses sont rebattues par rapport à ce que l’on pouvait considérer comme probable en début d’année. En revanche, partir du principe que le pire est nécessairement probable n’est pas plus sensé que de reconnaître la difficulté d’y voir clair dans un contexte qui est avant tout marqué par de nombreuses inconnues.  

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