Si la politique monétaire peut être efficace pour contrer une progression excessive et généralisée des prix, son efficacité est très limitée dans le cas d’un choc d’offre.
Le début d’année sur les marchés financiers nous a gratifié d’un retour rapide et violent de la volatilité. Il est vrai qu’entre la crise ukrainienne et le virage à 180 degrés des banquiers centraux – la BCE se joignant depuis quelques semaines au concert des déclarations sur l’opportunité de changer de cap plus rapidement qu’envisagé – les conditions sont peu propices à un sentiment serein. Au demeurant, les réactions de la communauté financière à la publication des résultats des entreprises – qui ont été dans l’ensemble de bonne qualité – est révélatrice d’un changement d’attitude; ainsi, les bonnes surprises passent relativement inaperçues tandis que les mauvaises sont fortement sanctionnées. Certains diront que «l’espoir» a changé de camp et que les pessimistes ont désormais le vent en poupe mais, d’une manière générale, nous sommes confrontés à un phénomène normal de retour à la réalité sur des évaluations qui, dans bien des cas, étaient trop onéreuses!
On sent bien que la question de la croissance, tant économique que bénéficiaire, pointe progressivement le bout de son nez dans les interrogations qui animent les investisseurs. Il est vrai que ceux-ci ont de quoi s’inquiéter des effets pervers que peuvent induire la politique monétaire – la célèbre funeste erreur de politique macroéconomique dont nous parlons depuis quelques mois – ou la géopolitique (facteur énergétique) sur la croissance mondiale au cours des prochains trimestres, En outre, cela s’inscrit dans un contexte où les images en provenance de Hong Kong où l’arrivée de la souche Omicron montre les dangers de la stratégie zéro covid face à un virus nettement plus virulent que les précédents! De quoi, pousser les opérateurs de marché à s’interroger sur les dangers de voir les goulets d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement se maintenir au-delà de quelques mois.
En un mot comme en cent, nous voilà confrontés à un contexte global très incertain qui légitimise largement le regain de volatilité des deux derniers mois.
De nombreux investisseurs s’étaient préparés à une influence marquée d’un changement de cap monétaire qui était devenu inévitable depuis le dernier trimestre 2021. De là à voir un consensus se former, en quelques semaines, sur la perspective de 5 voire 6 hausses de taux d’intérêt aux Etats-Unis en 2022, il faut bien reconnaître qu’il y a un pas que nous n’aurions pas franchi en début d’année. Un ajustement aussi rapide, dans un contexte où la réduction de la taille du bilan est une hypothèse qui vient encore ajouter aux interrogations sur l’ampleur de la normalisation monétaire que la Réserve Fédérale serait encline à engager au cours des prochains trimestres, ne peut que conduire à se demander si la croissance bénéficiaire est en mesure de résister. Voir une contraction des multiples de valorisation est un phénomène «logique» dans le contexte d’un changement d’orientation de la politique monétaire et nous étions largement conscients de ce risque après la publication des Minutes de la Fed au début du mois de janvier. Entendre, quelques semaines plus tard, J. Powell sous-entendre que la contraction des conditions financières serait une variable d’ajustement dans le cadre de la gestion de la politique des grands argentiers américains n’était pas totalement surprenant, mais ces propos n’ont rien fait pour calmer les marchés financiers.
Nous avons plusieurs fois mentionné que l’inflation serait une question cruciale en 2022 et que les perspectives pour les marchés financiers en étaient fortement dépendantes. Nous avons aussi défendu l’idée qu’une normalisation de la hausse des prix était envisageable à la fin du premier trimestre. Il importe donc toujours de porter une attention particulière aux données relatives au prix. Sans la matérialisation d’un reflux de l’inflation dès le second trimestre, les scénarios les plus pessimistes sur le resserrement monétaire pourraient-ils se concrétiser avec leur lot de conséquences inévitables pour la croissance économique et bénéficiaire dès la fin de l’année 2022? Au regard des développements récents sur les marchés on ne peut pas éviter de se poser la question!
On peut accuser les autorités monétaires de bien des maux dans la gestion de leur politique mais c’est peut-être oublier que depuis deux ans les grands argentiers ont dû répondre aux demandes des autorités politiques – à l’image du fameux «quoiqu’il en coûte» du Président français par exemple, Chacun doit se demander à quelle situation économique nous serions confrontés aujourd’hui sans une action coordonnée des politiques macroéconomiques pour conter les effets d’une crise sanitaire sans réel précédent. A contrario, on peut s’interroger sur la validité des arguments de la théorie monétaire moderne qui avait le vent en poupe dans le sillage de la pandémie et qui est désormais confrontée à la réalité de ses limites!
On pourra aussi déplorer que les responsables monétaires aient laisser l’inflation filer et se soient trop longtemps cramponnés à l’idée que celle-ci était transitoire. C’est vraisemblable mais il ne faut pas ignorer que la hausse des prix est indéniablement liée à des phénomènes d’offre qui sont difficilement appréhendables quant à leur caractère structurel.
La question de l’origine de l’inflation est d’ailleurs sujette à de nombreuses discussions… Une chose est relativement bien établie: si la politique monétaire peut être efficace pour contrer une progression excessive et généralisée des prix dont l’origine est du côté de la demande, son efficacité est très limitée dans le cas d’un choc d’offre.
Une autre manière de dire que la surutilisation de l’instrument des taux pour contrer une inflation liée à l’offre est peut-être le meilleur moyen de favoriser une évolution nocive de la conjoncture. Les opérateurs sont-ils en train de se rendre à cette évidence, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour les marchés financiers au cours des prochains mois?
Le contexte particulier que la situation géopolitique nous impose rend la réponse à cette question malaisée non seulement pour les investisseurs mais aussi pour les grands argentiers. Devons-nous désormais intégrer dans nos perspectives un fléchissement marqué de la croissance bénéficiaire qui rend un rebond des bourses illusoire?