Une Chine méthodique, pas chaotique

Alain Barbezat, BCV

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L’origine des récents événements boursiers remonte à 2016, à une politique visant à réduire la dépendance de Pékin à l’Occident. Quelques clés de lecture de la situation en Chine.

Crise énergétique, affaire Evergrande, mise au pas des géants technologiques, ralentissement économique, etc. Comment comprendre ce qui se passe actuellement en Chine? Joseph Schumpeter avait coutume de dire que trois éléments étaient nécessaires à la croissance économique: un système monétaire sain afin de permettre le libre-échange, un système financier efficace afin de garantir le financement des bons investissements et l’abandon des mauvais, et un système qui laisse libre cours à la «destruction créative», interdisant les monopoles. Et si la politique de prospérité commune imposée par Xi Jinping visait à réunir ces trois conditions à la croissance? Autrement dit: et si l'image d’un Xi, aspirant de Mao Zedong, dictateur ne tolérant aucune dissidence et menant le pays à sa perte, était trop simpliste?

Changements prévisibles

Certes, l’économie chinoise est en perte de vitesse, mais la baisse de régime de la croissance n'est pas une surprise. Elle remonte à 2016, lorsque Xi a insinué l’idée d’un abandon de la poursuite du progrès matériel au profit d'objectifs plus larges. La débâcle du groupe immobilier Evergrande, ainsi que les mesures de répression prises à l'encontre d'Alibaba, de Didi et des autres géants d’internet, ne fait que confirmer que l'époque est désormais révolue, où le modèle économique par défaut est la croissance à tout prix, amenant une course insensée des entreprises au statut de «too big to fail». 

Pékin a été forcé à se confronter à ses faiblesses: sa dépendance vis-à-vis des semi-conducteurs, de l’énergie étrangère et du dollar américain.

La situation actuelle découle en outre de l’agression, en 2019, de Huawei par Washington – interdiction de se fournir en matériaux, donc en semi-conducteurs, qu’ils soient manufacturés aux Etats-Unis ou produits avec des machines d’origine américaine. Cette crise a accentué une tendance sous-jacente et obligé Pékin à se confronter à ses faiblesses: sa dépendance vis-à-vis des semi-conducteurs, de l’énergie étrangère et du dollar américain. Elle tente aujourd’hui d’inverser la donne.

Indépendance technologique

La Chine dépense plus en importation de semi-conducteurs qu'elle ne dépense en importation de tout autre produit. Vu sous cet angle, la répression de Pékin à l'encontre du secteur internet chinois commence à prendre du sens. Elle vise à «encourager» les entreprises technologiques à participer au service national en redirigeant leurs efforts de développement vers des technologies stratégiques tels que les semi-conducteurs et les énergies renouvelables, non plus vers les plateformes internet.  

Diversification énergétique

L’importation du pétrole brut par voie maritime constitue la deuxième vulnérabilité de l’économie chinoise. Pour remédier à cette situation, la Chine implémente des stratégies pour s'éloigner le plus rapidement possible des énergies fossiles. D'où l'adoption massive des véhicules électriques et l'engagement d'atteindre le pic carbone d'ici à 2030. Cela peut paraître un objectif ambitieux (tout autant que ceux d’autres pays), mais souvenez-vous que les dirigeants chinois ont pour habitude de dire ce qu'ils font et de faire ce qu'ils disent. Il en résulte des résultats certes parfois chaotiques – à l’image de ce qui se passe, en ce moment, sur les valeurs internet en bourse –, mais surtout rapides et tangibles.

Parallèlement à ce virage «vert», la Chine poursuit une stratégie d’approvisionnement en pétrole brut terrestre, par opposition aux voies maritimes contrôlées par la marine américaine. C’est la raison principale du renforcement du rapprochement avec la Russie ces dix dernières années. Cette évolution a sans nul doute été accentuée par l'attitude de plus en plus hostile à l’égard de Pékin des pays occidentaux, et des États-Unis en particulier. Plus globalement, l’intensification des relations entre la Chine et la Russie est susceptible de redéfinir la structure du commerce mondial et de modifier l'équilibre mondial du pouvoir économique et géopolitique.

Une devise fiable

Troisième faiblesse de Pékin à traiter: les devises. La Chine a pris des mesures pour réduire sa dépendance vis-à-vis du dollar américain, en fixant le prix des transactions pétrolières et gazières avec la Russie en monnaie locale et en lançant des contrats à terme sur le pétrole libellés en renminbi en 2018 déjà. Les mécanismes nécessaires à l’extension de ce type d’accords aux transactions avec le Venezuela, l'Iran voire le Qatar ou l'Arabie saoudite, sont également en place. Il ne reste plus à la Chine qu’à les activer. Le seul moyen pour Pékin de ne pas rester dépendants de la volonté – ou de la capacité – des banques occidentales à financer son commerce est d'essayer de transformer le renminbi en une monnaie commerciale et de réserve crédible. Ce qui peut expliquer pourquoi les responsables politiques chinois sont restés, dans l'ensemble, les bras croisés, alors que l'Occident adoptait des politiques monétaires et fiscales d’une ampleur sans précédent pour lutter contre la crise sanitaire. D’où aussi la résilience du marché obligataire chinois alors que les marchés des actions étaient à la peine. 

Les marchés chinois et émergents semblent aujourd’hui survendus et la probabilité d’un rebond à court terme s’accroît.

L’affaire Evergrande peut aussi être appréhendée sous l’angle monétaire. Pékin avait le choix: lancer un plan de sauvetage massif ou laisser le mécanisme de destruction créative opérer, ne serait-ce que pour encourager les acteurs les plus faibles à mettre de l'ordre dans leurs finances tant qu’ils le peuvent. Par le passé, la Chine a eu tendance à privilégier la première solution. Poussant ainsi les entreprises chinoises à investir non pas pour des raisons de rentabilité, mais pour atteindre une taille garante de survie lors de la prochaine crise. Or, sous Xi Jinping, les temps ont changé. Désormais, la Chine a besoin d'une monnaie forte et d'un marché obligataire stable. Des renflouements répétés porteraient atteinte à la crédibilité que la Chine s'efforce d'obtenir.

Ambitions internationales

La Chine introduit par ailleurs une version numérique du renminbi. Elle est l’une des nations les plus avancées dans les projets de création de monnaie nationale digitale. Les responsables soulignent que les principaux objectifs du projet sont nationaux, mais ils nourrissent également des ambitions internationales pour leur monnaie numérique. Facile d’utilisation, sans frais, non lié au système financier mondial, l’e-yuan devrait devenir rien de moins que le moyen d'échange de facto pour la région asiatique, sapant le monopole que les États-Unis détiennent sur les paiements électroniques grâce à la domination du dollar américain, du système SWIFT et des systèmes de paiement par carte de crédit.

Pékin a-t-il aussi réalisé que le modèle économique «too big to fail» pouvait perturber l'harmonie sociale ou la prospérité commune? Si ce concept n’a encore fait l’objet d’aucune directive de parti ni d'objectifs politiques définis, il prend les allures de moyen de communication pour un gouvernement chinois qui tient à souligner les différences d’élaboration des politiques en Chine et en Occident. En mettant en avant un désir de prospérité commune, la Chine souligne délibérément ce qui semble manquer à l'Occident aujourd'hui. Car ce ne sont pas les grands de ce monde qu’elle cherche à convaincre de régler leur commerce extérieur en renminbi. Son objectif est plutôt de persuader les autres pays émergents, le reste de l’Asie avant tout, que l'économie chinoise repose sur des bases solides.

Ainsi, d’apparence chaotique, la politique de Xi Jinping devient méthodique. Les marchés chinois et émergents semblent aujourd’hui survendus et la probabilité d’un rebond à court terme s’accroît. A moyen terme, soit ces six à neuf prochains mois, une certaine volatilité devrait cependant perdurer, le temps que les investisseurs digèrent et prennent la pleine mesure des événements récents sur un marché devenu beaucoup trop important pour être ignoré dans les portefeuilles.

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