Un seul moteur pour voler

Florian Marini, Bruellan

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La progression soutenue des actifs risqués s’explique par une économie qui s'est montrée plus résiliente que prévu, mais aussi, et surtout, le recul de l'inflation.

Pour les investisseurs, ce début d’année a été caractérisé par des perspectives économiques majoritairement négatives et un sentiment baissier à l'égard des actifs risqués. Partant, l'exposition des portefeuilles est sensiblement moindre que ne le prévoit la tolérance au risque habituellement acceptée. Une configuration qui nous renvoie aux propos de Peter Lynch: «Les investisseurs ont perdu beaucoup plus d'argent en essayant d'anticiper les corrections qu'ils n'en ont perdu dans les corrections elles-mêmes».

Diverses problématiques contribuent à cette nervosité ambiante, notamment l'incertitude géopolitique accrue, la crise énergétique, une activité économique ralentie, la faible croissance des bénéfices, une crise bancaire, la vulnérabilité grandissante du secteur de l'immobilier commercial et la récente saga autour du plafond de la dette américaine. Dans ce contexte, on est en droit de se demander pourquoi les marchés boursiers continuent de monter.

De notre point de vue, la progression soutenue des actifs risqués s’explique par une économie qui s'est montrée plus résiliente que prévu, mais aussi, et surtout, le recul de l'inflation. Ces éléments, conjugués au changement de rhétorique des banques centrales et à l'anticipation d'une baisse des taux d'intérêt l’an prochain, induisent un environnement propice aux actifs à risque. Nous voyons cet environnement favorable perdurer, malgré un paysage économique et géopolitique compliqué.

Depuis le début de l'année, la conjoncture mondiale a continué à se renforcer mois après mois, bien que portée par un seul moteur (graphique 1). L'activité manufacturière reste relativement faible sur le plan global, avec par ailleurs une dispersion importante entre les régions. La plupart des pays européens sont en territoire récessionniste d’après les indices PMI manufacturiers, tandis que l'Amérique du Nord est plutôt stable et l’Asie majoritairement en expansion. En revanche, le secteur des services est partout florissant, 90% des pays connaissant une forte expansion à en croire les indices PMI des services. L'atonie de l'activité, en particulier en Europe, devrait être atténuée par une reprise post-Covid en Chine.

Graphique 1: Global PMIs

L'activité manufacturière est en berne alors que le secteur des services est en plein boom

Source: Bloomberg / JPMorgan

L'inflation des prix à la consommation et à la production affiche un recul marqué dans toutes les régions. Les États-Unis et l'Asie sont aux avant-postes de cette tendance, suivis avec retard par l'Europe. Il est à noter que l'indice chinois des prix à la consommation (IPC) est resté à un niveau anémique de 0,1%, tandis que celui des prix à la production (IPP) s’est inscrit en territoire déflationniste tout au long de l'année. En Europe, la dispersion est notable, avec par exemple un IPC de 7,6% en Italie de 3,2% en Espagne.

Dans l'ensemble, toutes les composantes de l'inflation, hormis les services, ont contribué à la baisse. Les prix des services sont l’élément le plus lent et le plus persistant de l'inflation, mais des premiers signes de repli y apparaissent aussi, en particulier dans les deux principaux segments que sont le logement et les salaires. Nous anticipons donc une poursuite de la tendance désinflationniste au cours des prochains trimestres, avec des implications positives pour les décisions de politique monétaire.

A mesure que s’atténue l’inflation, les attentes concernant la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) des 12 prochains mois sont d’ailleurs passées d'un resserrement à une posture plus accommodante, soit le fameux «pivot de la Fed». Vu le retard accusé en matière d'inflation, la Banque centrale européenne ne devrait entreprendre ce virage avec quelques mois de retard. Quant à la Banque populaire de Chine (PBOC), l'absence totale de pressions inflationnistes domestiques lui laisse le champ libre pour adopter des politiques monétaires très accommodantes.

S’agissant des risques économiques susmentionnés (la crise bancaire par exemple), même s'ils ne sont pas voués à disparaître, ils semblent être bien gérés à ce stade. L’important à nos yeux, c'est l’absence de signes évidents de propagation de ces risques vers ou au sein des classes d'actifs.

Les bénéfices des entreprises ont fait preuve d'une résilience remarquable, les attentes de bénéfices par action (BPA) à horizon 12 mois affichant une tendance positive au cours des derniers mois. Après une période d'affaiblissement entre juin 2022 et février 2023, leur trajectoire est redevenue haussière, surtout aux États-Unis. L'Europe, quant à elle, a connu une dynamique plus forte encore, les prévisions de BPA atteignant de nouveaux records historiques. Cette dynamique positive pourrait à l’avenir se heurter à des difficultés liées à l'érosion potentielle des marges, avec des entreprises éprouvant des difficultés à relever leurs prix alors que les salaires restent relativement fermes. D'autres entreprises sont aux prises avec des bénéfices stagnants, en raison de stocks élevés par rapport au plus faible niveau des nouvelles commandes.

En conclusion, les défis économiques et politiques ne se dissiperont pas facilement, induisant un environnement complexe pour les investisseurs. Cela dit, la dynamique de marché devrait être alimentée par deux facteurs clés: le recul de l'inflation et une rhétorique des banques centrales évoluant vers une posture plus accommodante. Et si la faible croissance bénéficiaire prévue risque de poser souci, l'impact positif potentiel d'un taux d'actualisation moindre pourrait contribuer à stimuler la performance des marchés. Ainsi, nous estimons que les actifs risqués, en particulier les actions, conserveront leur attrait tout au long de l'année 2023, reflétant un certain degré de résilience dans un contexte compliqué.

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