Un prisme réellement durable

Jean-Charles Belvo & Joëlle Amram, J. Safra Sarasin Sustainable Asset Management

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Aligner ses investissements aux grands défis sociaux et environnementaux par le biais des Objectifs de Développement Durable (ODD).

©Keystone

La progression observée durant la dernière décennie vers la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) définis par les Nations unies a subi un fort ralentissement depuis 2020. Sous le coup de crises majeures telles que la pandémie de la COVID-19 ou plus récemment le conflit russo-ukrainien, l’économie mondiale a été lourdement déstabilisée. En particulier, les chaines d’approvisionnement ont perdu en robustesse dans plusieurs domaines clés comme les semi-conducteurs ou le fret maritime et terrestre. Entravant ainsi la croissance économique mondiale, ces problèmes complexes mêlant production et logistique ont pour conséquence une prise de retard dramatique, voire même une détérioration, dans l’atteinte des ODD fixés à 2030.

Les conséquences négatives de la pandémie et du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale sont un des sujets les plus préoccupants du moment. Cela touche potentiellement à la survie de centaines de millions de personnes à travers le monde et aux deux premiers objectifs, ODD 1 «Pas de Pauvreté» et ODD 2 «Faim Zéro». L'ONU estime qu'un quart de milliard de personnes pourraient être plongées dans l'extrême pauvreté cette année, à cause des conséquences du conflit en Ukraine. Selon le Programme Alimentaire Mondial, 323 millions de personnes se dirigent vers la famine, soit plus de 4 fois le niveau de 2017.

La Russie et l’Ukraine sont d’importants exportateurs de céréales, exportent 30% de l'offre mondiale de blé. Pour donner un ordre de grandeur, l’Ukraine a permis de nourrir, à elle seule, 4001 millions de personnes dans le monde en 2021. Nous constatons aujourd’hui que les pays du Moyen-Orient sont particulièrement affectés par les difficultés d’approvisionnement et la forte hausse des prix mondiaux des denrées alimentaires qui résulte de la crise actuelle. Plus précisément, l’Egypte et ses 100 millions d’habitants dépendent pour les trois quarts de son blé de la Russie ou de l’Ukraine. Des mesures d’urgence, destinées à assurer la sécurité alimentaire mondiale à court terme, seront nécessaires, comme celles qui ont été débattues récemment au sommet du G7 consacré au conflit.

Cette crise alimentaire met en lumière les grands défis à moyen et long terme, auxquels notre système alimentaire mondial, est confronté. Avant même l’apparition du COVID-19, les changements climatiques ont commencé à mettre à mal les rendements agricoles dans de nombreuses régions, tandis que la demande en céréales croit structurellement sous l’effet de la hausse de la population et de la consommation de protéines animales. Le système alimentaire mondial est donc confronté à de multiples objectifs qui coexistent difficilement: assurer une alimentation abondante, saine, variée pour une population croissante, tout en protégeant le climat, la biodiversité et les ressources en eau.

La question se pose alors de savoir comment les investisseurs peuvent aligner leurs investissements à ces défis majeurs?

La stratégie vise à investir dans des entreprises offrant des produits et services qui contribuent positivement à la réalisation des ODD. Sur la question de l’amélioration de l’efficacité des systèmes alimentaires nous citerons en exemple DSM, une entreprise néerlandaise de la chimie de spécialité qui a annoncé récemment la fusion avec le leader suisse Firmenich, devient un spécialiste des ingrédients au service de marchés tels que la nutrition animale et humaine. Parmi son éventail d’innovations issues d’efforts de recherche et développement soutenus, DSM a développé la solution Bovaer, un additif pour l’alimentation bovine permettant de réduire de 30% l’émission de méthane des vaches laitières. C’est un gain significatif pour une industrie dont l’impact environnemental (carbone, eau, biodiversité) devient un sujet de plus en plus débattu et qui apporte une contribution matérielle à l’ODD 12 «Consommation Responsable» et ODD 13 «Lutte Contre le Changement Climatique».

En deuxième exemple, nous citerons Trimble, un leader mondial de la géolocalisation, qui, selon nous, peut également jouer un rôle de plus en plus important dans l’efficacité de la chaine alimentaire. Ses logiciels de géolocalisation et de guidage, adaptés au secteur agricole, permettent à la fois une plus grande automatisation de l’exploitation agricole ainsi que de meilleurs choix dans la gestion des surfaces et l’utilisation d’intrants agricoles. Dans ce contexte, nous estimons que les solutions de Trimble jouent un rôle précieux dans l’atteinte des objectifs ODD 2 «Faim Zéro» et ODD 15 «Vie Terrestre».

La première étape du processus consiste à définir l’univers d’investissement durable en découplant les 17 objectifs et leurs 169 cibles (sous-objectifs) en 90 produits et services pertinents pour les entreprises. Ceux-ci doivent apporter une contribution substantielle à l'amélioration des indicateurs sous-jacents aux différents objectifs sans causer de préjudice important aux autres objectifs. Ensuite, ces produits et services sont cartographiés et regroupés en quatre catégories que nous avons défini: deux à visée sociétale (besoins fondamentaux et habilitation des personnes) ainsi que deux à visée environnementale (préservation du capital naturel et transition énergétique).

Contribuer à la Planète et aux Citoyens

Source: Banque J. Safra Sarasin SA

 

La deuxième étape consiste à mesurer l'exposition d'une entreprise aux catégories et définir une contribution finale aux ODD. Pour chaque entreprise, le pourcentage des revenus générés par des produits et services qui soutiennent les ODD sont dans un premier temps identifiés à l’aide de fournisseurs de données externes. Puis, ce pourcentage du revenu total attribué est réexaminé par nos analystes en durabilité et nos gestionnaires de portefeuilles. Si nécessaire, ce pourcentage est ajusté sur la base d’informations complémentaires qu'ils ont pu obtenir par leurs analyses fondamentales ou par les dialogues avec les entreprises. Dans ce processus, une attention particulière est portée sur les développements de la taxonomie verte de l'UE car ces activités contribuent de manière substantielle aux objectifs climatiques et aux ODD correspondants.

Finalement, l’engagement et le vote par procuration, regroupés sous l’expression «actionnariat actif», sont des outils cruciaux pour les investisseurs durables qui espèrent infléchir le comportement des entreprises. Beaucoup de nos échanges passés avec les entreprises portaient déjà sur les enjeux sociaux et environnementaux ainsi que l’impact sur leur opération, mais plus récemment, nos dialogues ont évolué pour encourager d’avantage les entreprises à calculer et à divulguer leur impact sur les ODD.

 

1 Source: https://www.wfp.org/stories/war-ukraine-how-wfp-has-met-surging-food-needs-over-three-months

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