Trump vs Biden: quelle stratégie d’investissement?

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

5 minutes de lecture

Les deux candidats annoncés à la présidentielle américaine ont des programmes politiques et économiques qui divergent. Avec des conséquences possibles sur les performances boursières.

L'année 2024 est surnommée «The Super Election Year», avec pas moins de 64 pays concernés par au moins une élection majeure. Ainsi, près de 2 milliards d'électeurs, soit environ un quart de la population mondiale, devraient se rendre aux urnes cette année.


 

L'élection présidentielle américaine est probablement celle qui est la plus attendue et commentée, y compris sur les marchés financiers. De nombreux investisseurs et analystes observent attentivement les programmes économiques contrastés de Donald Trump et de Joe Biden. En effet, les décisions prises dans le bureau oval se répercutent sur l'économie mondiale, avec des conséquences majeures, que cela soit sur les prix de l'énergie, le domaine de la santé, le commerce international, le développement d’infrastructures ou encore la transition énergétique. A l’heure où nous écrivons ces lignes, cette élection reste extrêmement indécise. En effet, Le site de paris en ligne Predictit affiche des côtes quasiment égales pour les deux favoris (cf. ci-dessous). De plus, rien n’indique que Messieurs Trump et Biden seront les deux candidats à se présenter au mois de novembre. Il est également très difficile de connaître précisément les politiques qui devraient découler de l’élection du futur locataire du bureau oval.


 

Malgré ces perspectives très incertaines, il nous semble opportun d’analyser plusieurs scénarios et leurs impacts sur la performance des différentes classes d’actifs et secteurs. Aperçu ci-dessous.

L’hypothèse Trump

Une élection de Mr Trump à la maison blanche est désormais perçue comme l’hypothèse la plus probable par le monde des affaires et de la finance.

Avant de se lancer dans l'élaboration d'un «portefeuille Trump», il est impératif de comprendre la logique économique qui a défini le précédent mandat de Donald Trump et les promesses qui façonnent sa campagne actuelle. Le programme économique de M. Trump a toujours mis l'accent sur la déréglementation, la réduction des impôts et l'importance accordée aux industries nationales. Cette politique ä la fois ultra-libérale et protectionniste vise à stimuler la croissance économique en réduisant l'intervention de l'Etat et en créant un environnement favorable aux activités des entreprises. L'approche de M. Trump privilégie souvent la «vieille économie», telles que les énergies fossiles, au détriment de nouvelles industries (exemple:  les énergies renouvelables). En outre, l'une des marques de fabrique de son précédent mandat a été sa politique commerciale qui tendait vers le protectionnisme, en renégociant les accords commerciaux pour favoriser les entreprises américaines et en imposant des droits de douane pour protéger les industries nationales contre la concurrence étrangère.

La déréglementation potentielle du secteur de l'énergie sous une administration Trump pourrait se traduire par un assouplissement des normes environnementales et un élargissement de l'accès au forage et à l'exploitation minière; il ne s'agit pas là d'une question urgente pour les Etats-Unis, qui sont devenues en quelques années le plus grand producteur de pétrole au monde (sous l’administration Biden).

Une augmentation supplémentaire de la production d’or noir pourrait avoir un impact sur les prix de l’ensemble des énergies fossiles. Les entreprises actives dans l’intermédiation d’hydrocarbures  ainsi que les exportateurs de charbon et de gaz naturel pourraient en profiter. A noter que ces deux secteurs sont dans la ligne de mire de M. Biden (et pourraient donc souffrir en cas de réélection de ce dernier).

Production de pétrole brut par les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite


Source: Bloomberg

 


Le penchant de Trump pour la déréglementation s'étend également au secteur financier. Un assouplissement potentiel des réglementations imposées par la loi Dodd-Frank pourrait créer un environnement plus permissif pour les activités financières, entraînant une hausse des bénéfices des entreprises financières avec une influence positive sur les actions du secteur. Mais cette politique implique également de moins grandes exigences en matière de capital de la part de la Fed et une moindre protection des consommateurs et des investisseurs.

Un autre secteur susceptible de tirer parti d’une victoire républicaine est celui de la défense et de l'application des lois sur l'immigration. Même si le secteur de la défense est moins dépendant de la politique qu’elle ne l’était auparavant, Trump a toujours été un fervent partisan de l'augmentation des dépenses militaires, ce qui pourrait profiter aux entreprises de la défense et aux industries connexes.

Le nombre d'immigrés clandestins entrant aux Etats-Unis atteignant des records, les mesures prises par Trump concernant la gestion des frontières constitueront un enjeu majeur de sa présidence. En cas de victoire de Trump, on peut s'attendre à ce que certaines mesures prises lors de son premier mandat reviennent sur le devant de la scène. Ainsi, M. Trump a déjà promis de lancer une vaste campagne d'expulsion et de cibler les membres de gangs et les trafiquants de drogue pour les expulser rapidement. Les établissements pénitentiaires, tels que les prisons privées et les centres de détention, pourraient donc bénéficier d'une victoire républicaine.

La crise de la dette étudiante a été un sujet de discorde aux Etats-Unis sous l'administration Biden. C'est d’ailleurs l'un des domaines où les deux candidats ont une vue très différente. En cas d’élection de Trump, les sociétés actives dans le secteur de l’éducation à but lucratif pourraient profiter de la réduction du risque réglementaire. Quant à la probabilité d'un assouplissement supplémentaire des prêts étudiants, elle semble réduite.

Si le programme économique d'une administration Trump offre des perspectives de croissance positives pour certains secteurs, il est tout aussi important d'examiner les impacts négatifs potentiels. L'un des potentiels grands perdants d’un retour de Donald Trump serait le secteur des énergies renouvelables. L'accent mis par M. Trump sur les sources d'énergie traditionnelles telles que le pétrole et le charbon se fait au détriment d'un soutien réduit aux initiatives en matière d'énergies vertes. Cette position peut se traduire par une diminution du financement fédéral et des incitations pour les projets d'énergie propre, ce qui pourrait entraver la croissance du secteur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Alors que l'on s'attend déjà à ce que Trump se retire de l'Accord de Paris, un retrait – même partiel - de la loi de Biden sur la réduction de l'inflation (IRA) pourrait représenter un risque important pour les entreprises de ce secteur. A contrario, Trump est susceptible de soutenir le nucléaire, la source d'énergie la plus efficace et la plus fiable. L’uranium pourrait en bénéficier.

Le commerce extérieur est un autre sujet de préoccupation dans le cadre des politiques économiques de Trump. La position protectionniste de son administration, caractérisée par des droits de douane et la renégociation des accords commerciaux, pourrait conduire à des tensions commerciales et à une réduction de la coopération mondiale. M. Trump a déjà menacé d'imposer des droits de douane de 10 % sur toutes les importations aux Etats-Unis. La première cible d'une telle politique serait la Chine, mais l'acier, le bois d'œuvre, l'Europe et le Mexique pourraient également redevenir des cibles. Si ces politiques visent à soutenir les industries nationales, elles peuvent également entraîner des mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux et perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales. Cela peut avoir un impact négatif sur les secteurs fortement tributaires du commerce international, tels que la technologie et l'industrie manufacturière. En outre, des conflits commerciaux prolongés pourraient entraîner une augmentation des coûts pour les entreprises et les consommateurs américains, ce qui risquerait de freiner la croissance économique.  

L’hypothèse Biden

L’administration de Joe Biden fait campagne sur un programme économique qui contraste nettement avec celui de Donald Trump. Ce programme s'appuie sur des principes progressistes et met fortement l'accent sur la durabilité, les soins de santé et la coopération internationale. L'approche de M. Biden préconise une transition significative vers les énergies vertes, afin de lutter contre le réchauffement climatique tout en encourageant la croissance économique dans les secteurs respectueux de l'environnement. Son administration se concentre également sur l'élargissement de l'accès aux soins de santé, reflétant ainsi un programme de bien-être social plus large. En outre, la position de M. Biden sur le commerce international s'éloigne du protectionnisme et favorise les partenariats et les alliances mondiales pour stimuler la croissance économique.

L'administration Biden a proposé des investissements substantiels dans les infrastructures vertes, les sources d'énergie renouvelables et la recherche sur les technologies respectueuses du climat. Une telle politique crée des opportunités intéressantes dans ces domaines, car le soutien du gouvernement et les incitations politiques stimulent fortement la demande du marché et l'innovation dans les technologies énergétiques propres. En cas de réélection de Biden, l’Inflation Reduction Act (IRA) pourrait en sortir renforcé.

Une victoire démocrate augmenterait les chances que le Congrès adopte l'extension de Medicaid, ce qui profiterait aux organisations et aux établissements de santé qui en dépendent. Les démocrates sont également plus susceptibles d'augmenter le financement de l'Institut national de la santé (NIH), ce qui profiterait aux entreprises actives dans le domaine des sciences de la vie. Attention toutefois, le secteur de la santé a tendance à sous-performer l’indice S&P 500 lors des années électorales. En effet, ce secteur est généralement le souffre-douleur des politiciens au cours des deux années précédant l'élection. Toutefois, après l'élection, le secteur surperforme traditionnellement le S&P 500 au cours des deux premières années de la nouvelle administration.

L’hypothèse du 3e homme (ou femme)

En évaluant les différents scénarii de cette élection, il est impératif de prendre en compte les surprises potentielles qui pourraient bouleverser la course habituelle entre les deux partis. L'émergence d'une candidature significative d'un tiers parti, comme celle du sénateur Joe Manchin, et les défis juridiques auxquels Trump est confronté sont deux exemples de facteurs imprévus qui pourraient avoir un impact profond sur l'élection et, par conséquent, sur les marchés.

Historiquement, les candidatures de tiers ont le potentiel de diviser les votes de manière inattendue, attirant davantage d'électeurs d'un grand parti plutôt que ceux de l'autre camp. Une candidature de M. Manchin, attirant potentiellement les électeurs centristes, pourrait particulièrement influencer les secteurs sensibles aux changements politiques dans des domaines tels que l'énergie, les soins de santé et la réglementation environnementale.

L’inconnue juridique

C'est une évidence: la présidentielle américaine de 2024 est une élection à haut risque. Elle est moins prévisible que les précédentes, entraînera quoi qu’il arrive des réactions très négatives de la part du camp du perdant. Une autre inconnue est à prendre en compte lors des prévisions en amont de ces élections: celle des défis juridiques auxquels Donald Trump est confronté dans sa course pour devenir le deuxième président de l'histoire des Etats-Unis à exercer deux mandats présidentiels non consécutifs. Comme le montre le graphique ci-dessous, la situation varie suivant les Etats. Certains d’entre eux empêchent déjà Trump de briguer une nouvelle investiture, mais les décisions sont actuellement en appel.


 

Si la Cour suprême devait condamner Donald Trump avant les élections, cela l'empêcherait non seulement de se présenter, mais provoquerait également une onde de choc dans le paysage politique, modifiant radicalement la stratégie républicaine, sans parler des répercussions et des représailles potentielles de la part de ses partisans. Une telle évolution pourrait entraîner une volatilité accrue des marchés, les investisseurs étant confrontés aux implications de l’arrivée d’un candidat de dernière minute.

Si ces différentes possibilités rendent l’exercice de prévision plus complexe, elles soulignent également l'importance d'une stratégie d'investissement basée sur la diversification et la flexible, et capable de résister aux possibles chocs de marché liés à cette Super année électorale. 

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