Au cours du siècle dernier, d’immenses progrès ont été réalisés pour éradiquer la sous-alimentation. S'il y a lieu de s'en réjouir, nous sommes aujourd'hui confrontés à un autre défi: la prévalence croissante de l'obésité. Il ne s'agit pas seulement d'une crise sanitaire, mais d'un problème socio-économique complexe qui touche divers aspects de la société. La lutte pour perdre du poids est souvent attribuée à tort à un manque de discipline. Cependant, des recherches récentes mettent en lumière une réalité plus nuancée: l'obésité est un trouble addictif, influencé par des envies d'aliments gras ou sucrés et sous-tendu par des facteurs neurologiques. L'hypothalamus, qui joue un rôle clé dans le système de récompense de notre organisme, fonctionne différemment chez les personnes souffrant d'obésité, à l'instar de ce qui se passe dans les troubles de la dépendance. Cette perturbation affecte la communication entre l'hypothalamus et les tissus adipeux, ce qui entraîne une mauvaise régulation de l'appétit.
D’après certaines projections, environ 51% de la population mondiale devrait être obèse ou en surpoids d’ici à 2035. Rappelons également que l'obésité dans le monde a triplé depuis 1975. Cette véritable épidémie n'est pas seulement un problème de santé; elle a également des répercussions importantes au niveau économique. L'obésité est associée à plus de 200 maladies et devrait coûter à la société la somme astronomique de 4 000 milliards de dollars par an d'ici à 2035, un chiffre comparable à l'impact financier de la pire année de la pandémie de COVID-19.
Actuellement, un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 est considéré comme obèse. Si les pays riches affichent une prévalence plus élevée de l'obésité, les pays à faible revenu rattrapent rapidement leur retard. Il est alarmant de constater qu'au cours des 50 dernières années, les taux d'obésité et de surpoids chez les enfants et les adolescents sont passés de 2% à 20%. Les comorbidités associées à l'obésité sont diverses et graves, notamment le diabète métabolique de type 2, les problèmes musculo-squelettiques, certains cancers, les maladies cardiovasculaires et parfois les problèmes de santé mentale, ce qui vaut à l'obésité son surnom de «nouveau tabac». La complexité du traitement de l'obésité nécessite une approche holistique qui inclut non seulement la pharmacothérapie, mais aussi des procédures chirurgicales et des changements de mode de vie.
L'une des percées dans l'approche pharmacologique qui a été mise en lumière est l'utilisation du GLP-1, une hormone naturelle qui régule le taux de sucre dans le sang et réduit l'appétit. L'étude SELECT de NovoNordisk a démontré que le GLP-1, développé à l'origine pour le traitement du diabète, facilite également la perte de poids et permet également d’améliorer divers taux sanguins mais aussi la pression artérielle, ce qui entraîne moins de diabète, moins de problèmes rénaux, moins d'infarctus et moins de mortalité. Ces améliorations de la santé se sont traduites par une réduction de 20% du risque de maladies cardiovasculaires chez les personnes en surpoids ne souffrant pas de diabète.
Situation actuelle du marché
Le marché des médicaments contre l'obésité est à un tournant de son évolution, répondant à l'épidémie croissante d'obésité avec à la fois des promesses et des défis. En termes de taille et de croissance du marché, le secteur est prêt à connaître une expansion significative, avec un taux de croissance annuel estimé à 30-40% pour les ventes potentielles de médicaments contre l'obésité entre 2022 et 2030. Cette croissance devrait être stimulée notamment par l'introduction de nouveaux traitements efficaces, une meilleure compréhension des complexités de l'obésité et une demande croissante de solutions efficaces de gestion du poids. À la fin de l'année 2023, le marché du GLP-1 s'élevait déjà à environ 36 milliards de dollars.
En outre, la sensibilisation accrue du public et des prestataires de soins de santé aux risques associés à l'obésité favorise une approche proactive du traitement de l'obésité. Il s'agit là d'un élément important, car à l'heure actuelle, seuls 2% des patients obèses aux États-Unis bénéficient d'un traitement médical.
Toutefois, le marché des médicaments contre l'obésité est confronté à plusieurs défis qui pourraient entraver sa progression. Naviguer dans le paysage réglementaire reste un défi de taille, car les médicaments contre l'obésité font l'objet d'un examen rigoureux pour garantir leur sécurité et leur efficacité, en réponse aux problèmes d'effets secondaires rencontrés par le passé. Le coût de la recherche et du développement dans ce domaine est un autre obstacle important, les dépenses élevées qu'il implique pouvant dissuader l'investissement et ralentir l'innovation. Les questions d'accès au marché et de remboursement posent également des défis considérables. Les médicaments contre l'obésité sont parfois perçus comme des médicaments de style de vie plutôt que comme des traitements médicaux nécessaires, ce qui a un impact sur la couverture d'assurance et la pénétration du marché. En outre, la stigmatisation sociale associée à l'obésité s'étend à l'utilisation des médicaments contre l'obésité, ce qui nécessite un changement de perception de la part du public afin de reconnaître la pharmacothérapie comme une option de traitement légitime et nécessaire.
Les principaux acteurs sur le marché des traitements contre l’obésité
Le marché des médicaments contre l'obésité est dominé par quelques sociétés pharmaceutiques bien établies, connues pour leurs capacités de recherche étendues et leurs solides portefeuilles de médicaments. Des entreprises comme Novo Nordisk et Eli Lilly en sont des exemples notables, ayant développé des médicaments révolutionnaires qui ont établi de nouvelles normes dans le traitement de l'obésité. Ces deux entreprises ont également connu des hausses significatives de leurs cours de bourse lors des dernières années. Leurs multiples d’évaluation affichent des primes substantielles par rapport aux autres valeurs pharmaceutiques.
Source: Bloomberg
Outre ces titans, de nouveaux acteurs sont en train d’émerger. C’est le cas notamment des sociétés Zealand et Ionis, qui apportent toutes deux des approches innovantes et des propositions uniques. Leur émergence est révélatrice de l'expansion du marché et de la variété croissante des options thérapeutiques disponibles. Par exemple, de plus petites entreprises de biotechnologie explorent des voies telles que les analogues de l'amyline et d'autres approches hormonales qui diffèrent des thérapies traditionnelles. Ces nouveaux venus, bien qu'ils détiennent des parts de marché plus modestes, jouent un rôle essentiel dans la stimulation de l'innovation et de la concurrence.
Les dernières avancées dans le développement des médicaments anti-obésité
Outre le développement d'agonistes du récepteur du GLP-1, un autre domaine de progrès est l'exploration d'approches multi-cibles. Les chercheurs cherchent de plus en plus à combiner différents mécanismes d'action dans un seul médicament ou régime de traitement, en ciblant divers aspects de l'obésité, de la suppression de l'appétit à l'amélioration du métabolisme. Cette approche holistique vise à accroître l'efficacité des traitements tout en réduisant les effets secondaires.
À l'avant-garde de cette approche multicible se trouve CargiSema, un médicament actuellement développé par Novo Nordisk. Ce médicament est le seul de son genre à faire l'objet d'essais de phase 3, alors que de nombreux rivaux potentiels font actuellement l'objet d'essais de phase 1. Conçu pour une injection sous-cutanée hebdomadaire, CargiSema est une combinaison de deux peptides distincts, le semaglutide (GLP-1) et le cagrilintide (amyline).
Une alternative prometteuse est actuellement développée par Zealand. La société cherche à combiner son médicament ZP8396 (Zealand's Amylin Analog), qui fait actuellement l'objet d'essais de phase 1, avec le semaglutide, une combinaison qui s'est révélée très prometteuse dans les essais précliniques, permettant une réduction de près de 20% du poids corporel en l'espace de 34 jours seulement.
L’impact des progrès technologiques
Les avancées technologiques, en particulier dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA) et du «machine learning», sont sur le point de révolutionner le processus de développement des médicaments contre l'obésité. L'IA a le potentiel de rationaliser la découverte de médicaments, en la rendant plus rapide et plus rentable. En analysant de vastes ensembles de données, l'IA peut identifier de nouvelles cibles médicamenteuses, prédire l'efficacité et les profils de sécurité des médicaments et optimiser la conception des essais cliniques. En outre, l'intégration d'outils de santé numérique dans les schémas thérapeutiques devrait améliorer les résultats pour les patients. Les dispositifs portables, les applications de santé mobile et les plateformes de télésanté peuvent aider à suivre les progrès des patients, à garantir l'adhésion au traitement et à fournir des recommandations personnalisées sur le mode de vie, autant d'éléments cruciaux pour la prise en charge globale de l'obésité.
Le rôle des politiques gouvernementales et des systèmes de santé
Les politiques gouvernementales et les systèmes de soins de santé joueront un rôle crucial dans l'évolution du marché des médicaments contre l'obésité. La reconnaissance croissante de l'obésité comme crise de santé publique incite les gouvernements à mettre en œuvre des politiques qui soutiennent la recherche, encouragent le développement de nouveaux traitements et améliorent l'accès aux soins de l'obésité.
Opportunités et risques d’investissement
Le marché des médicaments contre l'obésité offre des opportunités d'investissement substantielles, principalement en raison de la demande de solutions de gestion du poids plus efficaces, plus sûres et plus conviviales pour les patients, ce qui devrait alimenter l'innovation et l'expansion continues dans ce secteur. En outre, la diversité du marché, qui va des médicaments ciblant les voies métaboliques à ceux qui se concentrent sur la suppression de l'appétit, offre aux investisseurs un large éventail d'options d'investissement.
Les opportunités dans ce domaine ne sont pas sans risque. Citons notamment les coûts élevés et les incertitudes liés au développement de médicaments. Le chemin qui mène de la recherche à un produit commercialisable est long, coûteux et semé d'embûches. Les essais cliniques peuvent donner des résultats inattendus et l'approbation réglementaire n'est jamais garantie. L'acceptation par le marché constitue un autre risque important. Le profil d'efficacité et de sécurité d'un nouveau médicament influence fortement son succès commercial.
En outre, la nature concurrentielle de l'industrie pharmaceutique signifie que de nouveaux traitements plus efficaces peuvent rapidement éclipser les produits existants. Cette évolution rapide, bien que bénéfique pour les patients et le système de santé, peut représenter un défi pour les investisseurs, car les investissements initiaux dans des traitements désormais dépassés peuvent ne pas produire les rendements escomptés. En outre, le succès des médicaments actuels et à venir sur le marché attirera probablement davantage d'investissements et encouragera d'autres sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques à entrer dans ce secteur, intensifiant ainsi la concurrence et favorisant l'innovation.