Tout n’est pas dans le 10 ans

Alexander Roose, DPAM

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A trop se focaliser sur les taux d’intérêt, les investisseurs négligent certains fondamentaux.

Les stratèges paraissent hypnotisés par un seul indicateur, le taux américain à 10 ans. Ils semblent s'interroger sur sa trajectoire actuelle et future ainsi que sur son impact sur leur positionnement en tant qu'investisseurs actions.

En effet, ce taux a pris son envol à partir de novembre 2020 et ce rebond s’est poursuivi, parfois de manière spectaculaire, au premier trimestre 2021. De premier abord, les marchés actions n’ont pas été pénalisés par cette agitation sur ce marché des taux. Cela s’explique par le fait que les conditions de financement n’ont pas été durcies, l’inflation est bien maîtrisée et les taux réels restent clairement négatifs. Par ailleurs, les résultats des entreprises au quatrième trimestre ont été impressionnants, des deux côtés de l’Atlantique. Aussi, à l’heure actuelle, la perspective d’une croissance et de bénéfices spectaculaires neutralise le risque d’une hausse des taux (sauf pour les actions les plus chères). 

De nombreuses sources de volatilité

Toutefois, si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que le marché a connu une véritable frénésie de repositionnements, un comportement qui est devenu symptomatique et habituel depuis une année. Tout se passe comme si les investisseurs étaient contraints de choisir entre «croissance» et «value» (pratiquement sans aucune marge de manœuvre entre les deux), disposaient d’horizons d’investissement ne dépassant pas six mois (rappelons l’engouement soudain pour les valeurs susceptibles de bénéficier du déconfinement juste après l’annonce des vaccins) et restaient suspendus aux lèvres des banquiers centraux. 

La forte résilience des actions pourrait être mise à rude épreuve
si le marché obligataire venait à connaître de nouvelles turbulences.

Ce sont autant de facteurs propices à un comportement erratique et volatil des marchés actions. En outre, la prédominance des ETF (actifs ou passifs) ou des CTA, la hausse des opérations spéculatives et à effet de levier ainsi que de brèves périodes de corrélation positive entre actions et obligations n’ont fait qu'aggraver la situation.

Comme l'a expliqué Peter de Coensel, CIO taux fixes de DPAM, dans un précédent article consacré à l’assouplissement quantitatif, l'époque de la volatilité bien contrôlée est révolue et il faudra donc s’habituer à des niveaux de volatilité structurellement plus élevés. Cela implique que lors du calcul des taux d’actualisation, il conviendrait de ne pas tabler sur des primes de risque actions structurellement moins élevées (ces dernières étant, outre les taux réels à long terme, un facteur clé pour le calcul de ces taux). La forte résilience du marché des actions observée jusqu'à présent pourrait en effet être mise à rude épreuve si le marché obligataire venait à connaître de nouvelles turbulences.

Immobilier et inflation

Cependant, pour investir sur la base de convictions sur des thématiques structurellement porteuses et construire des portefeuilles robustes, il ne paraît pas indispensable de donner un poids excessif à des facteurs macroéconomiques tels que les taux d'intérêt ou l'inflation. Prenons l'exemple de l'immobilier: traditionnellement, ce secteur bénéficie de la hausse de l’inflation au travers des hausses des loyers, ces derniers étant généralement indexés sur l’indice des prix à la consommation. Pour que ce mécanisme persiste sur le long terme, il est toutefois nécessaire que le propriétaire du bien conserve sa capacité à fixer les prix. 

Or, dans certains segments de l’immobilier tels que les centres commerciaux ou les bureaux, le rapport de force entre propriétaires et locataires a commencé à se modifier en faveur des seconds et cette tendance s'est même accélérée avec la pandémie. Dans ces segments en difficulté, seuls les biens de très grande qualité pourront continuer à protéger contre l’inflation. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un secteur profite en général de l’inflation que ce mécanisme se vérifie dans tous les cas.  Des hausses de taux peuvent en effet avoir des conséquences désastreuses pour le portefeuille d’un propriétaire (ruptures de contrats, ventes forcées) et ce, d’autant plus lorsque ses actifs affichent un faible rendement ou des ratios prêt-valeur élevés.

Retour aux sources de la valeur

Une fois encore, les bonnes décisions d’investissement reposent pour l’essentiel sur la sélectivité et la force des convictions. Si l’on examine aujourd’hui le marché dans son ensemble, on observe l’émergence de poches «value» dans des segments considérés comme défensifs tels que l’immobilier coté, les services d’intérêt public, les produits de base ou les grandes entreprises pharmaceutiques. Et même si d’un point de vue «top down», les taux d'intérêt peuvent être l’un des déterminants de l’évolution d’un secteur ou sous-secteur particulier, d’autres facteurs peuvent entrer en jeu et venir contrecarrer leur influence. Ces forces disruptives sont fréquemment sous-estimées. 

En tout temps, la construction du portefeuille repose
pour l’essentiel sur une approche de type «barbell».

A long terme, c’est la capacité réelle d’une entreprise ou d’un sous-secteur à croître durablement et à créer de la valeur pour les actionnaires qui compte. Elle importe bien davantage que les foucades d’un public rivé sur les perspectives à court terme. D’ailleurs, la longévité de la création de valeur étant fréquemment sous-estimée par les acteurs du marché, elle est source d’inefficiences. L’inverse est généralement vrai pour ceux qui créent de la valeur à court terme, la tendance étant à surestimer leur capacité à générer des cash flows sur la durée.

Les entreprises qui, année après année, génèrent de la valeur pour leurs actionnaires disposent des qualités intrinsèques pour surperformer sur le long terme, à condition qu’elles soient achetées sur la base de multiples raisonnables.  En outre, du fait de leur pouvoir de fixation des prix, de leurs marges bénéficiaires plus importantes et de leur faible niveau d’endettement, elles résistent généralement mieux à l’inflation. 

Les facteurs tels que la liquidité, l’inflation ou la sensibilité aux taux sont pris en compte au niveau du portefeuille (par exemple pour privilégier les valeurs de qualité ou éviter les titres de type «concept»), car ils sont susceptibles d’en améliorer la robustesse. Ainsi, le portefeuille peut être piloté correctement quelles que soient les situations de marché et notamment, lorsque ce dernier traverse des phases de turbulence. Mais en tout temps, la construction du portefeuille repose pour l’essentiel sur une approche de type «barbell» (stratégie qui privilégie deux extrêmes) avec d’un côté des entreprises qui offrent une croissance solide à un prix raisonnable et de l’autre des entreprises bon marché, mais dont les opérations sont saines et viables.

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