Obligations: perspectives 2021

Peter de Coensel, DPAM

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L’année à venir s’annonçant difficile pour les marchés de taux, la préservation du capital exigera une approche professionnelle.

Les courbes de taux des marchés développés, en forme de crosses de hockey, sont le reflet d’une situation dans laquelle les taux directeurs resteront à leur niveau plancher jusqu’en 2024-2026, alors que les primes de terme exerceront une pression à la hausse sur les taux longs. Ces primes rémunèrent l’investisseur pour l’inflation actuelle et à venir, anticipée ou non. On peut y ajouter les risques de crédit et de liquidité pour certains pays de l’Union monétaire européenne (UME) ou pour des segments de marché tels que les emprunts d’Etat indexés sur l’inflation.

Si l’on se focalise sur les Bund ou les bons du Trésor américain à 10 ans, le consensus Bloomberg anticipe pour la fin 2021, des rendements de respectivement -0,33% et +1,23%. En revanche, leurs taux à terme à 1 an se situent à respectivement -0,55% et +1,09%. Or, depuis plusieurs dizaines d’années, les acteurs du marché ont toujours anticipé des taux à terme plus élevés. A croire que l’on assiste à une «conspiration» dont le but est de détourner les investisseurs des obligations pour les pousser vers les segments risqués du marché dont les performances sont notoirement plus élevées… Quoi qu’il en soit, les prévisions pour 2021 sont sans surprise.

Des risques limités

En cette mi-décembre, les taux à 5 ans des obligations allemandes et des bons du Trésor américain à 10 ans se situent à -0,27% pour les premières et à +1,72% pour les seconds. S’ils restent en dessous de ces niveaux jusqu’en 2025, alors l’investissement en Bunds ou en bons du Trésor américain à 10 ans offre un rendement global satisfaisant. Compte tenu du degré de confiance élevé que l’on peut accorder aux politiques de taux de la Fed et de la BCE, les investisseurs en obligations monde ne devraient donc pas être aussi pessimistes qu’ils le sont quant au potentiel de préservation du capital offert par les emprunts d'État, au sein de l'UME comme aux États-Unis.

Les investisseurs en obligations monde
ne devraient pas être aussi pessimistes qu’ils le sont.

En ce qui concerne les premiers, la convergence des taux au sein de l'UME devrait se poursuivre et, sur ce plan, les agences de notation pourraient jouer un rôle central. En effet, elles intégreront la capacité financière de l'UE dans la mesure de celle des différents gouvernements nationaux ce qui accélérera la migration des pays du sud de l’Europe vers de meilleures notations. A moyen terme, que ce soit au niveau de l’UME ou des Etats membres de l’UE, nous devrions revenir sur les conditions de valorisation des taux de 2005.

En 2021, le programme d'achats d’actifs de la BCE, autorisé et flexible, aura pour conséquence une offre nette négative pour ce qui concerne la dette publique de l’UME. Il ne reste plus qu’à espérer que la dynamique positive du cycle économique exerce une pression à la hausse sur les taux et permette une hausse des rendements attendus des obligations d'État de l'UME. Ces dernières, malgré le rendement négatif de l'indice, mais grâce au rendement positif du «roll down», offrent à l'investisseur un rendement annualisé attendu d'environ 0,30% à l’horizon 8 ans. Pour les obligations nominales du Trésor américain, le rendement escompté en dollars est de 1,20% annualisé à l’horizon 7,5 ans.

Vers une hausse de l’inflation

De meilleurs rendements peuvent être obtenus si l’on envisage l’investissement sur la base des taux réels plutôt que sur celle des taux nominaux. Depuis avril dernier, les réponses apportées par les banques centrales ont eu pour effet d’accroître les attentes d’inflation du marché et de les porter à un niveau correspondant au monde d’avant la pandémie. Le durcissement de la réglementation et du contrôle exercé par les gouvernements, les coûts liés à la transition climatique et les perturbations au niveau des chaînes d’approvisionnement devraient avoir un effet haussier sur l’inflation. Une hausse des prix qui sera en moyenne plus élevée qu’elle ne l’a été ces dix dernières années participera à la résolution du problème.  Officiellement, la Fed a adopté une stratégie de ciblage flexible de l’inflation dans sa politique monétaire, ce qui a eu pour effet de faire progresser les anticipations d’inflation sur cinq ans dans cinq ans pour les amener aux alentours de 2,25% aujourd’hui. Il n’y a donc aucune raison de donner dans l’alarmisme: l’inflation devrait osciller entre 2,5 et 3,5% ces cinq prochaines années et cela ne suffira pas pour amener les banques centrales à resserrer leurs politiques de taux. Compte tenu du contrôle implicite de la courbe des taux nominaux, les taux réels longs devraient descendre encore plus bas en territoire négatif.

En Europe, les anticipations officielles tablent sur un taux d’inflation général de 1,4% d'ici 2023. Par conséquent, l'objectif de 2% d'inflation semble tenir du rêve lointain. Pour sortir les capitaux du confort sécurisant des emprunts d’Etat et les rediriger vers les investissements productifs publics et privés, un élément de solution pourrait être le recours à une répression financière plus forte. Entretemps, l’inflation à terme sur cinq ans dans cinq ans est passée à 1,25% et la BCE devrait pouvoir atteindre son objectif de 1,50-1,75%, ce qui lui permettrait de réaliser un petit «tour d’honneur».

Amélioration en vue sur la dette émergente

Une fois encore, la situation telle que décrite précédemment amènera les institutionnels à revoir leur exposition aux emprunts d’Etats émergents, qu’ils soient en devises fortes ou en monnaies locales.  Depuis septembre, nous sommes passés de neutres à positifs pour ce qui concerne la dette émergente gouvernementale en monnaies locales. Les banques centrales des pays émergents ont franchi la dernière étape de leur politique de réduction de taux. En 2020, les investisseurs raisonnant en euros ont été largement affectés par l’effet négatif des changes, si bien que la performance de l’année sera probablement négative.

Le sort de la poche dette émergente dans les portefeuilles
dépendra de la sélection pays.

Cependant, la situation devrait s’améliorer en 2021 et au-delà, car les devises devraient se stabiliser, voire s’apprécier grâce aux efforts de relance de l’ensemble des autorités monétaires et fiscales.  Le sort de la poche dette émergente dans les portefeuilles dépendra de la sélection pays. Certains d’entre eux ont en effet adopté des politiques budgétaires quelque peu précaires. Si l’on y ajoute une perte de crédibilité liée aux réactions de leurs banques centrales, cela pourrait les entraîner dans une spirale négative. Pour la dette émergente, les bons et les mauvais investissements dépendront de la qualité de l’approche mise en place, qui doit être professionnelle et bien diversifiée. Les rendements espérés pour la dette gouvernementale émergente sont intéressants et se situent à 4,5% pour l’horizon 5-6 ans. Cette opportunité découle de leur excédent de rendement réel par rapport aux taux réels moyens des marchés développés.

Méfiance vis-à-vis de la dette d’entreprise IG

Pour ce qui concerne les obligations d’entreprises de qualité investissable (IG), nous apprécions le positionnement à découvert. Cela tient pour l’essentiel au fait que cet univers qui représente un montant de 2500 milliards d’euros est devenu un instrument de la politique de la BCE, si bien que plus de 40% de ce marché en expansion est passé en zone de rendements négatifs. Avec un rendement de l’indice de 0,25% seulement, le rendement total de ce segment, rendement du «roll down» inclus, se monte à un peu plus en 0,50% en annuel pour un horizon de cinq ans et plus.

Ce groupe de grandes entreprises affiche en moyenne des ratios de couverture des intérêts impressionnants. Mais, d’un autre côté, ces débiteurs ont accru leurs ratios d'endettement. Soucieux de satisfaire la demande de dividendes, ils ont affaibli leurs bilans. La principale question qui se pose est donc de savoir pour combien de temps encore ils pourront bénéficier de la protection fournie par la BCE. Le bon sens voudrait en effet que le financement public ait la priorité sur celui des entreprises privées. Ainsi, en tenant compte d'une prime de liquidité qui a augmenté à la suite des chocs à répétition qui se sont produits sur le marché au cours de ces dix dernières années, la prime de risque crédit, qui est à environ 100 points de base au-dessus du Bund 5 ans, se situe à la limite inférieure de sa fourchette.  De fait, le crédit IG en Europe n'est pas bon marché, et les prix ne correspondent pas à la moyenne de ces 5 dernières années. A l’horizon 2021, nous sommes donc neutres en ce qui concerne ce secteur et nous sommes également prudents.

Le haut rendement: un grand incompris

Pour le haut rendement européen, l’année s’achève sur une note positive. Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises ces derniers mois, ce segment est parvenu à revenir en territoire positif. A l’heure actuelle, les indices du haut rendement affichent des rendements similaires à ceux du segment européen des obligations IG, soit environ 2,5% pour 2020. Ce taux représente, pour mémoire, moins de la moitié du rendement total d’un segment haï, celui des emprunts d’Etat de l’UME, qui se situait à +5,50% au moment de la rédaction du présent article.

L’argument de la «zombification» est utilisé à tort et à travers, qu’il s’agisse
de favoriser ou de dénigrer les investissements sur ce segment.

Comparé au segment IG, l’indice du haut rendement européen affiche un rendement calculé à partir des cours d’achats de 2,80%, ce qui représente un différentiel de rendement d’environ 360 points de base. Si l’on tient compte de la migration vers des notations plus basses ainsi que des taux de défauts historiques, son rendement espéré sur un horizon légèrement inférieur à 4 ans passe bien au-dessous de 2%. Ce segment de marché est devenu complexe, les entreprises devant leur survie aux programmes de soutien gouvernementaux ou à une population d’investisseurs moins exigeante.

Cependant, l’argument de la «zombification» est utilisé à tort et à travers, qu’il s’agisse de favoriser ou de dénigrer les investissements sur ce segment qui, en fin de compte, reste très mal compris. A long terme, sa performance ajustée au risque mesuré par la volatilité est nettement supérieure à celle d’une classe d’actifs telle que les actions. C’est un fait indéniable, mais il ne passera jamais les feux de la rampe, car les budgets de commercialisation pour les titres à haut rendement resteront toujours inférieurs à ceux consacrés aux investissements en actions.

Des convertibles toujours attrayantes

L’année 2020 aura été exceptionnelle pour les obligations convertibles monde qui ont réalisé une performance de 25%. Quant aux convertibles européennes, sous-ensemble de petite taille de cet univers, elles affichent un résultat qui avoisine les 6% en cette fin d’année. Les débuts de cycle étant favorables aux convertibles, nous avions émis un avis positif vis-à-vis de cet actif avant l’été et estimons qu’il devrait bien se comporter en 2021 et 2022. La dynamique offre/demande est saine, ce qui est une condition nécessaire à la bonne performance d’un secteur.

Au plan mondial, les nouvelles émissions ont augmenté de près de 50% cette année. Cette progression ayant été plus modérée en Europe, il convient de se préparer à une flambée de nouvelles émissions en 2021. En effet, les entreprises sont attirées par la faiblesse des coûts de ce type de financement qui leur permet par ailleurs d’élargir la base d’actionnaires potentiels nécessaire au développement de nouveaux modèles d’affaires ou de technologies innovatrices. Pour 2021, les performances devraient se situer au minimum aux alentours de 5%.   

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