Tournant énergétique: de «Big oil» à «Big energy»

Rocchino Contangelo, Swisscanto Invest

2 minutes de lecture

En Europe, les compagnies pétrolières procèdent à la plus importante mutation de ces 30 dernières années.

En 2020, bon nombre des compagnies pétrolières ont annoncé un changement de stratégie à long terme. Elles ont en effet entamé une transformation ambitieuse vers des modèles d’affaires plus durables ainsi que vers les énergies renouvelables, ce qui devrait leur offrir des perspectives d’avenir au-delà du tournant énergétique.

La pandémie et le choc pétrolier qui l'a accompagné ont été les catalyseurs de cette transition vers la durabilité, annoncée par les principaux acteurs du secteur pétrolier, à savoir BP, Shell et Total, ainsi que par ENI, Repsol et Equinor.

Comment le changement annoncé par ces sociétés les éloignera-t-il du pétrole?

  1. Le capital disponible sera progressivement réorienté vers les énergies renouvelables, et réalloué du pétrole aux sources d’énergie à faible empreinte carbone.
  2. La diminution du volume d’hydrocarbures est contrôlée de manière transparente. BP commence déjà à mettre en place ces mesures. Comme Equinor, Total va d'abord augmenter son volume de production jusqu'en 2025 avant de commencer à sortir du pétrole.
  3. Cette ambitieuse «transformation verte» nécessitera des investissements massifs et d’éventuelles acquisitions d’entreprises. 
  4. Pendant cette phase de transition, les sociétés pétrolières continueront de produire du pétrole afin de financer le développement de nouvelles sources d’énergie. A l'avenir, la politique de distribution de dividendes sera plus souple.
Les investissements des groupes pétroliers dans le secteur des énergies
renouvelables devraient tripler sur la période 2021-2025.

Entre 2010 et 2020, les compagnies pétrolières ont déjà investi près de 20 milliards de dollars dans le secteur des énergies renouvelables (par exemple, éolien, solaire, énergie hydraulique, turbines à gaz et à vapeur, distribution et biocarburants). Pour la période 2021-2025, ce volume devrait quasiment tripler pour atteindre près de 57 milliards, tandis que les dépenses atteindront environ 85 milliards supplémentaires pour la période 2026-2030.

Les investissements des multinationales pétrolières dans les énergies renouvelables en forte hausse
Données en milliards de dollars

Source: Rapports de gestion des entreprises, estimations 2020+ et analyse Bernstein

 

Nous attendons avec impatience de voir si ces nouveaux projets généreront le rendement annoncé de 10% (IRR). De nombreuses entreprises du secteur de l’énergie indiquent certes que de tels rendements sont déjà obtenus dans des projets en cours avec des énergies renouvelables. Si ces perspectives sont alléchantes, il convient toutefois de noter que l’IRR se situe à environ 15% dans l’activité habituelle. Dans ces conditions, il sera difficile de retenir les investisseurs qui n’ont pas de conscience écologique.

Le tournant de 2030 

En 2030, la part des énergies renouvelables dans le chiffre d’affaires et les bénéfices des compagnies pétrolières sera tellement élevée que l’on pourra effectivement parler d'une transition de Big oil à Big energy. Si BP respecte son calendrier, sa capacité installée de production d’énergie renouvelable en 2030 sera équivalente à celle d’Orsted (le leader mondial de l’énergie éolienne en mer). En parallèle, le «pic pétrolier», c’est-à-dire la quantité maximale de pétrole extraite chaque année dans le monde, devrait être atteint. La coexistence de différentes sources d’énergie nous accompagnera donc encore longtemps.

Les multinationales pétrolières veulent
rester attrayantes pour les investisseurs.

Nous saluons le fait que les grandes compagnies pétrolières se soient mises en route vers les objectifs climatiques. Pour les multinationales européennes, ce mouvement est soutenu par l’adoption de la taxonomie de l’UE pour la protection du climat. Si les grandes compagnies pétrolières souhaitent rester attrayantes pour les investisseurs qui veulent ou doivent poursuivre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, le changement de stratégie initié est inévitable.

Aux Etats-Unis aussi, les choses bougent

Ce 17 juin, le CERES, association représentant un réseau mondial d’investisseurs durables, a rappelé à quel point le risque de «stranded assets» (= gisements/réserves de gaz et de pétrole sans plus aucune valeur) était élevé pour l’industrie pétrolière américaine. Le CERES a également mentionné ce que les investisseurs devraient exiger en matière de transparence face à ce risque. Tracey Cameron, responsable senior du CERES sur l’engagement des entreprises en faveur du climat, a expliqué: «Nous sommes à un moment où les investisseurs ont reconnu qu’un risque climatique est un risque financier.» 

Chez ExxonMobile, trois nouveaux administrateurs ont récemment été élus au conseil d'administration afin de promouvoir le tournant énergétique. Shell, dont le siège social est aux Pays-Bas, doit être contrainte par une décision judiciaire de redoubler d'efforts pour contribuer à la protection du climat. Shell a fait appel de ce jugement. Important pour les investisseurs: dans son classement sectoriel, MSCI s’efforce d’intégrer les énergies renouvelables dans le secteur de l’énergie, où dominaient jusqu'à présent les producteurs de combustibles fossiles. Le thème des énergies renouvelables va ainsi se voir attribuer un benchmark généralement reconnu et investissable; pour les investisseurs institutionnels, la possibilité d’investir et donc l’attrait du secteur des énergies renouvelables augmentent grâce à cette nouvelle représentation par un indice. 

A lire aussi...