Tirs croisés contre l'inflation

Thomas Planell, DNCA Invest

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Outre le dollar et les matières premières, il n'est nulle part où se cacher.

Des refuges chancelants

Tant les actions que les obligations sont vendues: les investisseurs coupent la sensibilité de leur portefeuille à presque tous les facteurs de risques qu'ils peuvent identifier: risques de taux, risque de crédit, risques d'entreprise. A chaque hausse surprise (75 points de base contre 50 attendus par la FED, première hausse de la Banque nationale suisse depuis plus de 20 ans), les probabilités de récession s'affolent, et la fuite des actifs cotés en faveur du cash, principalement du dollar, s'accélère.

Malgré l'extrême pessimisme (l'indice Bull vs. Bear est au plus bas depuis 2009), les indices Vstoxx et Vix restent contenus. A 32, à l'aube d'une récession économique, le prix de la volatilité est en réalité historiquement peu cher par rapport aux chocs de marché précédents. Les acheteurs d'options de vente, nombreux, ne bénéficient pas (au travers du véga) de la réalisation tant espérée de la volatilité. Malgré son faible prix, la volatilité n'est pas pour autant un gage absolu de protection. Dans un scénario où, intégrant déjà de nombreuses mauvaises nouvelles, les marchés deviendraient temporairement immobiles, les positions acheteuses de volatilité souffriraient également.

Il n'est pas certain que les actifs refuges des six premiers mois de l'année continuent de protéger les portefeuilles cet été. Après avoir bien résisté aux replis précédents du marché, les valeurs pétrolières cèdent du terrain, elles aussi. Malgré une offre contrainte insuffisante à satisfaire une demande qui tutoie les niveaux pré-covid, elles font aussi les frais de l'aversion pour le risque qui se propage à tous les secteurs.

1979-2022, similitudes et disparités

En cas de réouverture totale de l'économie chinoise, rien n'interdit de penser que le pétrole puisse culminer entre 150 & 175 dollars. Dans le contexte actuel, surtout en Europe avec la faiblesse de l'euro, cela équivaudrait quasiment à un nouveau choc pétrolier. La Chine, d'ailleurs, semble particulièrement sensible au cours du brut: elle ne mise pas tout sur son partenaire russe et négocie actuellement avec le Qatar pour prendre des participations dans des champs pétrolifères locaux. Sur fonds de tensions géopolitiques extrêmes avec les USA autour de la question taïwanaise, Xi Jinping continue de positionner ses pions sur le planisphère des matières premières. En 2022, l'accès au pétrole reste au cœur des enjeux de puissance. Peut-être même plus que jamais.

L'intensité pétrolière du PIB s'est pourtant contractée très nettement depuis le second choc pétrolier de 1979. D'ailleurs, beaucoup de choses rappellent le moment délicat de l’arrivée de Volcker à la Fed. A ce moment-là, l’un de ses prédécesseurs, Arthur Burns, dresse un constat auquel la situation actuelle fait ironiquement écho. Le financement de la guerre (le Vietnam à l'époque, celle contre la COVID-19 en 2020), le boom économique de 1972-73 (que rappelle la forte reprise économique qui succéda aux confinements), les mauvaises récoltes et l'explosion des denrées agricoles de 74-75 (face aux pénuries de céréales liées au blocage des exportations ukrainiennes et aux rendements faibles en Inde et aux Etats-Unis cette année), la hausse extraordinaire du pétrole et la baisse de la productivité, seraient les causes du sursaut d'inflation qui s'abattait sur le pays, le précipitant vers la stagflation.

Différence principale avec 1979: le chômage est aujourd'hui presque deux fois moins élevé qu'à l'époque! Rappelons-nous que la politique monétaire expansionniste qui précéda l'ère Volcker visait à le combattre, en vain. Bonne ou mauvaise nouvelle? Difficile à dire… car un marché de l'emploi en surchauffe ne facilite pas le travail de Jerome Powell. En effet, pour l'instant, sur le bureau du président de la Fed, les rapports d'activité qui s'amoncèlent mois après mois sont bons, trop bons pour conclure aux premiers signes de dégonflement de l'activité qui augurerait d’un pic d’inflation. Cette situation de plein emploi va-t-il le forcer à continuer de remonter ses taux plus agressivement que prévu à chaque rendez-vous de politique monétaire? Tout dépendra des données qui tomberont entre aujourd'hui et le Symposium de Jackson Hole. C'est peut-être à ce moment-là que les premiers signes de ralentissement tangibles seront constatés et que la proximité de la récession se fera sentir. Alors, si toutes les conditions sont réunies, quelque-chose dans le discours belliciste de Jerome Powell pourrait s'infléchir. Au fur et à mesure de données précisant l'imminence récessive, le dollar, très cher par rapport à l'ensemble des devises de la planète, pourrait alors montrer les premiers signes de faiblesse. Le dollar, roi des actifs du premier semestre 2022, n'est pas non plus affranchi de tout risque. Malheureusement, dans la guerre des taux qui fait rage, il n'est nul abri où se cacher.

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