Sur le radar des risques macro

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Les indicateurs économiques continuent de montrer que nous sommes toujours en zone d’expansion mais le rythme de la reprise s’est tassé.

© Keystone

La crise économico-pandémique est entrée dans une troisième phase. La première, en début d’année, était celle de la surprise, de la sidération, de la peur, du confinement général, le tout aboutissant à une chute universelle de l’activité et des échanges. La deuxième, quelques mois plus tard, était celle de la réouverture des économies, du soulagement, du retour à la vie presque normale, aboutissant à un rebond fort, souvent même plus fort qu’attendu, de la production et de la demande. Depuis deux ou trois mois, les indicateurs économiques montrent que l’on reste en zone d’expansion mais aussi que le rythme de la reprise s’est tassé.

Cette perte de vigueur est assez logique, vu les déviations hors norme, à la baisse puis à la hausse, qu’ont connu les grandeurs économiques. Il n’y aurait pas trop de raison de s’en inquiéter si ne s’y ajoutaient deux facteurs d’incertitude. Le premier tient à la résurgence de la pandémie depuis plusieurs semaines, surtout en Europe et à un degré moindre aux États-Unis. Cela évoque inévitablement les mauvais souvenirs de la première phase résumée plus haut. Le second est que le freinage intervient alors que l’économie mondiale est loin d’avoir retrouvé des conditions normales d’activité. D’après nos estimations, le PIB mondial devrait ressortir au T3 2020 à un niveau qui était le sien il y a deux ans. Dans le cas des États-Unis, il faut remonter trois ans en arrière. Pour l’Allemagne ou la France, quatre ans. Pour le Royaume-Uni ou l’Espagne, six ans, etc. La seule grande économie qui a retrouvé sa tendance de croissance pré-crise, ou s’en rapproche de près, c’est la Chine. Non seulement ce pays semble avoir vraiment tourné la page de la pandémie, mais il s’est trouvé bien positionné pour répondre au surcroît de demande en biens, comme les équipements médicaux ou électroniques qu’il produit ou assemble en masse. A ce jour, il gagne sur tous les tableaux.

Le FMI admet et même encourage les États à creuser
leurs déficits pour réduire l’insuffisance de la demande.

Une reprise qui fléchit alors que le sous-emploi est massif est de nature à amplifier le risque de voir des entreprises faire défaut, le chômage augmenter, les ménages adopter des comportements de précaution, en somme une spirale négative sur la demande privée. La réponse n’est pas difficile à identifier, davantage à mettre en oeuvre. S’il y a trop d’épargne privée, il faut qu’il y ait plus de désépargne publique (déficit) pour soutenir et relancer l’activité. Comme cela implique une hausse des besoins de financement, il faut que les banques centrales prolongent leurs politiques de compression des taux. De nombreux responsables de politique économique sont bien conscients de ce qu’il faut faire, quitte à revoir totalement leur doctrine. Le FMI, jadis le temple de l’orthodoxie budgétaire, admet et même encourage les États à creuser leurs déficits pour réduire l’insuffisance de la demande. La BCE, qui fut longtemps le mètre-étalon de l’orthodoxie monétaire, est prête à tolérer que l’inflation dépasse sa cible (il est vrai que cette éventualité n’est pas pour demain). Il y a un changement profond dans la conduite des politiques de stabilisation, ce qui est un atout très précieux pour répondre efficacement à cette crise. Ce point ne doit pas être sous-estimé.

En cette fin d’année, plusieurs points clignotent de plus en plus fortement sur le radar des risques macroéconomiques. Il y a d’abord l’évolution de la pandémie. L’incertitude n’est pas propice à l’activité, surtout peut-être quand cette incertitude vient d’un agent mal connu et invisible (le virus). Le point rassurant est que l’actuelle vague épidémique n’a rien de commun avec la première en ce qui concerne la pression sur le système de santé et la mortalité. Elle devrait être moins anxiogène. L’activité économique suppose une liberté de travailler et de se déplacer. Toute entrave est négative. Stopper le virus en stoppant toute l’économie n’est pas une option viable. Le laisser-faire ne l’est pas non plus. Désormais, les gouvernements tâtonnent entre ces deux voies. Dans de nombreux cas, la réponse est imparfaite, mais il est clair que les récentes mesures de restriction ciblent une petite partie de l’économie, environ 10%, ce qui est sans commune mesure avec la fermeture générale du début d’année. Un autre facteur de risque tient aux hésitations dans la mise en oeuvre des politiques de relance. Les discussions budgétaires tournent en rond aux États-Unis depuis quatre mois sans succès. En Europe, la ratification du plan de relance historique annoncé l’été dernier n’a toujours pas eu lieu. Ces retards sont dommageables pour le sentiment général et pour le soutien à la demande. Enfin, deux événements politiques renforcent l’incertitude, les élections américaines en cours et le chaos qui les entoure, et le Brexit. Dans le cas du Brexit, alors que se déroule un sommet de l’UE au moment où nous rédigeons ces lignes, l’option du no-deal reste hélas majoritaire. Elle implique une perte de débouchés mutuels dans les échanges entre les deux parties en présence. Au plan économique, c’est vraiment le choix le plus mauvais qui soit.

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