Style value: la tradition en temps obscurs

Levi-Sergio Mutemba

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La rotation vers les stratégies axées sur la valeur est lente, en dépit de leur nette surperformance.

Délaissé, voire dénigré, pendant plus d’une décennie de taux d’intérêt proches de zéro, le style «value», né dans les années 20, pourrait retrouver sa raison d’être. Inflation, taux élevés et craintes de récession suffisent pour susciter de la dispersion au sein d’une même classe d’actifs. Dans le cas des marchés actions, cela signifie que ces risques n’affecteront pas les entreprises de façon uniforme. Il faudra donc, a priori, se montrer plus sélectif.

Toutefois, au cours des 20 dernières années, les rares épisodes de surperformance des fonds axés sur la valeur ont été très brefs. Principalement en raison du maintien de politiques monétaires ultra-accommodantes. Ce fut le cas au second trimestre 2003. Puis au second trimestre 2009. Ainsi que peu après le pic de la pandémie de COVID-19 en 2020. Cette surperformance sera-t-elle plus soutenue, dans un environnement économique global désormais marqué par une inflation à la fois persistante et élevée, que les banques centrales tentent à tout prix d’enrayer?

«L’an dernier, les actions value et à dividendes ont bien mieux résisté et les tendances qui ont dominé les marchés au cours des dix dernières années on commencé à s’inverser», écrit Paul Quinsee, Global Head of Equities chez JP Morgan Asset Management (JP Morgan AM), dans une note thématique du 18 janvier. L’expert ajoute que le dégonflement de la bulle technologique n’est pas encore achevé. Signe que d’importants volumes de capitaux n’ont pas encore réalisé la rotation vers les fonds value.

«On ne peut pas surperformer avec des taux sans cesse en baisse ou constamment proches de zéro.»

«Se reposer sur les gagnants de la dernière décennie n’est pas une bonne idée», estime Paul Quinsee. «Toutefois, de nombreux investisseurs continuent d’être surinvestis dans les valeurs de croissance et sous-investis dans les titres ayant été à la traîne durant la période précitée», ajoute-t-il. Le portfolio manager de JP Morgan précise par ailleurs que les entreprises européennes, plus que toute autre région, «se sont le plus ajustées au nouveau régime de l’inflation» et que leurs bénéfices affichent une résilience particulièrement forte.

«On ne peut pas surperformer avec des taux d’intérêt sans cesse en baisse ou constamment proches de zéro», souligne pour sa part Marc Renaud, CEO de la boutique indépendante Mandarine Gestion et gestionnaire de portefeuille spécialisé dans le style value. «Le retournement des marchés de taux a été extrêmement favorable à notre style de gestion», poursuit Marc Renaud, contacté par Allnews. Mandarine Gestion, qui gère 3,2 milliards d’euros (à fin 2022) à travers une gamme de fonds exclusivement en actions, a ainsi collecté 160 millions d’euros l’an dernier. Dont 70 millions se concentrant dans l’expertise value.

Toutefois, avec un rebond de près de 8% depuis le début de l’année pour le S&P 500, et de plus de 14% pour le Nasdaq, reste-t-il des opportunités bon marché, même pour un stock picker? Ou, comme le pense Marc Renaud, cette euphorie justifie-t-elle le style value? En effet, même en cas de recul prononcé de l’inflation, nul ne l’imagine revenir de sitôt à un niveau approchant la cible des banques centrales. Elle restera donc une source d’incertitude. Sans parler des risques liés à la guerre en Ukraine.

«Nous rencontrerons de nombreux exemples d’entreprises dont les coûts ne sont pas indexés aux prix des matières premières, qui souffrent de pressions salariales qu’elles ne parviennent pas à répercuter dans les prix et qui voient le volume de leurs ventes diminuer. C’est ce genre d’entreprises qui seront la source des contractions du marché», soutient Marc Renaud.

Un sentiment plus ou moins semblable se dégage de la conférence de presse organisée par Edmond de Rothschild Asset Management (EDRAM) jeudi 9 février. Jacques-Aurélien Marcireau, co-responsable de la gestion actions, prévient en effet que le nouveau régime de taux élevé aura des conséquences négatives pour l’innovation, en particulier au sein du secteur technologique. «Les dépenses d’investissement vont clairement ralentir, dès lors qu’un bon nombre de start-up et de licornes, cotées ou non, n’auront plus nécessairement accès aux capitaux bon marché de ces dernières années qui servait à financer le développement de leurs produits innovants», craint Jacques-Aurélien Marcireau.

«Souffrant de contraintes financières significatives, les entreprises technologiques, et de croissance en général, ne pourront plus autant compter sur l’expansion de leurs chiffres d’affaires et devraient davantage se focaliser sur la réduction des coûts.» En revanche, cette restriction d’accès aux sources de financement va révéler ou mettre à jour les sociétés capables de générer du cash dans un environnement chargé de défis de toutes natures, tout en faisant reposer leur expansion sur des ressources internes. «Lorsque les taux étaient proches de zéro, il était difficile de distinguer les entreprises dotées d’un réel avantage compétitif par rapport à celles qui bénéficiaient simplement d’un accès à de l’argent bon marché», poursuit Jacques-Aurélien Marcireau.

«Les investisseurs peuvent croire, à tort, qu’ils pourront toujours compter sur le Fed put.»

Pourtant, les flux de fonds au sein de la gestion conventionnelle ne reflète pas encore une rotation effective vers les stratégies value. D’après les données de Lipper-Refinitv, les fonds de la catégorie Large-Cap Value Funds n’ont pas encore enregistré d’afflux nets en 16 mois. Ce, alors que le groupe enregistre une performance de plus de 12% au dernier trimestre 2022. Contre 2,75% pour la catégorie de croissance Large-Cap Growth Funds.

Enfin, même les émetteurs de produits passifs donnent le sentiment de s’en étonner. Conjecturant sur la possibilité que la longue période de faible inflation et de faible taux d’intérêt ait rendu les investisseurs inflexibles. «Par exemple, ces derniers peuvent croire, à tort, qu’ils pourront toujours compter sur le Fed put», prévient Matthew Bartolini, Head of SPDR Americas Research chez State Street Global Advisors (SSGA), dans son Monthly Fund Flows publié le 31 janvier.

Matthew Bartolini semble également surpris par l’ampleur du rallye du mois de janvier. «Les investisseurs ne tiennent visiblement pas compte du fait que ce rallye a ramené les valorisations au-dessus de leurs moyennes de long terme», observe ce dernier. Qui constate un ratio cours/bénéfice (P/E) à 12 mois se trouvant déjà au-dessus de sa moyenne de 15 ans. L’expert de SSGA souligne néanmoins que cela s’applique essentiellement aux actions américaines, l’Europe et les pays émergents demeurant sous-valorisés.

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