Une étude présentée par Vanguard, l’ASG et la HSLU montre que les placements durables ne jouent encore qu’un rôle secondaire chez les gérants. Avec Patrick Dorner.
Lorsque des études sont publiées à propos des gérants de fortune indépendants en Suisse, c’est souvent pour parler de régulation ou de la consolidation à l’intérieur de ce secteur d’activité. Comment les gérants de fortune suisses indépendants investissent-ils toutefois l’argent de leurs clients? C’est sur cette question que s’est penchée une étude présentée par Vanguard et l’Association suisse des gérants de fortune VSV-ASG et réalisée par la Haute école de Lucerne (HSLU) en collaboration avec. L’étude dévoilée devant les médias mardi à Zurich s’est penchée en particulier sur la manière avec laquelle les gérants de fortune indépendants helvétiques mettent en œuvre leur stratégie de placement, de manière directe ou en recourant à des fonds et ETF, et s’ils intègrent ou non les principes de l’investissement durable dans leur politique de placement et si oui de quelle façon. L’enquête, réalisée entre la mi-mars et la mi-avril, repose sur les réponses obtenues de 101 gérants de fortune suisses indépendants.
En termes d’allocation d’actifs, l’étude indique que les gérants surpondéraient les actions suisses et américaines mais qu’ils sous-pondéraient les autres régions du monde et étaient sous-exposés aux obligations de manière générale. Quant à la manière de mettre en œuvre leur politique de placement, l’enquête montre que les gérants de fortune helvétiques préfèrent investir via des placements directs avant tout sur leur marché national. Ainsi, ils investissent directement avant tout dans des actions suisses, des emprunts d’Etat ainsi que des obligations d’entreprises helvétiques. Interrogés sur la façon avec laquelle ils comptent investir à l’avenir, les gérants entendent placer leur argent d’une façon plus active lorsqu’il s’agit d’actions helvétiques. Les participants à l’enquête préfèrent une gestion active à une approche indicielle pour les actions suisses et européennes.
Pour les auteurs de l’étude, les gérants de fortune helvétiques semblent considérer les marchés proches de chez eux comme une opportunité de différenciation par rapport à la concurrence. Ils sont donc plus enclins à investir directement dans des actions et obligations suisses, tandis qu’ils préfèrent recourir aux ETF lorsqu’il s’agit de placer de l’argent dans les marchés émergents et dans la région de l’Asie-Pacifique.
«Sélectionner soit même un certain nombre d’actions helvétiques et expliquer aux clients pourquoi vous le faites peut être un moyen intéressant de raconter une histoire et un moyen de se différencier», observe le docteur Manfred Stüttgen, professeur à la Haute école de Lucerne (HSLU) et directeur de l’étude.
C’est au sujet de la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) par les gérants indépendants que l’étude a livré ses résultats les plus inattendus. En effet, seuls 20% des gérants de fortune indépendants interrogés indiquent inclure des critères ESG «par défaut» dans leur politique de placement, tandis que 25% des sondés n’en tiennent pas du tout compte. Les auteurs de l’étude estiment à 20% les gérants qu’ils décrivent comme les «pionniers» en matière de placements ESG, à 25% ceux qui sont qualifiés de «conventionnels» tandis que 55% font partie des «opportunistes» dans ce domaine. Qu’il s’agisse de gérants de fortune «pionniers» ou «opportunistes» en matière ESG, cela ne change toutefois presque rien au fait que le recours aux placements durables s’effectue dans les deux cas avant tout à la demande des clients. Quant à la façon d’investir de façon durable, ce sont surtout les «investissements thématiques durables» - probablement parce qu’ils sont les plus faciles à expliquer, supposent les auteurs de l’étude - ou ceux d’«impact» qui sont les plus prisés par les gérants.
Cette faible affinité des gérants pour les investissements durables est apparue comme une surprise aux yeux des auteurs de l’étude compte tenu de la croissance continue de ce segment. Comme l’a relevé mardi Manfred Stüttgen, professeur à la Haute école de Lucerne (HSLU), l’impression selon laquelle les placements durables seraient déjà «mainstream» en matière d’investissements ne correspond pas à la réalité. «Dans les recherches que nous avons effectuées, nous voyons qu’il s’agit encore d’un marché de niche», relativise le professeur.
Patrick Dorner, le directeur de l’ASG, estime de son côté que banques et gérants indépendants fonctionnent de manière différente lorsqu’il s’agit de proposer des produits à la clientèle. «Il est plus facile pour une banque de pousser des produits ESG dans les portefeuilles de leurs clients. Pour un gérant de fortune indépendant, c’est plus difficile de le faire, car il doit tenir compte d’abord des préférences de ses clients», met-il en perspective.