Selon Nic Dreckmann, chef opérationnel chez Julius Baer, les gestionnaires n'auront toutefois d'autre choix que de se spécialiser davantage à l’avenir.
Les gestionnaires de fortune indépendants constituent toujours l’un des piliers de la place financière helvétique. En Suisse, les gestionnaires de fortune indépendants gèrent des avoirs de clients estimés à quelque 500 milliards de francs suisses, ce qui représente environ un sixième de l’ensemble des actifs déposés dans le pays, indiquait un rapport publié en mai par l’Association suisse des gestionnaires de fortune (ASG) qui s’appuyait sur des données de 2018.
Compte tenu des exigences croissantes liées à régulation et des investissements importants à consacrer aux systèmes informatiques, les gestionnaires de fortune indépendants peuvent-ils continuer d’assurer une fonction de généraliste en conseillant leurs clients dans tous les domaines - ou doivent-ils au contraire se spécialiser davantage dans quelques niches spécifiques? Quelles sont les tâches qu’ils peuvent continuer d’assurer par eux-mêmes et quelles sont celles qui doivent être déléguées à des sociétés tierces ou à des banques partenaires? Entretien avec Nic Dreckmann, Chief Operating Officer et Head Intermediaries chez Julius Baer à Zurich, un établissement qui a, par ailleurs, été élu « Best Digital Innovator of the Year» lors du Wealth Tech Award 2021 attribué jeudi par PWM, l’un des principaux magazines spécialisés dans la banque privée.
Il s’agit d’une branche toujours très fragmentée, composée d’acteurs de taille très différente. A un extrême, nous avons un grand nombre de très petites sociétés, constituées parfois de seulement un ou deux collaborateurs. A l’autre extrême, il y a de grands gérants de fortune, qui ont dans certains cas pratiquement la taille de petites banques privées. Ceux-ci proposent une gamme complète de services à l’interne, comprenant non seulement la gestion de portefeuille mais aussi des aspects de compliance, des aspects juridiques ou de fiscalité. Entre ces deux extrêmes, il y a toute une variété de profils différents.
créneaux de clientèles ou certaines offres de services.»
Le point important à souligner est toutefois qu’il s’agit d’une branche qui continue de croître aussi à l’avenir. D’une part, parce que la fortune à gérer continue de croître à travers le monde, comme le montrent différentes études consacrées à ce sujet. D’autre part, car la demande de conseil de la part de la clientèle et ses exigences continuent aussi d’augmenter. Certaines catégories de clients ont aujourd’hui des besoins extrêmement spécifiques.
En même temps que l’internationalité des clients finaux croît, les exigences réglementaires augmentent aussi, ce qui rend le travail plus complexe. En outre, il faut aussi tenir compte de la concurrence croissante de nouveaux acteurs, qu’il s’agisse par exemple de sociétés «fintech» ou de robots conseillers qui proposent des services de gestion de fortune en partie automatisés.
C’est pourquoi, je pense qu’il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de se focaliser sur certains créneaux de clientèles ou certaines offres de services si l’on souhaite perdurer dans cette branche. Par exemple, un gestionnaire de fortune indépendants qui a beaucoup de clients allemands mais très peu d’entre eux en provenance du Royaume-Uni doit vraiment se poser la question de savoir s’il peut continuer d’offrir ses services à ses clients d’outre-Manche. Même si vous n’avez qu’un seul client issu du Royaume-Uni, vous avez besoin de tout un ensemble de compétences pour lui fournir des services de manière professionnelle. Cela entraîne des coûts importants qui deviennent difficiles à rentabiliser. Une plus grande spécialisation est donc à mon avis nécessaire aujourd’hui.
Bien sûr, il existe aussi des très petites structures qui s’occupent des mêmes clients depuis plusieurs décennies, qui font très bien leur travail et qui réussissent à s’en sortir comme cela. Je pense toutefois qu’il s’agit d’un modèle d’affaires qui va progressivement disparaître. D’une part, parce que la relève n’est pas toujours assurée et, d’autre part, car la complexité croissante des exigences en matière réglementaire et de compliance, mais aussi les progrès technologiques, rend la tâche plus difficile à ces petites structures.
Cela dépend bien sûr de la taille de ces structures et du domaine de spécialisation de ces gérants. Certaines tâches ne peuvent être effectuées que par des banques partenaires. C’est par exemple le cas pour les tâches d’exécution des transactions ou lorsqu’il s’agit d’accorder des prêts à leurs clients, par exemple des crédits lombards ou des crédits immobiliers, car les gestionnaires de fortune indépendants n'ont pas de bilan.
à des tiers pour les aspects légaux, fiscaux ou liés à la prévoyance.»
Dans le cas de figure le plus fréquent, les gérants de fortune indépendants se concentrent sur leur cœur de métier - celui de la gestion des portefeuilles -, et ils s’adressent de plus en plus à des tiers pour les aspects légaux, fiscaux ou liés à la prévoyance.
Il arrive aussi que des gérants de fortune indépendants gèrent eux-mêmes par exemple l’entier de la partie actions pour leurs clients mais qu’ils s’adressent à nous pour certains segments plus spécifiques, comme par exemple les obligations émergentes. Dans ce cas, le gérant de fortune indépendant peut sélectionner lui-même certains modules – par exemple, des obligations asiatiques – et décider s’il veut accroître ou réduire cette part dans le portefeuille de ses clients. En revanche, il n’a pas besoin de procéder lui-même à la sélection des obligations faisant partie de ce module.
A ce sujet, nous proposons désormais aussi aux gérants indépendants un outil technique facile à utiliser, appelé Epic, qui permet de configurer des Actively Managed Certificates (AMC). Au sein de cette enveloppe, le gérant peut décider lui-même de la sélection de titres («stock picking») et de la répartition de l’allocation d’actifs au sein du certificat. Il ne doit en revanche pas se préoccuper des aspects techniques. De plus, tous les éléments tels que les factsheets, rapport de performance sont aussi fournis. Au départ, cet outil pour les AMC était une solution que nous avions développée à l’interne mais que nous avons ensuite mise à disposition de nos clients intermédiaires également.
à deux dimensions à une nouvelle approche à trois dimensions.»
Nous investissons actuellement d’importantes ressources dans ce domaine. Un des objectifs est, par exemple, de pouvoir mesurer l’empreinte carbone, ou «CO2 footprint» en anglais, correspondant à chaque placement. Hormis les caractéristiques de risque et de rendement des portefeuilles, il faudra aussi toujours davantage tenir compte des critères de durabilité. Pour évaluer un portefeuille, on devra passer en quelque sorte d’une approche à deux dimensions à une nouvelle approche à trois dimensions dans un avenir proche.
Maintenant, quant à savoir si les gérants de fortune indépendants sont plus ou moins sensibles à ces aspects, il y a de tout. Certains d’entre eux n’ont pas encore fait grand-chose pour aller dans cette direction. Toutefois, si une demande dans ce sens vient de leurs clients, souvent sous la pression de la génération suivante, ils seront bien obligés de s’adapter et de tenir compte de la dimension de durabilité dans la gestion de leurs placements. En outre, ils devront aussi s’adapter aux nouvelles exigences réglementaires concernant la dimension durable des placements, notamment celles prévues par l’UE.
De notre côté, en tant que banque, notre rôle consiste à mettre à disposition ces informations et les outils adéquats pour des investissements durables aux gérants de fortune indépendants. Mais en fin de compte, c’est à ces derniers qu’incombe la décision finale d’intégrer ou non tel ou tel placement dans le portefeuille de leurs clients.