Lentement mais sûrement, les seniors travaillent plus longtemps. Le Japon semble un bon indicateur de la tendance. Selon le média Nikkei Asia, 30% des conducteurs de bus et de taxis japonais et 15% des employés de la construction et des soins infirmiers ont au moins 65 ans. Aujourd’hui, les employés japonais de 65 ans et plus représentent 10,6% de la population active, contre 7% au Etats-Unis et 4% en Allemagne, selon l’OCDE. Le Japon est-il le modèle qui va s’imposer? A quel rythme les autres pays industrialisés s’adaptent-ils?
Face au vieillissement démographique des pays industrialisés, les gouvernements modifient leurs législations afin de remédier aux problèmes de financement de leur système de retraite et aux nécessités de leur marché du travail. Ils augmentent par exemple les incitations à travailler plus longtemps, avec plus ou moins de succès, comme nous le verrons plus loin.
Les exemples du Japon et des Etats-Unis
Les réactions des entreprises et des individus permettront d’évaluer l’impact de ces mesures sur la croissance économique, l’inflation et les systèmes de retraite. Pour l’instant, les effets à long terme sont très incertains. Mais une constante ressort des études: les systèmes de retraite sont à la peine, y compris au sein des Etats-Unis, un pays où 11 200 salariés arrivent chaque jour à leur 65e anniversaire. Les plus âgés, soit les 65 ans et plus, sont 11 millions à travailler, soit quatre fois plus nombreux qu’au milieu des années 1980, selon une étude du Pew Research Center.
Près d’un Américain de 65 ans ou plus sur 5 continue de travailler. Il est vrai que la moitié des ménages américains risquent de ne pas disposer de ressources suffisantes à la retraite, selon le Center for Retirement Research, dans une étude citée par le magazine Barron’s. La première économie du monde dispose d’un système basé sur trois piliers, l’assurance sociale, une retraite organisée par les entreprises et l’épargne individuelle, mais elle a aussi besoin de le réformer.
Près de 40% des entreprises japonaises font travailler leurs employés jusqu’à 70 ans ou au-delà
Au Japon, autant les salariés que les entreprises repoussent les limites de la vie active. Près de 40% des entreprises japonaises font travailler leurs employés jusqu’à 70 ans ou au-delà, selon le Nikkei Asia. Signe de la rapidité de cette évolution, ce taux a doublé en une décennie. Les entreprises sont priées d’employer leurs salariés jusqu’à 65 ans s’ils le désirent depuis une loi votée en 2013, renforcée encore à partir de 2021. Ce qui était perçu par les entreprises comme un coût est aujourd’hui une nécessité face à la pénurie de main d’oeuvre; et pour les seniors c’est une source de revenu souvent essentielle. Toutefois, si les salaires des 65 à 69 ans ont augmenté en moyenne de 6% en une décennie, ils ont reculé de 9% pour les plus de 70 ans.
Forte croissance de l’activité des seniors
Il n’est pas aisé de comparer la situation entre les pays. L’International Social Security Project (ISS) essaie depuis 25 ans d’harmoniser les données et de tirer des enseignements de l’expérience de 12 pays. Ses études portent par exemple sur l’impact des systèmes d’incitations sur la participation des seniors au marché du travail. Axel H. Börsch-Supan and Courtney Coile résume, dans une étude parue en décembre, l’état de la recherche dans «The Effects of Reforms on Retirement Behavior: Introduction and Summary» (NBER, WP 31 979). Le projet se penche sur le Japon, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas, la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, le Canada, l’Italie, l’Espagne et la Belgique.
Un changement dramatique des tendances peut être observé ces dernières décennies. Au 20e siècle, l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter et le départ à la retraite de diminuer. Cette évolution résultait en grande partie de la prospérité économique et de ses conséquences. Mais depuis la fin des années 1990, un changement de tendance majeur s’est effectué: les seniors sont de plus en plus nombreux à prendre leur retraite plus tardivement et à maintenir une activité rémunérée souvent pendant de longues années.
Les résultants laissent songeurs: Après un long déclin, le taux d’emploi des hommes de 60 à 64 ans a nettement rebondi. Il s’est accru en moyenne de 21,8 points de pour-cent entre 1995 et 2020, au sein des 12 pays considérés, pour l’amener à 59,1%. Le taux de participation le plus élevé est celui du Japon (plus de 80%), puis de la Suède, des Pays-Bas, de l’Allemagne, du Danemark, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Canada, de l’Italie, de l’Espagne, de la Belgique et finalement de la France (moins de 35%. Les changements de tendance sont les plus prononcés en Allemagne et aux Pays-Bas.
La situation est peu différente pour les femmes, car leur taux de participation avait progressivement au siècle dernier. Mais depuis 1995, le taux s’est accru (26,8 points) encore plus rapidement que celui des hommes pour passer de 20,1 à 47%.
La moitié des ménages américains risquent de ne pas disposer de ressources suffisantes à la retraite
Quand la taxe se transforme en subvention
Les réformes des assurances sociales, des assurances invalidité et d’autres programmes de prestations sociales se sont multipliées depuis 40 ans. L’âge à partir duquel les prestations de vieillesse sont disponibles a été revu à la hausse et les mécanismes d’obtention en ont réduit la générosité.
Ces réformes ont fortement réduit ce que les experts nomment la taxe implicite sur le travail des plus âgés et sur l’obtention des prestations (en anglais: ITAX). Plus cette taxe implicite sur le travail est élevée et plus le taux de participation au marché du travail diminue.
Il ressort de cette étude que les incitations financières au travail des anciens sont positivement et fortement corrélées à l’augmentation du taux de participation au marché du travail. Dans les pays analysés, l’ITAX a clairement diminué, ce qui encourage le travail des anciens. Au Royaume-Uni, en Italie et en Suède, elle est même devenue négative, ce qui signifie que les seniors ne souffrent pas d’une taxe sur le travail mais qu’ils disposent d’une subvention pour travailler.
En Italie, l’ITAX s’élevait à 70% en 1990 et elle est de -8% en 2015. On note toutefois que son niveau est resté assez stable dans 4 pays (Canada, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni). En France, les réformes ont réduit la probabilité d’une retraite entre 55 et 59 ans, mais pas au-delà de 60 ans. L’ISS n’analyse toutefois pas d’autres facteurs d’influence, comme les effets de l’automatisation ni de la globalisation. Les auteurs de l’étude observent cependant que l’augmentation du travail des anciens est faiblement liée au niveau de santé et de formation ainsi qu’au taux de chômage. Par ailleurs, les réformes qui visent à encourager le travail des seniors ne diminuent pas le taux de participation des jeunes actifs.
Tout porte à croire que le sens des réformes ne sera pas modifié ces prochaines années. L’encouragement au travail des seniors pourrait être ralenti si l’espérance de vie devait reculer ou si la productivité devait (enfin) s’accélérer et produire une accélération de la croissance et de la prospérité. Mais on en est loin.