Retour gagnant pour les obligations... ou pas

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Après trois trimestres, l’obligataire souverain déçoit à quelques exceptions près. Alors que le haut rendement continue de performer.

«Retour gagnant pour les obligations», tel a été le mantra de la plupart des allocateurs d’actifs en ce début d’année 2023, après un millésime 2022 inhabituellement mauvais. Normal, car historiquement parlant, on n’a pratiquement jamais vu deux années négatives se succéder. Mieux, avec des taux d’intérêt réels qui redeviennent positifs, une désinflation qui s’annonce et des coupons qui retrouvent une certaine allure (au-delà de 4% et 2% sur les obligations souveraines américaines et européennes), que pouvait-il arriver de mauvais en 2023?

Ce d’autant que les banquiers centraux se sont sérieusement activés pour rattraper le retard qu’ils avaient accumulé après avoir cru (espéré) que l’inflation demeurerait transitoire.

Eh bien, après trois trimestres, l’obligataire souverain déçoit, à l’exception - symbolique - de la Chine, de la Suisse, voire de la Grande-Bretagne. Et, contre toute attente, le compartiment le plus risqué des actifs à revenu fixe, le haut rendement, continue de très bien performer. Reste à comprendre pourquoi.

En théorie, les rendements obligataires nominaux se décomposent en trois facteurs: les perspectives de croissance, les anticipations d’inflation, la prime de terme.

La croissance revue à la hausse

La croissance économique doit être considérée sous deux angles: structurel et cyclique. Le premier, c’est le flux de personnes arrivant sur le marché du travail (démographie favorable). Et d’une utilisation plus productive de cette main-d’œuvre et du capital. Le second, c’est le cycle du crédit, l’orientation budgétaire, etc.

Les marchés ont donc récemment fait monter les taux obligataires avant tout parce qu’ils ont revu à la hausse les perspectives de croissance économique.

Où en est-on sur ce premier facteur? L'émergence du thème de l'intelligence artificielle (IA) alimente l'espoir de gains de productivité importants, qui permettront une croissance structurelle plus élevée. De plus, la résilience de l'économie américaine implique qu'elle serait devenue moins sensible à la hausse des taux d'intérêt. En bref, les prévisions de croissance ont désormais été revues à la hausse.

Une inflation normalisée

En ce qui concerne le deuxième facteur, les anticipations d’inflation, il ne s’agit pas de l’inflation actuelle, sur la base des derniers chiffres publiés. Mais des anticipations - par le marché - de l’inflation (moyenne ou longue). Ce sont elles qui déterminent les décisions des consommateurs et des entreprises privées.

Et où en est-on sur ce deuxième facteur? Contrairement à la croyance populaire, les investisseurs ne sont généralement pas plus effrayés par une inflation débridée. Après le dérapage récent à la hausse, le marché escompte une inflation à long terme normalisée, proche de 2,3%.

Une prime de terme qui reste en territoire négatif

Quant à la prime de terme, elle provient du calcul entre différents points sur la courbe des taux. En résumé, un investisseur obligataire peut soit acheter des bons du Trésor à 3 mois et les «rouler» pendant les 10 prochaines années. Ou il peut acheter des obligations du Trésor à 10 ans. Quelle est la différence? Le risque de (changement des) taux d’intérêt! L’achat d’une obligation à 10 ans l’expose à l’incertitude concernant la croissance et l’inflation. Plus ces deux facteurs sont faibles, plus la prime de terme est basse et vice versa. Avec la répression financière, elle est même devenue… négative: les investisseurs ont payé les gouvernements pour avoir le privilège d’accéder à des instruments financiers à long terme. Avec le recul, tout le monde reconnait qu’il s’agissait-là d’une sorte de non-sens économique. L’émergence d’un régime économique différent, post-Covid, annonce la fin de cette étrange parenthèse.

Où en est-on sur ce troisième facteur? Normalement positive, la prime de terme a été écrasée par l’intense assouplissement quantitatif, pour atteindre un record de -1,5% pendant la pandémie. En dépit de la remontée des taux directeurs, elle reste légèrement négative, donc inférieure à sa fourchette historique de référence.

Les marchés ont donc récemment fait monter les taux obligataires avant tout parce qu’ils ont revu à la hausse les perspectives de croissance économique. Un peu aussi parce que l’incertitude économique croissante a provoqué un début de normalisation de la prime de risque. Tout cela est actuellement douloureux pour les portefeuilles équilibrés, mais finalement assez sain. Et on devrait être tout proche de la fin de ce processus si les grands prévisionnistes (BRI, OCDE, FMI, etc.) ont raison: la conjoncture devrait rester «faiblarde» ces prochains trimestres.

Une récession classique plutôt qu’un dangereux atterrissage en douceur

Mais… Et si l’inflation était devenue plus persistante et proche d’un point d’équilibre cyclique de ≈3%? Avec l’aval implicite (et silencieux) des gouvernements soucieux d’absorber le fardeau de la dette. Les taux longs américains devraient alors osciller autour de 5-5,5%, proches de la croissance nominale du pays (inflation 3% et croissance 2-2,5%). Ce ne serait probablement pas soutenable pour le Trésor américain, très endetté et empêtré dans son énorme refinancement qui se chiffre en trillions de dollars.

Dans le doute, on en arrive à espérer, rapidement, un ralentissement marqué, et assez probable de l’activité aux États-Unis. Une récession classique, qui serait de nature à casser la dynamique inflationniste, faire baisser les taux et donner un peu de temps aux décideurs pour élaborer une politique économique circonstanciée. Les obligations souveraines joueraient alors pleinement leur rôle d’absorbeur de choc.

L’atterrissage en douceur attendu par beaucoup d’investisseurs serait, paradoxalement, plus dangereux. Il finirait par restaurer une prime de terme clairement positive. Et probablement par engendrer une crise de la dette et/ou des réponses extrêmes/inappropriées en termes de politiques économiques.

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