Responsabiliser les entreprises avec des placements durables

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Un portefeuille 100% durable peut dégager des rendements comparables ou supérieurs à ceux des portefeuilles traditionnels.

En y regardant de plus près, les objectifs de l’initiative «Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement» se recoupent presque entièrement avec les critères qui se sont imposés dans le domaine des placements financiers durables.

Il y a deux ans déjà, la Recherche d’UBS affirmait que l’investissement durable représentait le meilleur contre-projet face à l’initiative pour des entreprises responsables, peu pertinente malgré ses objectifs louables.

Mais comme c’est souvent le cas pendant une campagne menée sur un ton de plus en plus strident à l’approche de la votation, les débats fondamentaux qui impliquent une vue plus large passent à l’arrière-plan. Les partisans de l’initiative avancent la notion des «méchantes multinationales» qui exploitent les populations des pays émergents par leurs chaînes de valeur de plus en plus mondialisées et qui détruisent l’environnement par pur soif de profit.

Les multinationales versus les gouvernements

Dans son dernier livre «Le capitalisme, sans rival. L’avenir du système qui domine le monde», Branko Milanovic, ancien économiste renommé de la Banque mondiale, avance un argument qui bouleverse complètement la thèse de la «méchante multinationale».

Selon lui, l’énorme progression des revenus dans de nombreux pays en développement et émergents, qui a sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté dans les trois dernières décennies et les a hissées dans la classe moyenne inférieure, est attribuable en premier lieu aux chaînes de valeur mondiales établies pendant cette période.

Aussi souvent que possible, un changement de comportement
doit être motivé par des incitations conformes au marché.

Ce sont avant tout les entreprises exerçant leurs activités à l’échelle mondiale qui, grâce à l’investissement dans la technologie et dans des sites de production dans les pays émergents, ont été à l’origine d’énormes gains de productivité, et donc de revenus. Et c’est surtout vrai aussi dans les pays où règne la corruption dans les institutions étatiques (gouvernement, administration, parlement et système de justice), où les élites politiques s’enrichissent sur le dos des populations pauvres et où sévit un environnement économique qui étouffe quasiment toute initiative entrepreneuriale.

En d’autres termes, les multinationales font en sorte qu’il existe, au sein de leurs chaînes de valeur tout au moins, un minimum de sécurité juridique et de prévisibilité. Cela crée des conditions de développement qui devraient en fait être assurées par les gouvernements nationaux. Il incomberait aussi à ces derniers de veiller au respect des droits humains et à l’application de normes environnementales minimales.

Pour caricaturer, on pourrait ainsi formuler l’antithèse suivante aux arguments des partisans de l’initiative pour des entreprises responsables: les artisans de l’aide au développement et de la lutte contre la pauvreté les plus efficaces au cours des dernières trente à quarante années ont été les entreprises actives à l’échelon international, par le biais de la création de leurs chaînes de valeur mondiales. En revanche, les échecs étaient dus en premier lieu aux Etats respectifs.

Inciter au lieu d’interdire

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe aucun potentiel d’amélioration dans certains cas. La question qui se pose ici est de savoir quels instruments il convient d’utiliser pour inciter à une modification du comportement. Du point de vue économique, il existe une liste claire de priorités.

Aussi souvent que possible, un changement de comportement doit être motivé par des incitations conformes au marché. Et ce n’est qu’en dernier ressort que l’Etat doit intervenir sous forme de prescriptions et d’interdictions. Par définition, ces dernières doivent toujours être surveillées, suivies et sanctionnées par une autorité étatique. L’expérience a montré que cela s’accompagne d’un net alourdissement de la charge administrative et d’un accroissement additionnel de la bureaucratie gouvernementale.

Dans le cas de l’initiative pour des entreprises responsables en particulier, la surveillance des sociétés helvétiques actives à l’étranger, qui englobe toutes leurs chaînes d’approvisionnement, prendrait des formes absolument grotesques. Pour cela, il suffit d’imaginer, par exemple, que le tribunal du district d’Hérens (VS) doive juger, dans le cadre d’une plainte en justice, si le fournisseur colombien d’un importateur de café suisse a, sur sa plantation située à 300 kilomètres au nord de Bogota, respecté ou non une norme environnementale donnée.

Depuis le début de l’année, les principaux indices durables ont enregistré
une meilleure performance que leurs homologues traditionnels.

En revanche, les mécanismes du marché peuvent donner des impulsions d’une manière qui n’exige qu’une implication étatique minimale. Actuellement, grâce à la généralisation croissante des techniques de placement durables, de tels mécanismes de marché efficaces sont en train d’apparaître. Ces derniers peuvent en particulier inciter les grandes multinationales à adopter des pratiques plus responsables en termes de respect de la nature et de normes sociales.

L’évolution des méthodes

Cela fait bien des années déjà que les intermédiaires financiers offrent aux investisseurs la possibilité de placer leur argent en fonction de critères de durabilité. Dans un premier temps, cette forme de placement était exécutée à l’aide de moyens très simples, notamment le principe d’exclusion. Ainsi, les portefeuilles étaient qualifiés de durables dès lors que certains secteurs, tels que l’armement, l’alcool et le tabac, en étaient exclus.

Toutefois, cette façon de faire n’a plus grand-chose en commun avec les solutions de placement durable qui peuvent être mises en œuvre grâce aux méthodes les plus récentes. Aujourd’hui, différents établissements évaluent les entreprises cotées en bourse sur la base des critères dits «ESG» (E = environnement, S = social et G = gouvernance, ou gestion responsable de l’entreprise).

Par conséquent, seuls les instruments financiers (tels que les actions ou obligations) d’entreprises qui remplissent les exigences les plus rigoureuses à cet égard sont pris en compte dans un portefeuille d’investissement durable.

La discipline exercée par les investisseurs a des effets

Lorsque non seulement de grands investisseurs institutionnels, mais aussi des particuliers engagent une part toujours croissante de leur fortune dans des solutions durables, il en résulte avec le temps un effet disciplinaire extrêmement efficace sur le marché des capitaux.

Les entreprises qui affichent de mauvaises notes dans les domaines de l’environnement, des normes sociales ou de la gouvernance auront de plus en plus de mal à trouver des financements, ou devront les payer à un prix bien plus élevé. En revanche, celles qui agissent de manière exemplaire sont récompensées par la possibilité de se financer sur le marché des capitaux à des conditions plus avantageuses.

Si l’investissement durable devient de plus en plus la norme parmi les solutions choisies par les clients, cet effet disciplinaire du marché des capitaux constituera un moyen bien plus efficace d’atteindre les objectifs que l’initiative sur les entreprises responsables cherche à réaliser à grand renfort d’interdictions et de prescriptions. C’est pourquoi la Recherche d’UBS recommande en priorité les placements durables aux clients qui investissent au plan international.

Les avantages d’un portefeuille durable

Par ailleurs, il s’avère de plus en plus qu’un portefeuille 100% durable peut dégager des rendements comparables ou supérieurs à ceux des portefeuilles traditionnels. Il peut également offrir une meilleure diversification aux clients qui investissent à l’échelon mondial, même si les placements classiques peuvent rester la solution la plus appropriée dans certaines circonstances.

Depuis le début de l’année, les principaux indices durables ont enregistré une meilleure performance que leurs homologues traditionnels. Récemment, la Recherche d’UBS a aussi adopté un style d’investissement durable pour l’ensemble des fonds de placement détenus par des clients dans le cadre du pilier 3a. Cela a, de la sorte, ajouté un volume de placement conséquent, qui contribue à renforcer l’effet disciplinaire des marchés sur le comportement des entreprises.

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