Dopée par la flambée des cours du pétrole brut, Saudi Aramco a récemment détrôné Apple du rang de première capitalisation boursière mondiale.
Fondée en 1933 et basée à Dharan, Saudi Aramco est de loin la plus grande société d'exploration et de production de pétrole au monde, fournissant plus d'un dixième du pétrole mondial et générant actuellement plus d’un milliard de dollars de revenus par jour. Dans le cadre d'une concession de 60 ans, Aramco a accès à des réserves de pétrole de 270 milliards de barils, soit plus d'un cinquième des réserves pétrolières mondiales et plus de dix fois la taille des réserves d’Exxon Mobil. Aramco possède également près de 294 trillions de pieds cubes standard (scf) de réserves de gaz naturel. Les rapports suggèrent qu'Aramco est le deuxième producteur mondial de pétrole brut (derrière le Venezuela) avec une production de 10,2 millions de barils par jour. Aramco fait partie des rares sociétés qui continue à investir afin d’augmenter ses capacités de production. Son ambition: passer d’une capacité de 12 millions de barils par jour à 13 millions. En ce qui concerne le gaz naturel, l’objectif est d’augmenter les capacités de 50% d’ici à 2030. Des investissements très lourds qui pourraient s’élever à 40 et 50 milliards de dollar cette année contre 32 milliards l’année passée. A noter que cette enveloppe comprend également des investissements dans l’hydrogène et des énergies renouvelables.
Saudi Aramco n'est pas seulement un géant de l'amont, mais il possède également des actifs en aval, comme la Sadara Chemical Company – une Joint-Venture de 20 milliards de dollars avec Dow Chemical – et la plus grande usine chimique jamais construite en une seule phase. Sadara utilise le pétrole et le gaz pour produire une gamme de composants chimiques spécialisés que l'on retrouve dans de nombreux produits finis, tels les cosmétiques ou encore les pièces automobiles. Cette usine illustre la volonté d'Aramco (et donc du gouvernement saoudien) de développer des industries à plus forte valeur ajoutée comme la pétrochimie, qui peuvent s'appuyer sur les ressources naturelles du Royaume plutôt que de les remplacer. Amin Nasser, PDG d'Aramco, a présenté l'usine de Sadara comme la démonstration que Saudi Aramco est un acteur essentiel de la diversification économique de l’Arabie Saoudite.
L'expansion du raffinage à l'échelle mondiale est un autre enjeu à long terme pour Aramco. La société d'État exploite déjà des entreprises communes internationales et nationales dans le domaine du raffinage, telles que Motiva (partenaire: Shell) ou Saudi Aramco Total Refining and Petrochemical (partenaire: Total).
En prenant des participations dans des raffineries étrangères, la société saoudienne veut sécuriser des parts de marché dans des pays où la croissance de la demande est forte – exemple: Chine, Inde et Indonésie.
L'expansion des actifs en aval d'Aramco montre que les dirigeants saoudiens ont compris qu’ils avaient jusqu'à présent perdu une valeur considérable en exportant des produits de base et en important des produits finis à plus forte valeur ajoutée. L'accent mis sur la pétrochimie montre comment le développement de la «nouvelle économie» promue par le Prince Mohammed Bin Salman (MBS) est financée par les hydrocarbures. La stratégie: exploiter et préserver leur principale ressource – pétrole et gaz – au moins pour les 20 prochaines années et utiliser ces revenus pour développer de nouveaux secteurs.
Aramco contribue de manière significative à l'économie saoudienne: 45% du PIB de l'Arabie saoudite, 90% des recettes d'exportation du pays et près de 90% des recettes budgétaires proviennent de Saudi Aramco. Mais Aramco n’est pas seulement la plus grande entreprise saoudienne. C’est aussi une référence pour le Royaume. En effet, l'entreprise publique emploie un nombre considérable de personnes (environ 67 000 employés). Elle est également considérée par beaucoup comme un modèle de la société plus dynamique et ouverte que MBS tente de promouvoir.
Fondée au début des années 1930 dans le cadre d'un partenariat avec la Standard Oil des États-Unis, la société est fière d'embaucher les jeunes Saoudiens les plus brillants - un symbole de méritocratie dans une culture tribale. Elle s'efforce d'atteindre les plus hauts standards d'excellence opérationnelle, dispose d'une main-d'œuvre multinationale et possède des structures comptables et de gouvernance qui n’ont rien à envier à celles des «majors» de l’industrie pétrolière tels qu’ExxonMobil. Dans l'enceinte de Dhahran, hommes et femmes travaillent côte à côte depuis des décennies avec un mode de vie similaire à celui des sociétés occidentales.
Les gigantesques dividendes payés à l’Etat Saoudien sont reversés dans le fonds souverain PIF («Public Investment Fund») à l’instar de ce que pratique la Norvège via son «Government Fund». Le fonds PIF investit une partie de ses 450 milliards de dollar d’actifs sous gestion dans de grandes multinationales et notamment dans les sociétés dites de croissance telles que Tesla, Uber ou Softbank. A noter que PIF a publiquement déclaré vouloir investir de manière significative dans des titres labélisés ESG – sans toutefois donner de détails sur la taille de ces investissements.
En décembre 2019, l’action Saudi Aramco a fait son entrée à la bourse de Riyad (Tadawul) et levé 25,6 milliards de dollars US, ce qui en a fait la plus grande introduction en bourse du monde, succédant à celle du groupe Alibaba en 2014. Le flottant est de 1.7%, ce qui implique que 98.3% du capital est resté dans les mains de l’Etat.
Ce mois-ci, Saudi Aramco est devenue la plus grande société cotée au monde, sa capitalisation boursière atteignant les 2'430 milliards de dollars et détrônant de facto celle d’Apple. Un changement de leadership qui est également intervenu à la faveur du plongeon des valeurs technologiques.
Parmi les avantages concurrentiels d’Aramco, citons tout d’abord le coût de production qui s’élève à environ 10 dollars par baril, soit très nettement inférieur au coût de 25 à 80 dollars par baril des entreprises américaines.
Les investissements productifs réalisés que cela soit dans les capacités de production d’hydrocarbures ou ceux liés à la diversification de l’entreprise font également partie des forces d’Aramco. A noter qu’Aramco a peut-être le bilan le plus sain de toute l’industrie, avec une dette nette (dette moins liquidités) divisée d’environ 6%.
Le modèle de redistribution des revenus au Royaume confère à la fois des avantages et inconvénients pour les actionnaires minoritaires. Tout d’abord, Aramco paye des «royalties» sur les revenus générés sur la base d’un taux variable: 20% lorsque le prix du baril se traite en dessous des 70 dollars, 40% entre 70 et 100 dollars et enfin 50% au-dessus de 100 dollars. Bien que le prix de l’action d’Aramco est très fortement corrélé au prix du baril, ce taux de royalties progressif offre une certaine protection à la baisse pour l’actionnaire puisque le taux de royalties payées diminue lorsque le prix du baril baisse.
En plus des royalties, Aramco paye des impôts conséquents au Royaume. Le taux d’imposition actuel est de 50% de taxe sur les bénéfices. Ce taux était de 85% avant l’entrée en bourse en 2019. Une des difficultés à analyser le potentiel d’appréciation et les risques sur le titre Aramco provient du fait qu’il existe un point d’interrogation sur la stabilité à long-terme de ce taux d’imposition. Si le pouvoir en place décide subitement d’accélérer certaines dépenses liées à la diversification économique du pays, ou en cas d’effondrement du prix du baril, sera-t-il tenté d’augmenter ce taux d’imposition?
Le 15 mai, Aramco a annoncé un bond de 81% de son bénéfice net au premier trimestre 2022. La flambée des cours du pétrole et l'amélioration des marges en aval (raffinage et distribution) ont propulsé le bénéfice net à 39,5 milliards de dollars, contre 21,7 milliards de dollars sur la même période en 2021. Il s’agit du meilleur trimestre depuis l'introduction en bourse en 2019.
Le géant pétrolier a également annoncé vouloir augmenter son capital en émettant 20 milliards d'actions distribuées gratuitement aux actionnaires, selon le ratio d'une action offerte pour dix détenues. Un dividende de 18,8 milliards de dollars sera versé au deuxième trimestre.
Saudi Aramco envisage une introduction en bourse de sa branche de négoce dans ce qui pourrait être l'une des plus importantes cotations au monde cette année. Goldman Sachs, JPMorgan et Morgan Stanley étudient actuellement la possibilité d'une cotation d'Aramco Trading Co avec une évaluation cible supérieure à 30 milliards de dollars. Aramco pourrait vendre une participation de 30% dans la division. Les grandes sociétés pétrolières mondiales ont pour la plupart préféré ne pas coter leurs unités de négoce, craignant de révéler certaines informations confidentielles. Il n'y a donc aucune certitude quant à la cotation d’Aramco Trading. D'autres filiales d'Aramco sont déjà cotées, notamment le fabricant de produits chimiques Saudi Basic Industries et Rabigh Refining & Petrochemical. La société de raffinage Luberef pourrait également faire son entrée en bourse.
D’autre part, l'Arabie saoudite a entamé des discussions préliminaires sur une nouvelle offre d'actions d'Aramco, qui pourrait permettre de lever plus de fonds que l'offre historique d'il y a deux ans.
Dans le contexte actuel, les marchés d’actions de la région MENA (Middle East and North Africa) affichent des surperformances importantes par rapport aux indices mondiaux et le MSCI Emerging Markets index. La plupart des pays de la zone MENA profitent des effets directs et indirects de la hausse du prix des hydrocarbures sur la croissance économique de la région. Saudi Aramco est le titre «blue chip» par excellence dans cet univers d’investissement qui reste relativement «niche» pour les investisseurs internationaux. Le titre Aramco est en hausse de 21% depuis le début de l’année.
Concernant la valorisation du titre, Aramco (2222.SR) se traite actuellement sur une base de multiple cours / bénéfice de 15 fois les bénéfices par action attendus pour 2022 et 16 fois 2023, soient des PE comparable ä ceux d’Exxon Mobil ou Chevron. Le rendement du dividende s’élève à 3,4% mais il est appelé à augmenter du fait d’une augmentation des dividendes distribués.
Dans un avenir proche, Aramco pourrait continuer de bénéficier des cours du baril élevés. Toutefois, cet investissement comporte des risques.
Outre sa corrélation élevée avec le prix de l’énergie, le titre n’est bien entendu pas considéré comme compatible avec les critères ESG. Aramco est d’ailleurs le plus grand émetteur de gaz à effet de serre de la planète. On estime que la société est responsable à elle seule de 4% des émissions cumulées depuis 1965.
Le titre fait également face à des risques géopolitiques. L’Arabie Saoudite a toujours entretenu des relations pour le moins ambivalentes avec les Etats-Unis. Bien évidemment, le pétrole constitue la base des relations américaines avec Riyad. Mais des tensions persistent. L’Arabie Saoudite maintient de bons rapports avec la Russie alors que le Président Biden et MBS ne semblent pas être dans les meilleurs termes. Il est difficile d’anticiper la manière dont ces relations vont évoluer ces prochaines années.
Saudi Aramco est également confrontée à des problèmes de sécurité liés à la guerre menée par la coalition militaire dirigée par l'Arabie saoudite contre les rebelles Houthis du Yémen, qui ont ciblé à plusieurs reprises le Royaume. En 2019, des attaques par drones revendiquées par les Houthis contre deux installations d'Aramco dans l'est de l'Arabie saoudite ont temporairement interrompu la moitié de la production de brut en Arabie Saoudite. En mars, une attaque des Houthis contre des installations d'Aramco a encore provoqué une baisse «temporaire» de la production.
Enfin, un élément technique important: le titre est seulement côté en Arabie Saoudite. Les investisseurs doivent donc passer par un intermédiaire qui possède les accès au Tadawul.