Qui dit plus d’inflation dit plus d’Etat

Anne Barrat

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Pour Jacques Henry, Pictet Wealth Management, davantage de risque sera nécessaire à l’avenir pour garantir le capital comme pour générer des rendements plus modestes.

Réunis la semaine dernière pour leur tour d’horizon 2022, les experts de Pictet Wealth Management se sont accordés pour identifier le retour de l’Etat au centre de la scène économique. Après un demi-siècle dominé ce que d’aucuns ont appelé, à tort ou à raison, la dictature de marchés, le grand retour d’une inflation durable remet à l’honneur une économie plus dirigée, que nombre de décideurs occidentaux n’ont connue qu’à travers les livres d’histoire. Quelles conséquences pour l’allocation d’actifs dans les années à venir? Réponse avec Jacques Henry, leader cross asset chez Pictet Wealth Management

«Tout s’est passé comme si, pour éviter une nouvelle dépression, on avait essayé de guérir un malade de la dette avec toujours plus de dette.»

Nos économies demandent de plus en plus de dette pour créer de moins en moins de croissance. Progressivement, lentement mais sûrement, depuis près de quinze ans, la dette a comblé le déficit de croissance, preuve en est l’envolée du taux de dette globale en pourcentage du PIB. N’étaient-ce les conséquences inflationnistes de la pandémie de COVID, relayées par celle du conflit russo-ukrainien, et amplifiées par le budget de la transition énergétique, les banques centrales auraient peut-être continué à utiliser la même recette. Sauf qu’elle ne prend plus, les ingrédients étant en rupture de stock. Rupture du stock de dette en particulier, qui n’a d’autre substitut que l’inflation. Les banques centrales n'ont plus le choix. «La problématique de la dette accumulée, qui limite aujourd’hui la marge de manœuvre des banques centrales, n’est pas nouvelle, explique Jacques Henry. Elle existait déjà à la veille de la crise de 2008, et n’a pas qu’empirer, progressivement, depuis. Tout s’est passé comme si, pour éviter une nouvelle dépression, on avait essayé de guérir un malade de la dette avec toujours plus de dette.»

La dette, ennemie n°1 du cash et de l’obligataire souverain

Douloureuse est l’addition, qui n’est guère favorable à la détention de cash, encore moins à celle de dettes souveraines, tant il est prévisible que la croissance réelle pâtisse d’une inflation sous-estimée dans son ampleur comme dans sa durée, pour ne pas dire durabilité. «L’obligataire souverain, souligne Jacques Henry, ne présente pas grand intérêt avec la remontée des taux engagée par la Fed suivie de toutes les autres banques centrales, à l’exception de la BoJ, depuis le début de l’année, qui a entraîné une perte de capital importante. Le rendement annuel du T bond à 10 ans devrait s’établir à 1,7% sur la prochaine décennie, celui des obligations souveraines européennes à zéro ou à peine plus. Seuls les émergents offrent des perspectives de rendement sur les obligations souveraines, en devise locale et en dollar, plus attractives, mais avec un niveau de risque plus élevé.» Les perspectives semblent un peu moins sombres du côté du crédit, en particulier sur les corporate high yield, de qualité, dont la performance attendue s’établit entre de 3,2% et 3,9% au niveau global.

«La double pression sur les marges et sur les niveaux de valorisation générée par l’inflation effacera la bonne tenue des chiffres d’affaires que nous prévoyons.»
Une forte prime au risque

La grande différence pour les investisseurs dans cet environnement en rupture avec quelque 40 ans de déflation vient des projections sur les marchés actions: «du côté des actions, l’horizon semble moins dégagé qu’il ne l’était cette dernière décennie, la déception pouvant être au rendez-vous pour des investisseurs habitués aux 15% de rendement annuel qu’ont servis les marchés américains depuis 2012. La double pression sur les marges et sur les niveaux de valorisation générée par l’inflation effacera la bonne tenue des chiffres d’affaires que nous prévoyons. Concrètement, précise Jacques Henry, les marchés actions développés devraient globalement offrir un rendement de 6% par an pour la prochaine décennie, alors qu’historiquement ce niveau était plus proche de 9%.» Que reste-t-il, sinon les actifs non cotés? «Les investisseurs prêts à supporter l’illiquidité seront récompensés par des rendements sensiblement supérieurs aux actifs cotés. Des rendements de l’ordre de 9% pour le private equity, et de 5,3% pour la dette privée, soit une prime de 150 bp par rapport à la dette high yield, font des marchés privés la classe d’actifs la mieux positionnée en termes de rentabilité, conclut Jacques Henry.»

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