Pourquoi l’inflation aux Etats-Unis a peut-être atteint son point culminant

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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En mars, les prix à la consommation aux Etats-Unis sont ressortis en hausse de 8,5% en glissement annuel. Il s’agit du taux le plus élevé depuis 1981.

© Keystone

Il semble également que la pression à la hausse des prix fait tache d’huile. Le baromètre de l’inflation à moyenne tronquée de la Réserve fédérale de Cleveland, qui fait abstraction des variations de prix aux deux extrémités, a franchi le seuil des 6% pour la première fois depuis le début de cette série statistique, il y a près de quarante ans.

De son côté, l’indice des prix à la consommation (IPC) «sticky prices» de la Réserve fédérale d’Atlanta (qui repose sur un panier de biens dont les prix sont assez rigides) a atteint son plus haut niveau depuis trente ans.

Le relèvement des taux: un frein à la croissance

La publication de ces chiffres s’est accompagnée de nouvelles déclarations incisives de la Réserve fédérale américaine (Fed). Le président de son antenne de Saint-Louis, James Bullard, a estimé qu’il était fantaisiste d’imaginer que l’inflation puisse être ramenée à des dimensions acceptables sans que les taux directeurs ne soient portés à des niveaux qui freineraient la croissance économique. Le gouverneur Christopher Waller a noté que le relèvement des taux d’intérêt pour juguler l’inflation s’apparente à une massue qui causera quelques dommages collatéraux.

Le 19 avril, le rendement des bons du Trésor américain à dix ans a grimpé à 2,90%. Désormais, les marchés reflètent une probabilité de 98% d’un relèvement des taux de la Fed de 50 points de base en mai. Néanmoins, un examen plus minutieux des chiffres révèle que l’inflation commence à décroître. Explications.

La pression sur les prix s’atténue

Certains signes montrent que les distorsions de prix induites par la pandémie commencent à s’atténuer et que les prix de certains biens sont même en train de fléchir. En mars, l’IPC, hors énergie et alimentation, est ressorti en hausse de 0,3% en glissement mensuel, la plus faible progression depuis septembre.

Les prix des biens essentiels, qui avaient flambé en raison d’une forte hausse de la demande pendant la pandémie, ont diminué (-0,6%) pour la première fois depuis février 2021. Les prix des voitures d’occasion, qui ont énormément augmenté depuis le début de la crise sanitaire, ont chuté de 3,8% en glissement mensuel. Et l’on observe également des baisses de prix pour certains biens électroniques, y compris les télévisions et les smartphones.

Ces derniers mois, la consommation des ménages se détourne des biens durables et certains goulots d’étranglement du côté de l’offre sont en train de se résorber. Résultat, la pression à la hausse des prix des biens essentiels est en train de s’atténuer.

L’hypothèse d’une forte inflation persistante demeure un risque majeur pour les investisseurs, qui est susceptible d’obliger la Fed à accélérer le resserrement de sa politique monétaire au détriment du pouvoir d’achat des consommateurs.

Les chiffres de l’inflation dans le secteur des services sont moins encourageants. Mais cette inflation découle en partie d’une hausse des tarifs des compagnies aériennes de 10,7% en glissement mensuel, reflet de la hausse des prix des carburants.

Le ralentissement de l’inflation

L’inflation devrait également ralentir en raison des effets de base. La récente hausse des cours du pétrole devrait s’atténuer. La Recherche d’UBS table sur un baril de Brent à 115 dollars en fin d’année (contre 112 dollars actuellement). A moins d’une nouvelle flambée des prix de l’énergie, les comparaisons en glissement annuel devraient se traduire par une décrue de l’inflation dans les mois à venir.

Plus généralement, les investisseurs ne doivent pas oublier que les récents chiffres comparent une économie normale à une économie paralysée par la pandémie. En avril, les chiffres compareront une économie normale à une économie en cours de déconfinement et dans laquelle les prix avaient déjà commencé à augmenter. Cet été, ils devraient comparer une économie normale à une économie relativement normale en 2021. Les chiffres de l’inflation devraient alors devenir moins préoccupants.

Les salaires ne sont pas inflationnistes

Jusqu’ici, les augmentations de salaires rapides s’accompagnent de gains de productivité, ce qui tempère l’impact inflationniste des rémunérations plus généreuses. Le baromètre des salaires de la Réserve fédérale d’Atlanta met en évidence une progression de 6% en mars (moyenne mobile sur trois mois), le taux le plus élevé depuis la création de cette série statistique.

Toutefois, les salaires ne sont inflationnistes que s’ils ne s’accompagnent pas de gains de productivité. Or cette dernière augmente. Ainsi, la progression annuelle de 0,9% des coûts unitaires de main d’œuvre aux Etats-Unis au quatrième trimestre est conforme à celle observée lors des deux dernières décennies.

Une décrue de l’inflation plausible

L’hypothèse d’une forte inflation persistante demeure un risque majeur pour les investisseurs, qui est susceptible d’obliger la Fed à accélérer le resserrement de sa politique monétaire au détriment du pouvoir d’achat des consommateurs.

Malgré ce risque, on observe des signes encourageants, qui laissent entrevoir une décrue de l’inflation jusqu’à la fin de l’année. Dans le scénario de référence d’UBS, cela permettrait aux banques centrales de ralentir le rythme du resserrement monétaire et de tempérer leur discours. Le risque d’atterrissage brutal de l’économie s’en trouverait amoindri.

En outre, malgré l’érosion du pouvoir d’achat liée à l’inflation, son impact sur les ménages est atténué par la diminution des mensualités de crédit hypothécaire. En effet, de nombreux propriétaires immobiliers ont pu, ces dernières années, renégocier leur prêt à des taux avantageux.

 Les pirates informatiques à la solde d’un Etat sont habiles et difficiles à neutraliser. Les récents incidents ont permis de constater qu’ils disposent de nouveaux outils pour mener des attaques sophistiquées.

Si le rythme de la décrue de l’inflation est incertain, l’économie peut encore échapper à la récession. Dans ce contexte, même si la Recherche d’UBS reste neutre à l’égard des actions dans l’ensemble et décèle toujours des titres sous-évalués, notamment ceux exposés à des thèmes de long terme comme la 5G, la mobilité intelligente, ainsi que l’automatisation.

Dès lors, quels sont les messages clés? Tour d’horizon.

1. Aux Etats-Unis, les bénéfices devraient bien résister

Les marchés d’actions sont malmenés par la hausse des rendements obligataires, qui réduit l’attractivité des actions par rapport aux obligations. Le rendement des bons du Trésor américain à dix ans, qui s’élevait à 2,39% début avril, tourne désormais autour de 2,90%. La pérennité de la croissance des bénéfices aux Etats-Unis revêt une importance grandissante.

Alors que la saison des résultats du premier trimestre démarre aux Etats-Unis, les entreprises sont confrontées à plusieurs défis, comme la forte inflation dans le pays et l’inquiétude inspirée par la guerre en Ukraine, ainsi que la poursuite des confinements en Chine.

La Recherche d’UBS table toujours, malgré tout, sur une solide croissance des bénéfices, de l’ordre de 10%, grâce à la bonne tenue de l’économie américaine. Cette dernière reste en bonne santé et elle est moins vulnérable que l’économie européenne aux répercussions de la guerre en Ukraine.

Contrairement à l’Europe qui est très dépendante de l’énergie russe, les Etats-Unis sont un pays exportateur net de pétrole et de gaz. En outre, un ralentissement en Europe ne devrait pas enrayer la croissance des bénéfices aux Etats-Unis dans la mesure où les entreprises du S&P 500 ne réalisent que 14% de leur chiffre d’affaires en Europe.

La consommation des ménages devrait favoriser une forte croissance des chiffres d’affaires en dépit de l’érosion de l’épargne excédentaire engrangée pendant la pandémie, d’autant que les créations d’emplois et les augmentations de salaires sont au rendez-vous. La progression des salaires de 6% en mars (moyenne mobile sur trois mois) est un motif d’inquiétude pour la Fed. Mais, pour les entreprises qui s’adressent aux consommateurs, c’est de bon augure. Enfin, lorsque l’indice ISM manufacturier est supérieur à 55, les bénéfices sont revus à la hausse dans 85% des cas. Or cet indice se situe actuellement à 57,1.

Conclusion: on peut tabler sur une croissance du bénéfice par action de 10% cette année et de 7% l’an prochain pour les entreprises du S&P 500. Le scénario de référence d’UBS envisage un indice S&P 500 à 4700 points en fin d’année, contre 4390 à l’heure actuelle.

2. Les nombreuses cyberattaques soulignent l’importance des dépenses de sécurité

La récente vague de piratages informatiques met en évidence les risques qui pèsent sur les Etats, sur les entreprises, ainsi que sur les individus. Le FBI affirme avoir contrecarré une attaque orchestrée par le renseignement militaire russe. Microsoft a indiqué avoir neutralisé des sites utilisés par un groupe de pirates informatiques proche du Kremlin qui s’en prenait à des entités américaines, européennes et ukrainiennes. Selon Bloomberg, au moins sept centres de pilotage du réseau électrique indien ont été infiltrés par des pirates issus des services de renseignement chinois.

Cette recrudescence des attaques témoigne de la nécessité d’investir dans la cybersécurité. Les pirates informatiques à la solde d’un Etat sont habiles et difficiles à neutraliser. Les récents incidents ont permis de constater qu’ils disposent de nouveaux outils pour mener des attaques sophistiquées.

Par ailleurs, le gouvernement américain a déjà revu à la hausse les crédits alloués à la cybersécurité civile en 2023 (10,9 milliards de dollars, soit 11% de plus sur un an, dont 2,5 milliards de dollars pour l’Agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA).

Conclusion: les valeurs de la cybersécurité présentent toujours une valorisation raisonnable, avec des ratios valeur d’entreprise/chiffre d’affaires proches de leur moyenne des cinq dernières années. La cybersécurité, ainsi que l’intelligence artificielle et les big data s’inscrivent dans la thématique de l’entrée dans l’ère de la sécurité.

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