Inversion de la courbe des taux face au spectre grandissant de la récession

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Le risque de fausse alerte a peut-être augmenté en raison de la répression financière menée par les banques centrales lors des dix dernières années.

©Keystone

Il y a dix jours, les marchés d’actions ont poursuivi leur récent rebond. En effet, l’indice MSCI All Country World a terminé la semaine en question 3,5% plus haut qu’à la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le 1er avril, l’indice S&P 500 était remonté de 9% par rapport à son creux annuel de début mars et il n’était qu’à 5,2% de son sommet historique. L’Euro Stoxx 50 a rebondi encore plus vite (+11,8% sur la même période).

Les obligations ne sont pas à le même enseigne

En revanche, les marchés obligataires reflètent toujours un pessimisme grandissant quant aux perspectives économiques. L’écart de rendement entre les bons du Trésor américains à deux ans et ceux à dix ans, un baromètre prisé de la peur de la récession, est devenu négatif. Il y a encore un an, cette partie de la courbe des taux avait atteint un sommet intra-journalier de 162 points de base (pb).

Les investisseurs ont pu constater une inversion de cette partie de la courbe des taux avant chacune des dix dernières récessions. D’autres parties de la courbe (2-30 ans et 5-30 ans) se sont également inversées.

L’interprétation de la courbe des taux relève davantage de l’art que de la science.

Dès lors, la Recherche d’UBS estime que le risque de brusque ralentissement économique ou de récession s’est accentué. Cela est à mettre sur le compte de la perspective d’un relèvement plus rapide des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed), ainsi que des répercussions de la guerre en Ukraine. Néanmoins, cette issue est loin d’être inéluctable car l’interprétation de la courbe des taux relève davantage de l’art que de la science. Explications.

Résilience de l’économie américaine

Les statistiques américaines suggèrent toujours que l’économie résiste bien, y compris sur le front de l’emploi. Le rapport sur l’emploi salarié non agricole aux Etats-Unis a fait état de 431 000 créations de postes en mars et les chiffres relatifs aux deux mois précédents ont été revus à la hausse (95'000 embauches supplémentaires au total). Résultat, au premier trimestre, l’économie américaine a créé près de 1,7 million d’emplois, soit en moyenne 562'000 par mois.

Le taux de chômage est tombé de 3,8% à 3,6% et le taux d’activité a grimpé à 62,4%, soit leur meilleur niveau depuis le début de la pandémie. Le salaire horaire moyen est ressorti en hausse de 0,4% en glissement mensuel et de 5,6% sur un an, ce qui est non négligeable.

Plus généralement, l’indicateur GDPNow de la Fed d’Atlanta, qui donne une estimation courante de la croissance du PIB réel sur la base des données disponibles, suggère une accélération de l’activité ces dernières semaines.

Une inversion n’est pas forcément une récession…

On observe souvent un délai long et variable entre une inversion de la courbe des taux et une récession. Lors de trois des dix dernières inversions de la courbe des taux aux Etats-Unis, il a fallu attendre deux ans pour qu’une récession intervienne. Même lorsqu’une inversion a effectivement été suivie d’une récession, le timing est incertain. En moyenne, les récessions sont intervenues 21 mois après l’inversion, avec un intervalle de 9 à 34 mois.

Par ailleurs, il n’y a aucune certitude quant au segment de la courbe le plus fiable pour anticiper une récession. Par conséquent, il se peut que les investisseurs s’inquiètent pour rien. La partie 5-30 ans de la courbe est particulièrement peu fiable car elle a signalé à tort une récession en 1994 et elle n’a pas anticipé la crise de 2008.

Les taux courts sont affectés par le cycle de resserrement de la Fed, qui pourrait être le plus rapide depuis 1994.

Enfin, d’autres segments de la courbe restent relativement pentus, notamment entre les échéances trois mois et deux ans, dont l’écart de rendement avoisine 178 pb à l’heure actuelle, un niveau record.

… ni un signal pour vendre les actions

Les inversions ne constituent pas un signal de vente pour les investisseurs en actions. Depuis 1976, le S&P 500 a rapporté en moyenne 2% lors des trois mois qui suivent une inversion de la courbe des rendements dans sa section deux à dix ans, 5% lors des six mois suivants, 14% dans les douze mois ultérieurs et 22% au bout de 24 mois.

Malgré une brève inversion de la courbe, la belle performance des actions en août 2019 est le dernier exemple en date de cette tendance. Les marchés ont poursuivi leur ascension et il a fallu la pandémie du COVID-19 pour que l’économie américaine tombe en récession.

Les variables à prendre en compte

Le risque de fausse alerte a peut-être augmenté en raison de la répression financière menée par les banques centrales lors des dix dernières années. En effet, les rendements américains à plus long terme ont baissé artificiellement en raison des avoirs considérables en bons du Trésor de la Fed et d’autres banques centrales.

Même s’il est difficile de faire la part des choses entre cette intervention et d’autres variables, il est possible qu’un tel assouplissement quantitatif ait accentué la probabilité d’une inversion de la courbe des taux, minant ainsi le pouvoir prédictif de cette dernière.

L’espoir reste de mise

Il est donc déconseillé aux investisseurs de faire une lecture simpliste de la courbe des taux. La situation actuelle présente certaines spécificités. Les taux courts sont affectés par le cycle de resserrement de la Fed, qui pourrait être le plus rapide depuis 1994, tandis que les taux longs ont peut-être été faussés par des années d’interventionnisme des banques centrales.

Même si la Fed aura fort à faire pour orchestrer un atterrissage en douceur de l’économie, elle y est parvenue en 1965, en 1984, ainsi qu’en 1994. Il est donc encore trop tôt pour exclure qu’elle y parvienne une nouvelle fois. Les investisseurs doivent se préparer à une hausse des taux d’intérêt sans surréagir en négligeant les pans sous-évalués du marché des actions.

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