Pandémie et choc d’offre, un an plus tard

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Avec la pandémie, l’économie mondiale a subit un double choc. Une situation exceptionnelle qui pourrait favoriser la reprise.

© Keystone

A son origine, la crise économique du coronavirus fut un choc d’offre. Puis, ce fut un choc de demande. Du fait de l’interaction des deux chocs, la croissance du PIB mondial a chuté de 6,3 points à -3,5% en 2020. L’effet sur l’inflation mondiale a été bien plus modeste, en reflux de 0,3 points seulement à 2,6%. Le scénario de base pour 2021-2022 suppose une disparition des craintes sanitaires, la réouverture des économies et le maintien d’une politique économique stimulante. Il semble hasardeux d’affirmer que l’offre restera durablement en retard sur la demande au point de rendre le surcroît d’inflation intolérable aux banques centrales.

Chocs d’offre et de demande: du négatif (2020) au positif (2021)

Il y a un an, pour freiner la propagation du coronavirus, tous les pays, à commencer par la Chine, ont mis en place des entraves à la liberté de circulation et de commerce causant une chute instantanée de la production. On avait là l’exemple-type du choc d’offre, qui, toutes choses égales par ailleurs, tend à réduire le niveau d’activité et à élever le niveau des prix. Mais quand un tel choc se répète sur toute la planète, rien n’est plus égal par ailleurs. L’économie mondiale a aussi subi un choc de demande.

La combinaison des chocs a aggravé la baisse du PIB.

Il n’est pas facile de distinguer les conséquences des deux chocs. Si le gouvernement impose la fermeture des restaurants ou des théâtres pour freiner la pandémie, cela réduit l’offre de ces services, quel que soit le prix que le client serait prêt à payer. Si les consommateurs ont peur d’attraper le virus en allant au restaurant ou au théâtre, cela réduit leur demande pour ces services, quel que soit le prix proposé. A l’échelon agrégé, la combinaison des chocs a aggravé la baisse du PIB mais l’effet net sur les prix était a priori indéterminé. Vu la sévérité de la récession, on aurait alors pu redouter une déflation. Avec le recul, on n’a constaté qu’un reflux modéré de l’inflation. La prompte réaction de la politique économique pour stabiliser les conditions financières et le revenu des agents a certainement permis de stopper la spirale négative.

Désormais, une large partie des économies a rouvert, mais une fraction de l’offre reste bridée. Une fois les restrictions levées, le temps de la remise en route variera d’un secteur à l’autre. De son côté, la demande est amenée à se reprendre au fur et à mesure que la campagne de vaccination fera reculer les craintes sanitaires. Le scénario de base prévoit un rebond vigoureux de l’offre et de la demande. D’après les dernières prévisions du consensus, la croissance du PIB réel dépasserait sa tendance pré-crise en 2021 et 2022. Le retour au niveau de production pré-pandémie est une étape importante dans la reprise. Compte tenu des écarts entre pays à la fin 2020, on estime que cette marque sera franchie au deuxième trimestre 2021 par les Etats-Unis, au troisième 2021 par l’Allemagne, au quatrième 2021 par la France, et seulement en 2022 en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

A l’heure actuelle, l’utilisation des facteurs de production dans les grands pays développés se situe au-dessous de la normale. Même en se donnant une marge d’imprécision dans les estimations, l’output gap causé par la pandémie est en effet très large, souvent l’équivalent de plusieurs points de PIB, et ne sera pas comblé totalement en 2021, ni même en 2022. Ce n’est pas un environnement propice à une remontée soutenue de l’inflation.

Il est raisonnable d’envisager sur l’horizon 2021-2022 la levée complète des restrictions.

Toutefois, les ajustements de la production et de la consommation peuvent différer et avoir des répercussions sur les prix. Il est utile de pouvoir expliquer les déviations de l’économie par rapport à sa tendance pré-pandémie selon le type de choc. Pour faire simplement cette décomposition, on suppose qu’un choc de demande a un effet unitaire exactement identique sur la quantité et le prix alors qu’un choc d’offre a un effet opposé sur ces deux variables. Cet exercice permet de comparer la récession liée à la pandémie et celle résultant de la Grande crise financière. En moyenne dans les pays développés, le choc négatif sur la demande était du même ordre de grandeur en 2009 et en 2020 mais le choc négatif sur l’offre était environ deux fois plus important en 2020. La différence est surtout visible dans les pays européens, qui ont adopté des restrictions sanitaires particulièrement sévères. Cela étant, l’impact des confinements est lui-même évolutif. Au cours des derniers mois, le recul du PIB en Europe a été bien moindre que ce qu’aurait pu laisser attendre la baisse de la mobilité des personnes. On peut juger que l’intensité du choc d’offre négatif – qui est en théorie inflationniste – s’est atténué entre le début de la pandémie et aujourd’hui.

Avec le recul d’une année, on voit que les effets de la pandémie sur l’économie s’écartent des profils simples initialement évoqués6, les V, U, L, W ou tout autre symbole. La durée de la crise sanitaire avait été sous-estimée, mais tout autant les capacités d’adaptation des agents et les soutiens de politique économique. Le résultat est une évolution du cycle alternant des phases de vif rebond puis de faiblesse, en fonction de la gravité des conditions sanitaires. L’élément nouveau depuis la fin de 2020 est la vaccination. Malgré diverses polémiques sur les vaccins et leur déploiement, il est raisonnable d’envisager sur l’horizon 2021-2022 la levée complète des restrictions. Ce faisant, cela devrait amplifier la réversibilité du choc.

Tout a été fait pour éviter un rationnement du crédit,
pour limiter les défaillances et pour protéger l’emploi.

Dans cette crise, les mesures de soutien du revenu ont été sans égal avec le passé. Les ménages ont une large épargne forcée, qui est vouée à revenir sur les marchés des biens et des services quand la pandémie sera moins présente dans leur vie quotidienne. C’est la base d’un choc de demande positif, poussant l’inflation vers le haut. La question est de savoir si l’offre peut répondre. S’il s’agissait d’une récession typique, on répondrait par la négative. Car alors les capacités de production seraient bridées par une difficulté d’accès au crédit, ce qui en retour freinerait aussi l’investissement. Le chômage aurait une composante structurelle importante, pesant sur la force de travail. A première vue, ces risques sont atténués dans la crise présente. Tout a été fait pour éviter un rationnement du crédit, pour limiter les défaillances et pour protéger l’emploi. L’offre n’est bridée que par les restrictions sanitaires. S’il en en résulte des pénuries localisées, il y a tout lieu de penser qu’elles seront transitoires. Il n’y a pas de raison fondamentale d’anticiper une baisse de la croissance potentielle. Par certains côtés, la pandémie a même pu avoir certains aspects positifs (digitalisation accélérée). Le choc d’offre sera également positif dans les prochains mois et trimestres, offrant une protection contre une dérive de l’inflation qui serait exagérée, donc intolérable pour les banques centrales.

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