Etats-Unis: implication budgétaire de la victoire démocrate

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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La majorité de Joe Biden est des plus étroites. Il pourrait jouer de cette situation pour gouverner au centre, ce qui semble être son penchant naturel.

©Keystone

Les Démocrates devraient être reconnaissants envers le président Trump. En refusant sa défaite et en poussant ses inconditionnels dans des actions grotesques, il creuse les divisions du camp républicain au plus grand bénéfice de ses adversaires. Joe Biden aura pour deux ans au moins une majorité dans les deux chambres, mais c’est une majorité étroite, pas un chèque en blanc. L’agenda du futur président ne sera pas bloqué (plus de relance) mais ses aspects les moins désirables atténués (impôt, réglementation). D’où la réaction conventionnelle des marchés de taux: plus de déficit = hausse des taux longs. 

Avec leur victoire aux deux élections spéciales en Géorgie, les démocrates obtiennent 50 postes de sénateurs, comme leurs adversaires républicains. En cas d’égalité lors d’un vote, le partage sera fait par la voix prépondérante de la vice-présidente. Avec la Maison Blanche et la Chambre des Représentants, les démocrates contrôlent donc les trois centres du pouvoir exécutif et législatif. Le risque d’une obstruction complète disparaît. Cependant, la majorité des démocrates est des plus étroites et à la merci d’un coup du sort. De plus, dans chaque camp, il y a des sensibilités différentes, voire des divisions. Des sénateurs républicains (Mitt Romney) peuvent voter des projets démocrates s’ils ne sont pas radicaux. Chez les démocrates, il y a peu en commun entre l’aile gauche (Bernie Sanders, Elizabeth Warren) et l’aile droite (Joe Manchin, élu de la Virginie occidentale, état très républicain). Enfin, subsiste la règle du filibuster qui réclame une majorité de 60 voix pour certaines décisions. Au total, Biden pourrait jouer de ces complications pour gouverner au centre, ce qui semble être son penchant naturel. 

Le risque de blocage de nominations à des postes-clé est réduit.

La situation politique a deux implications. Primo, le risque de blocage de nominations à des postes-clé est réduit, ce qui est bienvenu dans la situation actuelle (économie, pandémie), qui invite à agir sans délai. Secundo, cela présage une politique budgétaire plus stimulante que si les Républicains avaient conservé leur majorité. Selon la presse, l’initiative budgétaire interviendrait en deux temps. D’abord, assez vite, un relèvement du montant des chèques individuels à 2000 dollars, au lieu des 600 dollars prévus dans le paquet fiscal voté avant Noël. Certains républicains y sont favorables. Viendrait ensuite un plan jouant sur la fiscalité et les infrastructures. Un montant de 3 trillions est évoqué sur un horizon de plusieurs années. Sur ce point, le débat s’annonce plus vif. La plateforme initiale de Joe Biden devait mener, une fois prises en compte toutes les mesures de recettes et de dépenses, à une hausse du déficit fédéral de 2 points de PIB par an. Cela supposait en particulier la remontée du taux de l’impôt sur les sociétés de 21% à 28%, inversant en partie la réforme fiscale de 2017. C’est là un point plus controversé et qui présage des frictions entre les deux partis.

Economie

Malgré l’ampleur prise récemment par la pandémie, les indices ISM de confiance des directeurs d’achat ont continué de se renforcer et ressortent (de même que les indices PMI) à des niveaux très éloignés du seuil usuel de rechute en récession. Les commandes, en particulier, accélèrent fortement. Les dépenses de construction ont une nouvelle fois monté en novembre (+0,9% m/m), confirmant la dualité du secteur entre le segment résidentiel (+16,2% sur un an) et le segment non-résidentiel (-4,7% sur un an).

Politique monétaire et budgétaire

Le 22 décembre, le Congrès a largement voté de nouvelles mesures budgétaires en réponse à la crise du coronavirus (Supplemental Appropriations Act) pour un montant estimé à un peu plus de 900 milliards de dollars. C’est le cinquième acte législatif de ce type, le second en taille après le CARES Act de mars (2500 milliards de dollars) et devant le PPP Enhancement Act d’avril (800 milliards de dollars). Selon le Committee for a Responsible Federal Budget, les mesures de soutien s’élevaient à 4,1 trillions (60% déjà dépensées) et seraient donc portées à près de 5 trillions. Pendant quelques jours, Donald Trump a refusé de signer ce plan, pourtant négocié par son secrétaire au Trésor avec un groupe bipartisan de membres du Congrès, si le montant des chèques individuels pour les personnes éligibles n’était pas porté de suite de 600 dollars à 2000 dollars. La Chambre à majorité démocrate s’est empressée de soutenir cette mesure mais le Sénat à majorité républicaine s’y est opposé. Pas mal de commentateurs ont noté que cette exigence soudaine du président visait peut-être davantage à mettre dans l’embarras Mitch McConnell, le chef de la majorité au Sénat et, ce faisant, à imprimer sa marque sur le GOP en vue des élections de 2024, qu’à améliorer le sort des Américains frappés par la pandémie. Finalement, le plan a été signé par le président le 27 décembre, évitant ainsi de terminer 2020 sur un «government shutdown». 

L’augmentation des chèques de 600 dollars à 2’000 dollars
pourrait revenir dans le débat budgétaire.

Les principales mesures contenues dans le nouveau plan de soutien sont des aides à destination des petites entreprises (325 milliards), les chèques individuels (166 milliards), l’extension pour trois mois des programmes spécifiques d’indemnités de chômage (120 milliards), et des dépenses dans l’éducation (82 milliards), la santé (56 milliards) et les transports (45 milliards). Une augmentation des chèques de 600 dollars à 2’000 dollars coûterait entre 300 et 435 milliards de plus selon les critères d’éligibilité retenus. Cette mesure pourrait revenir dans le débat budgétaire maintenant que les Démocrates ont gagné les deux sièges de l’élection sénatoriales en Géorgie le 5 janvier. 

Concernant la politique monétaire, le point le plus intéressant des minutes de la réunion du 16 décembre portait sur les achats d’actifs. C’est un jugement qualitatif du FOMC sur la situation économique et financière, et non un critère numérique précis, qui décidera de la politique d’achats. Vu les risques baissiers sur l’activité, aucune réduction n’est attendue à court terme. Une fois la reprise mieux établie, les membres du FOMC envisagent un tapering similaire à celui de 2013-14, c’est-à-dire une réduction graduelle, par paliers. Ces derniers jours, plusieurs présidents de Fed régionales (Evans de Chicago, Bostic d’Atlanta, Harker de Philadelphie) ont commencé d’aborder la question du tapering, posant les premiers jalons pour un démarrage vers la fin 2021 ou début 2022. Il y a en revanche peu d’appétit pour modifier la composition des achats vers des maturités plus longues. A suivre.

Les données macroéconomiques de décembre donneront une vue complète sur le quatrième trimestre, avec notamment les ventes au détail, attendues en baisse pour la troisième fois de suite, et la production industrielle (à paraître le 15 janvier). A ce jour, le «nowcast» de la Fed d’Atlanta estime que la hausse du PIB réel a été de 8,5% t/t annualisé au quatrième trimestre (+33,4% au T3) mais celle des dépenses de consommation de seulement 5,4% (41,0% t/t au troisième trimestre). L’inflation du CPI (13/01) est attendue quasi-stable à 1,3% sur un an. Les premières enquêtes de sentiment pour janvier seront l’indice manufacturier de la Fed de New York et la confiance des ménages de l’Université du Michigan (15/01). Plusieurs officiels de la Fed seront sur les ondes pour discuter des prévisions de 2021, en particulier le président Jerome Powell (14/01).

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