La montée en puissance des campagnes vaccinales doit permettre de lever la chape de plomb qui pèse sur de larges pans de la demande.
Ces dernières décennies, les sorties de récession en Europe et aux Etats-Unis ont souvent été jugées lentes, fragiles, sans emploi, au point que certains ont ravivé après 2009 la thèse ancienne de la stagnation séculaire. La récession causée par la pandémie s’annonce plus facilement réversible que les chocs passés. Primo, c’est une récession sans déséquilibre préalable. Secundo, la politique économique s’écarte durablement de l’orthodoxie, apportant bien plus de force à la reprise. Last but not least, la montée en puissance des campagnes vaccinales doit permettre de lever la chape de plomb qui pèse encore sur de larges pans de la demande. Récession atypique, reprise atypique? La crise financière mondiale de 2008 avait tellement marqué les esprits que pour en décrire les effets sur l’économie réelle on a forgé l’expression de «Grande Récession», de même qu’on parle de «Grande Dépression» pour décrire la crise des années 1930. Il s’agissait alors du choc le plus sévère depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Mais que dire alors de la crise du coronavirus ? Au plus fort de la Grande Récession, le PIB avait baissé d’environ 2,5% à l’échelon global, de 5% dans les pays développés. Au premier semestre 2020, le PIB mondial s’est contracté de près de 10% et, dans certains pays développés, la chute d’activité a même dépassé 30% lors des confinements du printemps 2020. On manque de superlatifs pour décrire un choc d’une magnitude si différente des autres crises récentes (graphe de gauche). Pour décrire la situation postérieure à la «Grande Récession», une autre expression a fait florès, celle de «new normal», c’est-à-dire un régime totalement nouveau caractérisé par un abaissement durable de la croissance, de l’inflation, et des taux d’intérêt d’équilibre. Mais là encore, que dire de la situation présente ? Le système économique est-il cette fois encore affecté de manière permanente, donnant naissance à une autre forme de «normalité» (un monde où les interactions humaines, la production et la dépense seraient régies par la distanciation)? Ou bien, au contraire, la situation présente n’est-elle qu’une déviation, certes exceptionnelle, mais passagère par rapport à la situation pré-crise? La question centrale ici est celle de la réversibilité du choc causé par la pandémie.
y compris dans des institutions penchant par tradition du côté de l’orthodoxie.
La pandémie a accéléré des changements qui étaient en germe depuis des années dans la manière de relancer l’économie après un choc. Après la crise financière de 2008, on a constaté que le soutien de la demande était surtout dévolu aux banques centrales, qui ont donc cherché à surmonter la contrainte des taux zéro avec des politiques non-standard (taux négatifs, achats d’actifs). L’effet bénéfique était indéniable pour les marchés financiers, moins net concernant l’économie réelle. Par comparaison, l’action budgétaire avait un rôle secondaire, parfois à cause de contraintes politiques (désaccords partisans US), parfois à cause de la prévalence d’une doctrine axée vers la réduction immédiate des déficits publics (Europe). En somme, on demandait trop aux banques centrales, pas assez aux autorités budgétaires. Au fil du temps, de plus en plus de voix ont dénoncé le déséquilibre de ce policy-mix, y compris dans des institutions penchant par tradition du côté de l’orthodoxie. Désormais, c’est le FMI lui-même qui encourage un usage activiste (keynésien) de la politique budgétaire et invite à ne pas trop s’obnubiler des niveaux d’endettement. De leur côté, les banquiers centraux qui réclamaient ce relais fiscal depuis des années sont apparemment ravis que le fardeau de la relance soit mieux partagé, quitte à se mettre dans une position de subordination vis-à-vis de la politique budgétaire.
Quelques semaines après le début des campagnes de vaccination, le bilan général est plutôt mitigé, en tout cas source de nombreuses critiques sur le rythme de déploiement (tableau de gauche). L’opinion publique est très changeante sur ces questions: d’abord suspicieuse à l’égard de vaccins autorisés en suivant des procédures d’urgence, elle réclame que la vaccination accélère. La découverte de vaccins efficaces est en soi un facteur de réduction de l’incertitude économique, mais les effets sur la situation sanitaire et, par suite, sur l’économie réelle dépendent eux de la logistique de production, de stockage et de distribution à grande échelle. L’économie bénéficiera de la levée des restrictions sanitaires, mais cela réclame au préalable un reflux de l’épidémie. A titre d’illustration, on présente une simulation des effets de la vaccination aux Etats-Unis, en partant de l’état des connaissances sur l’exposition de la population âgée (>70 ans) à la pandémie. Cette population à risque représente typiquement 75% des hospitalisation et 85% des décès. Si on suppose que les trois quarts des vaccins seront administrés à ces personnes, leur donnant une immunité après deux semaines, on obtiendrait d’ici trois mois un fort recul des indicateurs de la pandémie (graphe de droite). Autrement dit, même si au printemps prochain, on est encore loin du taux de vaccination donnant une immunité collective (environ les 2/3 de la population), il y aurait assez de progrès sur les personnes à risque pour anticiper moins de pression sur le système hospitalier et un retour vers des conditions de mobilité beaucoup plus normales. Compte tenu du démarrage un peu plus tardif de la vaccination en Europe, les mêmes évolutions seraient un peu décalées, mais similaires.
La réversibilité de la récession dépend enfin des conditions économiques au moment du choc et de la nature de ce choc. Par définition, la pandémie n’est pas un phénomène économique, c’est un événement exogène. De surcroît, quand le virus est apparu en janvier 2020, l’économie mondiale ne présentait pas de déséquilibres majeurs, de ceux dont on sait qu’à plus ou moins brève échéance, ils réclameront un ajustement pénible. Pas de bulle immobilière, pas d’investissement débridé, pas de tensions inflationnistes, pas de resserrement monétaire ou fiscal, mais au contraire des économies évoluant sans excès dans leur plus long cycle d’expansion. L’absence de déséquilibres profonds au moment du choc ne garantit pas que la reprise sera forte et rapide, mais compte tenu de ce qu’on sait des progrès dans la stimulation de la demande et dans la vaccination contre le coronavirus, c’est un facteur de nature à faciliter la reprise économique.