A court terme, l’inflation, les taux d’intérêt et la croissance demeurent imprévisibles

Chris Iggo, AXA IM

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Il serait présomptueux de croire que des variations aussi extrêmes puissent revenir rapidement à la normale, d’autant plus que la situation mondiale est extraordinairement incertaine.

Plusieurs éléments de ce cycle conjoncturel doivent nous sembler familiers: pénurie de personnel, inflation et une politique monétaire plus stricte. Mais certains autres sont inhabituels. Durant la pandémie de COVID, le PIB a chuté, mais il s’est ensuite relevé rapidement, peut-être plus qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Depuis lors, l’inflation se trouve à un niveau que l’on n’avait plus connu depuis une génération. Il serait présomptueux de croire que des variations aussi extrêmes puissent revenir rapidement à la normale, d’autant plus que la situation mondiale est extraordinairement incertaine. Il se peut que nous devions nous attendre à d’autres surprises. A court terme, l’inflation, les taux d’intérêt et la croissance demeurent imprévisibles. Il existe toutefois une nouvelle réjouissante: à l’avenir, le progrès scientifique et technique devrait conduire à une croissance plus propre, plus durable et de meilleure qualité. De fait, la prochaine phase de la révolution industrielle permettra aussi de gagner de l’argent.

Hors norme: Il apparaît de plus en plus clairement à quel point le cycle conjoncturel actuel est inhabituel. Son évolution est difficile à prévoir et il nous réserve régulièrement des surprises. Il y a surtout trois choses dont nous n’avons pas encore percé tous les secrets: le tournant de la politique monétaire, les répercussions de la pandémie et l’évolution vers un monde où les sciences naturelles seraient plus importantes que la finance. Tout cela a une grande influence sur le cycle conjoncturel actuel, la croissance future, l’inflation et les marchés financiers.

Inflation et taux d’intérêt: L’inflation est le résultat de déséquilibres provoqués par une politique monétaire extrêmement généreuse pendant de nombreuses années, ainsi que par des perturbations de l’offre et de la demande dues au COVID et à la guerre en Ukraine. L’année dernière, les banques centrales ont donc entamé la transition qui s’imposait. Les économistes, les investisseurs et les banques centrales ne semblent pas savoir quand ce processus de réorientation et de changement de mentalité sera achevé et quelles en seront les conséquences. A l’heure actuelle, les banques centrales réagissent de façon plus marquée aux données conjoncturelles, et elles ne s’en cachent pas. Elles ont en effet mal évalué la montée de l’inflation de 2022, et elles craignent que le renchérissement ne baisse pas suffisamment fort. Toute donnée chiffrée allant à l’encontre d’un retour rapide au bon vieux temps de l’avant-COVID, avec un taux d’inflation de 2% dans le monde entier, est un argument en faveur des faucons. Les investisseurs s’attendent alors automatiquement à un taux directeur maximal encore plus élevé.

Toujours plus élevé: Depuis les hausses de taux d’intérêt intervenues début février, les attentes des marchés quant au taux directeur maximal des Etats-Unis, de la zone euro et du Royaume-Uni ont augmenté de 25 à 50 points de base. Si l’inflation ne recule pas, je prévois une réaction du même ordre lors des réunions des banques centrales du mois de mars. Chaque fois que les taux directeurs sont relevés, ne serait-ce que légèrement, le marché s’attend à voir venir une ou deux hausses de taux supplémentaires. Par conséquent, un véritable tournant ne semble possible que si les banques centrales l’annoncent clairement en tant que tel. Dans cette perspective, il nous faut d’une part une baisse de l’inflation et des chiffres de l’emploi plus faibles, et les banques centrales doivent d’autre part exclure catégoriquement toute nouvelle hausse des taux d’intérêt. Or, il semble que nous n’en soyons pas encore là, même si les investisseurs sont nombreux à appeler cet état de leurs vœux.

Des obligations faibles en février: Après un très bon mois de janvier, la hausse des rendements de février s’est traduite en pertes pour les investisseurs en obligations. Les courbes des taux d’intérêt sont encore inversées et, sur le marché à terme, on s’attend à moyenne échéance à un taux de l’argent au jour le jour de 3,5% à 4% aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et d’environ 3% dans la zone euro. Certes, ce serait moins qu’aujourd’hui, mais nettement plus qu’avant la pandémie. Le resserrement quantitatif et le durcissement des conditions de crédit font chuter la croissance de la masse monétaire. Bien des développements sont envisageables: d’un resserrement trop timide, parce que l’on aura sous-estimé l’inflation, jusqu’à un resserrement trop drastique.

Plus faible, mais avec des hauts et des bas: En raison des prix de l’énergie plus bas, des problèmes d’approvisionnement moins prononcés et d’une conjoncture plus faible dans de nombreux secteurs, l’inflation devrait continuer à reculer. Mais la main-d’œuvre disponible reste rare, de sorte que les salaires pourraient encore prendre l’ascenseur. Pour beaucoup d’entreprises, ils représentent le facteur de coûts le plus important. Or, les salaires plus élevés peuvent nuire aux marges bénéficiaires et par conséquent, aux bénéfices engrangés. A la suite de quoi, les entreprises disposeraient de moins de capital pour financer la croissance future. Les investisseurs en actions pourraient alors voir leurs revenus diminuer.

Sur les douze mois de l’année dernière, l’indice des prix à la consommation a augmenté plus fortement qu’au cours des 30 années précédentes. Cela ne peut pas continuer ainsi. Les chiffres de janvier, publiés tout récemment, se situent nettement au-dessus de la moyenne de ce mois, du moins aux Etats-Unis. Si ces valeurs mensuelles ne baissent pas, il ne sera pas possible de revenir de sitôt aux valeurs annuelles habituelles de deux pour cent telles que nous les avons connues avant la pandémie. Mais chose plus importante encore, pour les banques centrales, le resserrement de la politique monétaire deviendrait alors une simple habitude, de sorte que les attentes en matière de taux d’intérêt continueraient également à augmenter. Tôt ou tard, cela finirait par nuire aux obligations d’entreprises et aux actions. Plus les taux d’intérêt continuent de grimper, plus il devient difficile d’espérer un «atterrissage en douceur», voire un atterrissage tout court.

Répercussions: Les conséquences économiques tardives de l’épidémie de COVID ne sont pas encore terminées. C’est sur le marché du travail que cela se voit le plus clairement. Le personnel disponible reste rare et les taux de participation n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant. Nombreux sont les secteurs qui ont été fortement affectés par les mesures de confinement de 2020. Ce n’est que depuis peu que les secteurs de la santé et de l’hôtellerie-restauration emploient à nouveau autant de personnes qu’en février 2020, écrit le ‘US Bureau of Labor Statistics’. Comme nos habitudes de travail ont radicalement changé pendant la pandémie, il est difficile de savoir si les chiffres actuels reflètent correctement l’évolution du marché du travail. Il n’en demeure pas moins qu’il existe plusieurs indicateurs pointant une pénurie de main-d’œuvre et une spirale prix-salaires. Si au Royaume-Uni cela peut se mettre en partie sur le compte du Brexit, la pandémie a bien touché tous les pays. Quoi qu’il en soit, les entreprises et les gouvernements sont appelés à réagir. Il faut investir davantage dans l’automatisation, et les pouvoirs politiques doivent chercher à augmenter la main-d’œuvre par le biais d’incitations fiscales, de programmes de formation, de modifications du système social et d’une réforme de la politique d’immigration.

Politique internationale: Le COVID, la crise énergétique et les changements de politique monétaire qui en découlent continuent d’assombrir les perspectives conjoncturelles, et la situation politique mondiale n’arrange certes pas les choses. Tout est lié. La pandémie a perturbé les chaînes d’approvisionnement, de sorte que les entreprises doivent désormais se pencher davantage sur les questions de logistique et de sécurité. Les relations entre les grandes puissances se sont également détériorées. C’est impossible à ignorer, et les conséquences concrètes sont déjà bien visibles: les Etats-Unis ont adopté une loi qui restreint les livraisons de technologies américaines à la Chine. Le modèle commercial des entreprises technologiques américaines, qui ont jusqu’ici utilisé la Chine comme atelier de fabrication pour leurs produits développés aux Etats-Unis, se trouve ainsi menacé. Le début de l’invasion russe de l’Ukraine remonte à tout juste un an. Certes, l’énergie a retrouvé les niveaux de prix d’avant la guerre, mais les risques politiques sont plus importants aujourd’hui. C’est pourquoi l’Occident doit dépenser davantage pour sa défense.

Science: On constate toutefois des changements réjouissants. Un certain nombre de technologies sont susceptibles de transformer radicalement la production de biens dans le monde, soit en réduisant les coûts, soit en augmentant la productivité, voire les deux. Parce qu’il est urgent d’agir contre le changement climatique et que des vaccins COVID-19 ont été développés en un temps record, la science se trouve désormais en position de force par rapport au secteur financier. A l’avenir, les investissements ne devraient donc pas manquer d’être plus productifs. J’ai déjà rêvé ici d’un monde dans lequel l’énergie propre, l’énergie solaire et l’énergie éolienne aideraient considérablement les consommateurs et les entreprises – en d’autres termes, la démocratisation de l’approvisionnement en énergie. En même temps, celle-ci nous permettrait de nous défaire de la dépendance aux combustibles fossiles, souvent utilisés comme armes dans les conflits. Dans un tel monde, on développe rapidement de nouvelles technologies dans lesquelles les entreprises investissent et que l’Etat encourage activement. Cela a aussi une part d’ombre – à savoir des directives politiques qui exigent qu’un minimum de composants soient produits dans le pays même, et des subsides qui s’apparentent à des aides publiques. Cependant, je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un état permanent. J’en veux pour preuve l’évolution intéressante des prix du modèle de base de Tesla. En raison des aides octroyées par l’État et de la baisse des coûts de fabrication des batteries, aux Etats-Unis, ce modèle coûte désormais moins cher qu’une voiture de classe moyenne munie d’un moteur à combustion – considérablement moins cher.

Actions, science, croissance: Les nouveaux médicaments issus des progrès de la biotechnologie, la poursuite de l’automatisation des chaînes d’approvisionnement, du transport et de la production, de même que la mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans de nombreux secteurs de services, voilà autant d’évolutions tout à fait passionnantes. Ce sont des domaines dans lesquels on investit déjà beaucoup, et on le fera de plus en plus. Les avantages économiques peuvent croître de manière exponentielle. Au XXIe siècle, l’économie mondiale a déjà dû venir à bout de plusieurs chocs majeurs, mais la science peut apporter un nouvel élément stabilisateur. Les investissements alloués à la technologie rendent l’utilisation des ressources plus efficace. Grâce à de meilleurs soins de santé, ils permettent d’améliorer la qualité de vie. Par ailleurs, ils rendent moins probables les conflits pouvant résulter de ressources énergétiques limitées. Il est probable que les risques liés à de tels investissements soient mieux rémunérés que ceux rattachés à des instruments financiers complexes dont les flux de trésorerie en relation avec les actifs sous-jacents sont parfois difficilement compréhensibles.

Un boom postpandémique en Chine? Toutes ces considérations sont d’ordre plutôt général. Or, il peut s’avérer utile d’éteindre son ordinateur, d’ignorer les comptes rendus de marché et de faire le point sur le monde réel. Sur le court terme, il règne une grande incertitude. Mais nous savons aussi que les taux d’intérêt ont augmenté et que l’on peut donc à nouveau gagner plus avec des instruments financiers relativement peu risqués. Les rendements des obligations sont assez importants; la majeure partie de leurs revenus provient des coupons, notamment pour les obligations à courte échéance. Pour les investisseurs, c’est une bonne chose, surtout compte tenu d’une situation conjoncturelle aussi incertaine que celle que nous connaissons actuellement. A long terme, les obligations d’entreprise, dont j’ai fait la promotion la semaine dernière, sont également attrayantes – car les taux d’intérêt atteindront bientôt leur maximum. Si les prévisions de taux d’intérêt à long terme sont correctes, des primes élevées viendront récompenser le risque de crédit.

Dans le monde postpandémique, les actions chinoises semblent intéressantes. Partout ailleurs, les bénéfices des entreprises se sont massivement accrus lorsque la situation économique s’est rétablie en 2021 et 2022. En revanche, les bénéfices des sociétés anonymes chinoises sont restés inchangés ou ont même baissé au cours des cinq dernières années. Dès lors, le redémarrage de l’économie et une politique économique désormais axée davantage sur la croissance pourraient déclencher un boom des bénéfices. Les investisseurs pourraient alors engranger des gains importants.

Croissance à long terme: A longue échéance, la croissance prime sur le reste. Les changements structurels sont source d’opportunités. Les technologies neutres pour le climat sont en effet moins coûteuses et davantage subventionnées, de sorte que des rendements élevés semblent possibles sur la voie du zéro net. Tout au long de la chaîne de valeur, l’intelligence artificielle bénéficie aux sociétés de logiciels et aux entreprises technologiques. Elle augmentera la productivité de celles qui sauront la mettre à profit. On peut penser ce que l’on voudra des crypto-monnaies, mais le processus de numérisation du secteur des services financiers est loin d’être achevé. A cela s’ajoutent les contrats intelligents et, sous réserve d’une volonté politique, des gains d’efficacité dans les services publics, du traitement des déclarations d’impôts aux services de santé et à l’éducation. Au cours des 20 dernières années, les bénéfices de nombreuses entreprises technologiques établies ont augmenté de manière exponentielle. Cela pourrait bien se reproduire. La science saura y apporter une contribution plus importante que le monde de la finance.

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