Les victimes de la pêche à l’explosif

Charles-Henry Monchau, Banque Syz

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L’effet des hausses de taux finit toujours par agir en punissant les agents économiques les plus fragiles. Les plus petits poisons apparaissent en premier à la surface. Les plus gros en dernier.

Beaucoup de choses ont changé depuis la semaine dernière. L’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB), qui constitue la plus grande faillite bancaire aux Etats-Unis depuis la crise financière de 2008, a suscité des inquiétudes quant à une contagion potentielle et à une crise bancaire plus large. Mais jusqu’à présent, la réaction rapide du gouvernement américain, qui a garanti que les dépôts resteraient disponibles, et celle du gouvernement britannique et de la Banque d’Angleterre, qui ont facilité la vente de la branche britannique de la SVB, ont permis d’apaiser les craintes immédiates. La vulnérabilité de la SVB à la hausse des taux d’intérêt étant comparable (à certains égards) à celle d’autres banques à travers le monde, de nombreux analystes s’attendent à ce que la Réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales reconsidèrent la possibilité de procéder à de nouvelles hausses de taux d’intérêt. Certains experts pensent également que l’effondrement de SVB pourrait conduire à un renforcement des filets de sécurité réglementaires pour les banques qualifiées de systémiques.

Quelle pourrait être est la suite des événements?

Tout d’abord, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un événement comparable à celui de la faillite de Lehman Brothers en 2008. La chute d’une banque régionale telle que SVB est suffisamment grave pour que les autorités interviennent, mais il ne devrait pas concerner les très grandes banques. D’une manière générale, le secteur bancaire est bien capitalisé. Le BTFP (Bank Term Funding Program) annoncé par la Fed et le Trésor permettra aux banques de financer les sorties de dépôts sans cristalliser les pertes sur les actifs dépréciés en les mettant en gage auprès de la Fed. Cela devrait réduire les risques de contagion. D’ailleurs, le BTFP est même considéré par certains comme un assouplissement quantitatif déguisé.

Deuxièmement, il y a le risque qu’il ne s’agisse pas du dernier «accident» financier induit par le resserrement monétaire qui est en place depuis de nombreux mois. Si l’on se réfère à l’histoire, les banques centrales augmentent les taux jusqu’à ce que quelque chose se brise. La crise de l’été dernier au Royaume Uni (du fait des investissement axés sur le passif ou LDI) a été le premier épisode. L’effondrement de SVB a suivi. Mais une crise plus grave (une grande banque, hedge funds, immobilier commercial, etc.) pourrait tout à fait survenir.

Troisièmement, la faillite de SVB exacerbera les vents contraires auxquels est actuellement confronté le secteur technologique et rendra le financement du capital risque et des start-up beaucoup plus difficile. La hausse des taux d’intérêt et l’évolution des habitudes de consommation après la pandémie étaient déjà problématiques pour le secteur. Le coup porté à la confiance suite à la chute de SVB – la banque de la Silicon Valley... – ne va bien évidemment pas arranger les choses. Le plan de sauvetage de la FDIC, qui vise à protéger les déposants non assurés, devrait toutefois empêcher un effondrement. Mais le coût du capital devrait augmenter et certains Etats (comme la Californie), qui dépendent de l’innovation et des nouvelles technologies, risquent de souffrir.

Quatrièmement, cet accident financier rend la vie de la Fed encore plus compliquée. Le contexte macroéconomique auquel fait face les États-Unis n’est pas celui d’un excès de levier financier des entreprises ou celui de la solvabilité des banques. Le problème numéro un est celui d’un marché du travail toujours trop tendu et qui maintient l’inflation des services bien au-dessus de l’objectif de la Fed. Le seul moyen d’y remédier est d’augmenter les taux d’intérêt. Si le BTFP fonctionne, la Fed devrait être en mesure de continuer à relever les taux (peut-être pas de 50 points de base supplémentaires, mais plutôt de 25 points de base pendant encore quelques mois). Si le programme ne fonctionne pas, nous pourrions assister à d’autres échecs (conduisant à une récession), ce qui obligerait la Fed à abandonner le resserrement de la politique monétaire au risque de voir l’inflation rester trop élevée pendant trop longtemps (car l’impact désinflationniste ne se fera pas sentir immédiatement). La Fed risque donc d’être confrontée à un scénario du type «gagne je perds, pile tu gagnes»...

A ce titre, les développements survenus au cours de la semaine dernière étaient relativement intéressants. Le fait que le risque systémique financier semblait être contenu a ramené la priorité de la lutte contre l’inflation sur le devant de la scène. N’oublions pas que la Fed doit tenir compte des réalités actuelles des données économiques: un PIB nominal américain à 7,5%, un taux de chômage à 3,6% et un taux d’inflation à 6,0% en glissement annuel. Comme l’a rappelé Jerome Powell il y a un peu plus d’une semaine, le travail de la Fed est loin d’être achevé et il est probable qu’elle augmente ses taux de 25 points de base cette semaine. Tous comme les autres banques centrales, la Fed devrait adopter une politique monétaire à deux vitesses. D’un côté la mise à disposition de liquidités auprès des banques afin de garantir la stabilité financière. De l’autre des hausses de taux pour combattre l’inflation. Cela ressemble à ce que nous avons décrit dans notre article du 6 décembre 2022 («Dix surprises pour 2023»): un scénario possible pour cette année pourrait être que la Fed mette en place un QE (assouplissement quantitatif) pour les marchés financiers et une poursuite du resserrement monétaire pour tous les autres. Nous y sommes pas si loin...

Dernier point, et non des moindres: le «sauvetage» de la banque SVB pourrait avancer la date butoir du plafond de la dette, càd le jour où le gouvernement fédéral ne pourra plus faire face à ses obligations dans leur intégralité et dans les délais impartis. En effet, un versement de 40 milliards de dollars a été effectué par le Trésor américaine en faveur du FDIC, l’agence fédérale dont la principale responsabilité est de garantir les dépôts bancaires jusqu’à 250,000 dollars. Bien que le Trésor nie le fait que cette dépense puisse avoir un impact sur la date butoir du plafond de la dette, aucune précision n’a été donnée jusqu’à lors. Alors que la date butoir du plafond de la dette était initialement prévue pour le troisième trimestre de cette année, l’avancement de cet événement pourrait augmenter de manière significative la volatilité sur les marchés d’actions.

Conclusion

D’une certaine façon, un cycle de resserrement monétaire peut être comparé à la pêche aux explosifs: une fois le bâton de dynamite projeté à l’eau, l’explosion décime tout ce qui se trouve à proximité. Les plus petits poissons sont les premiers à remonter à la surface. Mais avant que les plus grands et plus lourds d’entre eux n’apparaissent, il peut s’écouler un certain temps.

Alors que le cycle de hausse des taux ne semblait pas produire d’effets trop importants sur l’économie, les premières victimes viennent d’être identifiées. Au cours des dix derniers jours, Silicon Valley Bank (SVB) puis Signature Bank aux Etats-Unis ont fait faillite. Sur le continent européen, c’est Credit Suisse qui est en grande difficulté, même si les mesures d’urgence mises en place devrait sauver le géant bancaire Suisse.

Au delà du sort de ces banques et des risques de contagion, la question qui taraude la plupart des investisseurs est de savoir si d’autres victimes du resserrement monétaire vont bientôt être visibles en surface? Est-ce que de très grandes banques américaines ou européennes peuvent elles aussi être touchées? Le stress de marché va t-il toucher d’autres secteurs?

A ce stade, il est très difficile de répondre à cette question. Cependant, nous pensons que nous sommes entrés dans une nouvelle période d’incertitude qui devrait conduire à une réévaluation de la prime de risque des actions. Dans ce contexte, nous avons révisé à la baisse notre exposition sur les marchés d’actions en passant notre rating de «positif» à «prudent». Nous gardons des allocations dans les obligations d’entreprise avec un rating «investment grade» ainsi que nos positions dans l’or.

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