Les routiers sont sympas…

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Faut-il vraiment craindre des pénuries d’énergie cet hiver?

Files d’attentes et énervements aux stations d’essence du Royaume-Uni, envolée des prix de l’électricité et du gaz naturel ici et ailleurs, saturations médiatiques et rumeurs en tous genres, il n’en faut pas plus pour faire craindre des pénuries sévères à l’approche de l’hiver et que ressurgisse le spectre des chocs pétroliers des années 1970. Ainsi est-on passé en quelques mois à peine de l’angoisse de la déflation aux fantômes de la stagflation.

Mais plus qu’un risque inflationniste durable, ne s’agirait-il pas d’une simple résurgence de la loi de Murphy? L’accumulation de goulets d’étranglement, la conjonction de circonstances techniques et climatiques contrariantes, de marchés cartellisés, sont autant de facteurs de tensions qui pourraient néanmoins s’avérer temporaires.

La reprise économique soutenue par les politiques publiques a fait bondir la demande finale de biens au-delà des capacités productives et logistiques de nombreux secteurs. A front renversé par rapport à 2008, l’Amérique et l’Europe sont les moteurs de cette accélération tandis que la Chine – l’usine de (presque) tout le monde – ralentit. De plus, le basculement accéléré et désordonné hors du charbon (beaucoup de régions en Chine ont stoppé leur activité faute de remplir les objectifs de réduction d’émission de CO2 imposées par Pékin), a brutalement réduit les capacités de production et accru la demande d’importations d’autres sources d’énergie pour l’Empire du Milieu.

Il faut bien constater qu’une transition climatique en bon ordre et à des coûts maîtrisés n’est pas encore assurée.

En Europe, les stocks de gaz étaient encore bas au printemps, alors que l’offre de ses fournisseurs s’avère plus contenue que prévu. Gestion « contrôlée » des gazoducs, utilisation maximale des capacités de liquéfaction, méthaniers livrant au plus offrant, producteurs de gaz de schiste surendettés, la hausse des prix permet également de compenser les baisses des années passées. Il en va de même pour le pétrole: l’OPEP+ gère au plus près ses quotas, après la chute calamiteuse des recettes en 2020. Pour la première fois depuis 2014, le prix du baril de Brent approche les 80 dollars.

Ces facteurs de tensions cumulés poussent les coûts de l’électricité, dont la part dans le mix énergétique demandé ne fait que croître. Celle-ci est passée dans le monde de 9,5% en 1973 à 19,7% en 2019, selon l’Agence Internationale pour l’Energie. Ils suggèrent pourtant qu’il existe bien une marge d’ajustement de l’offre lorsque les prix augmentent suffisamment.

Reste à gérer le facteur humain et l’aléa climatique. Aux Etats-Unis comme en Europe, le vieillissement de la population, la pénibilité et plus récemment la pandémie, ont considérablement réduit le nombre de chauffeurs qualifiés. Au Royaume-Uni, l’exil post-Brexit a fait le reste.

Du côté du climat, le manque de vent en Allemagne, le bas niveau des réserves hydrauliques en Norvège ont contribué à limiter le recours aux énergies alternatives.

Si les risques de pénurie à court terme peuvent être raisonnablement écartés, il faut bien constater qu’une transition climatique en bon ordre et à des coûts maîtrisés n’est pas encore assurée.

Sans doute, la hausse récente des coûts à la production se répercute clairement dans les prix finaux et pèse sur les pouvoirs d’achat. Les Banques Centrales, telles qu’elles l’ont réaffirmé lors de la réunion organisée par la BCE le 29 septembre dernier, campent sur leur position: les pressions actuelles sont provisoires. Il convient d’accompagner la transition climatique et favoriser l’effort des Etats en ce sens.

Un pari sur le fil, un pari à tenter. En tout état de cause, un pari à haute tension.

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