50 ans de suspense

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Multiples retombées du rapprochement avec la Chine et de la suspension de la convertibilité du dollar. Une guerre froide à bas bruit.

Le 15 août 1971, le Président Nixon annonçait la suspension de la convertibilité du dollar à l’or. Exactement un mois plus tôt, il choquait déjà le monde en révélant la visite de son Secrétaire d’Etat Henry Kissinger à Pékin, prélude à sa venue en 1972 et à la reconnaissance de la Chine populaire par les Etats-Unis. A 50 ans de distance, comment ne pas souligner la concomitance de ces deux évènements et leurs conséquences?

Aux Etats-Unis, 1971 marque un sommet dans la contestation contre la guerre du Vietnam, dont le Président a promis de mettre un terme. Le rapprochement avec la Chine s’inscrit dans la perspective d’un détachement des soutiens dont bénéficie le Vietnam du Nord. Sur le plan monétaire, l’illusion de la convertibilité du dollar n’est plus tenable: à 35 dollars/l’once d’or, la fuite du métal précieux a fait fondre les réserves américaines de 68% au lendemain de la seconde guerre mondiale, à près de 24% des réserves du monde. La guerre a fait exploser les déficits publics et la dette; l’inflation menace.

En 1973, le flottement généralisé des monnaies est entériné et en 1976, l’or est définitivement démonétisé. Parallèlement, les Etats-Unis qui maintiennent des relations officielles avec Taiwan et ont conclu un accord de double reconnaissance de l’unité de la Chine, rompront leurs relations avec l’Ile de Formose en 1979 – au lendemain du tournant économique décidé par Deng Xiao Ping. 

L’inclusion de la Chine dans le système économique et politique mondial n’a pas été accompagnée d’une libéralisation de son régime.

La nouvelle ère ouverte en 1971 n’a pas marqué l’effondrement du système monétaire international, ni même celui du dollar, qui représente encore près de 60% des réserves de change du monde. Le dollar incarne également la dure réalité d’un système générateur de crises, d’une globalisation menaçant l’équilibre et peut-être même la survie de la planète, au plan climatique et de sa biodiversité. L’inclusion de la Chine dans le système économique et politique mondial n’a pas été accompagnée d’une libéralisation de son régime, passé du «socialisme de marché» au «capitalisme autoritaire» ouvertement assumé. Amère désillusion face au deuxième Grand qui s’affirme désormais en concurrent direct, économique, géostratégique et monétaire des Etats-Unis. 

Sur le plan monétaire, le maintien de la prédominance du dollar a accentué le «dilemme de Triffin1». D’accords monétaires2 en mesures protectionnistes, les Etats-Unis continuent d’afficher un important déficit courant, satisfaisant l’appétit des investisseurs étrangers pour le dollar, tout en frustrant les producteurs locaux et l’Administration. Mais plus la planche à dollars tourne, plus ceux-ci craignent sa dévalorisation. De plus, l’usage croissant du dollar comme moyen de contrôle et de pression des Etats-Unis sur leurs rivaux comme sur leurs alliés, poussent ceux-ci à chercher de nouvelles alternatives3

La fondation de l’euro a permis à ses membres de s’affranchir des conséquences internes de la fluctuation du dollar et de la politique monétaire américaine. Le «un pour tous» européen, trouve néanmoins sa limite dans le maintien nécessaire de l’Alliance Atlantique d’une part, et la capacité de ses membres à intégrer une discipline budgétaire commune d’autre part. La Chine, qui détient d’importantes réserves de change en dollar, ne peut que se poser en concurrente directe de l’Amérique et du dollar. Initialement lancé comme un projet à dimension strictement domestique, les autorités monétaires chinoises se disent prêtes à proposer le e-Yuan (Monnaie Digitale Banque Centrale) comme le support d’un modèle standard d’échange et de clearing (à l’instar de SWIFT).

Le retrait américain des théâtres d’opérations du Moyen Orient et d’Asie Centrale clôt le chapitre ouvert par les attentats du 11 septembre 2001. Il s’inscrit dans la continuité de la politique du «Pivot vers l’Asie» énoncée par le Président Obama. La rivalité commerciale, géostratégique et désormais monétaire entre les deux grandes puissances s’apparente jusqu’ici à une guerre froide à bas bruit. Craignons qu’elle ne se réchauffe.

1 Economiste belge qui a mis en évidence les contradictions économiques liées à la position de devise de réserve
2 Les accords du Plaza et du Louvre ont provoqué une forte réévaluation du Yen et du Deutsche Mark
3 Voir notre article du 11 février 2020 «La douleur du dollar»

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