Poubelle obligataire

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Les emprunts obligataires seraient-ils tous à jeter comme l’affirme Bill Gross?

Je rapporte ici le cri d’alarme, pour ne pas dire de colère, que vient de lancer Bill Gross, le célèbre et ancien patron du fonds PIMCO. Pour le «Roi de l’obligataire», les taux d’intérêt ne peuvent que monter, car ce marché, largement surévalué, est voué à sa perte, et les investisseurs à la ruine. Et d’ajouter que les marchés boursiers risquent également de sombrer, quand les entreprises ne livreront plus les performances attendues et ce malgré les conditions «idéales» octroyées par les Banques Centrales.

Plus précisément, Bill Gross prévoit une remontée à 2% des rendements du Bon du Trésor américain à 10 ans d’ici la fin de l’année (soit près de 70 points de base). Car la Réserve Fédérale sera bien conduite à réduire ses achats d’actifs, en réponse à la dynamique de l’activité et à l’accélération de l’inflation. Ces prédictions dignes d’une Cassandre, vont à l’encontre de bien des analyses qui considèrent que la reprise de l’activité continuera de porter les prix des actions, tandis que la modération de la Réserve Fédérale, elle, soutiendra les marchés.

A l’appui de ces affirmations, M. Gross met en avant l’augmentation de la dette publique américaine et plus encore la perspective de nouveaux plans budgétaires portés par l’Administration Biden (1’100 milliards de dollars), ainsi que les exigences de la gauche du Parti Démocrate, qui entend lier le plan d’infrastructures à un projet plus large de 3’500 milliards de dollars. Alors que la Banque Centrale devrait se montrer plus parcimonieuse, comment les marchés pourront-ils absorber sereinement cet afflux supplémentaire de dette publique? L’année fiscale qui se clôt fin septembre devrait voir le gouvernement américain afficher un déficit de l’ordre de 3’500 milliards de dollars.

La course aux rendements a certainement contribué à détériorer la qualité des portefeuilles des investisseurs et accru le risque porté par les épargnants.

Il y a de quoi s’inquiéter en effet. La hausse spectaculaire des dettes publiques – et privées – consécutive aux politiques de soutien mises en œuvre face à la pandémie de la Covid-19, s’est accompagnée d’une baisse des rendements obligataires du fait de l’intervention massive des Banques Centrales. Celles-ci ont absorbé la quasi intégralité des dettes supplémentaires émises par les Etats. A la clé de ce gigantesque pari: un rebond de l’activité tel qu’il «effacera» naturellement – par l’afflux des rentrées fiscales – le surplus de déficit consenti. De plus, quand bien même les programmes d’achats prendraient fin d’ici quelques mois, les Banques Centrales conserveront très probablement dans leurs bilans les actifs acquis. A moins qu’à l’instar de la Banque du Japon, elles n’aient d’autre choix que de persévérer.

Ce faisant, les prix des actifs ont tous augmenté et mis à mal bien des stratégies d’investissement, en accroissant les prises de risques. Ainsi aux Etats-Unis, le taux moyen des dettes d’entreprises dites spéculatives, a touché un point bas à 3,53%  au cours de l’été, soit 1 point de pourcentage au-dessous du niveau le plus bas jamais atteint par cette catégorie d’actif. La course aux rendements a certainement contribué à détériorer la qualité des portefeuilles des investisseurs et accru le risque porté par les épargnants. Certains se tournent désormais vers des dettes de moins en moins liquides, offrant des volumes très faibles, pour des rendements plus attractifs.

Un mouvement trop brusque de défiance des investisseurs, à l’occasion d’un resserrement monétaire mal anticipé par exemple, pourrait bien déclencher une réaction en chaîne sur l’ensemble des portefeuilles, poussant les investisseurs à se défaire en panique des actifs de bonne qualité pour couvrir leurs pertes. C’est certainement ce que redoute – à juste titre – Bill Gross. Mais si le reste du monde, toujours avide de dollars – et rendu méfiant par les soubresauts réglementaires de la Chine – continue d’acheter la dette américaine, quel autre risque court ce gouvernement que celui d’un déficit extérieur toujours croissant?

L’eau s’accumule dangereusement derrière le barrage. Cèdera-t-il pour autant?

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