Soleils verts

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’engouement pour les fonds ESG est-il exagéré?

L’enfer est pavé de bonnes intentions, ce n’est pas nouveau. Cette fois-ci, le risque et les conséquences sont de taille. La publication quasi simultanée de deux rapports récents retient l’attention sur les risques d’un emballement de la sphère financière pour l’investissement dit socialement responsable et notamment les fonds à décarbonation. Bulle spéculative et «greenwashing» sont les maux qui menaceraient cette classe d’actifs, au risque même de remettre en cause les efforts d’investissement les plus salutaires.

Dans sa livraison de septembre, la Banque des Règlements Internationaux1 s’inquiète de l’afflux de capitaux vers les fonds ESG, et de l’envolée de cette classe d’actif, qui pourrait bien être décorrélée non seulement des performances des entreprises qui la composent, mais également des objectifs affichés. Bref, au vu des masses en jeu, la BRI voit poindre le risque de formation d’une nouvelle bulle internet. Elle constate que l’intérêt des investisseurs se porte tout particulièrement sur les obligations qui privilégient la transition climatique. Le rapport estime l’encours des fonds ESG à près de 35’000 milliards de dollars en 2020 – soit près de 36% de l’ensemble des fonds d’investissement sous gestion dans le monde. Les investisseurs sont néanmoins impliqués à des degrés divers: ETF, fonds mutuels, fonds de pension américains ont connu les croissances les plus remarquables ces cinq dernières années, tandis que les Hedge Funds seraient plus «en retard» quant à l’orientation de leurs portefeuilles. Cependant, la BRI estime que les sociétés du secteur des énergies renouvelables connaissent des valorisations supérieures à celles des valeurs de croissance – considérées déjà comme très chères elles aussi. L’accélération du marché rappelle celle des MBS2 avant 2008, ou même des chemins de fer américains dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de bien triste et inquiétante mémoire. Pas de doute pour la Banque Internationale donc, la surchauffe menace, attisée par la chasse aux rendements, tandis que le suivi des portefeuilles, comme l’absence de critères et de définitions suffisamment standardisés et fiables, laissent une trop grande place à la spéculation et aux promesses fallacieuses.

De plus en plus de fonds adoptent – et se regroupent – autour de critères communs définis et vérifiés.

C’est ce point de vue que reprennent les chercheurs de l’EDHEC Business School et auteurs du rapport intitulé: «Faire le bien ou se sentir bien3», qui s’inquiètent du manque de transparence et de méthode dans l’analyse des investissements à vocation climatique, au risque de tromper les épargnants et de minorer l’effort réellement accompli dans ce domaine. Selon les auteurs de l’étude, l’impact réel des considérations climatiques sur les allocations de portefeuille reste limité à seulement 12% de l’ensemble des investissements, alors que les critères – classiques – tenant compte de la capitalisation boursière des actifs - dominent toujours largement les décisions d’allocation (88%). Si de surcroît, les investisseurs introduisent les considérations sociales et gouvernance, le score climat tomberait à un maigre et bien insuffisant 6% des portefeuilles! Les auteurs énumèrent alors les raisons de ces «ratés». Ainsi trouve-t-on par exemple, les «voies et moyens» propres à «verdir» un portefeuille qui consisteraient à sous-pondérer d’important secteurs en fait centraux dans la transition climatique (tels que l’électricité). Et de dénoncer d’autres artifices qui – pis encore – aboutissent à accroître le poids d’entreprises qui contribuent en réalité à la détérioration du climat. Un comble! Conclusion des auteurs: à moins de 50% de représentation effective des critères climatiques, un portefeuille verdi n’est pas vert pour autant.

Tout n’est pas perdu, des standards et taxonomies lisibles et fiables sont effectivement apparus. De plus en plus de fonds adoptent – et se regroupent – autour de critères communs définis et vérifiés (tels ceux tenant aux accords de Paris). Leurs poids croissant dans l’univers des investissements verts à impact devraient faire œuvre d’entraînement.

La prise de conscience des investisseurs est une réalité qu’il convient de ne pas galvauder. Oui, «le climat vaut plus que 12%».

 

2 MBS, Mortgage Back Securities
3 EDHEC – scientific Beta «Advanced ESG and Climate Investing «Doing Good or Feeling Good?” Detecting Greenwashing in Climate Investing August 2021

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