Les marchés peuvent-ils évaluer tous les scénarios à venir?

Christopher Smart, Barings

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Les gouvernements disposent de peu de leviers politiques crédibles pour relancer la croissance ou ralentir l'inflation dans un avenir proche.

©Keystone

Parfois, les marchés reflètent la sagesse collective d'investisseurs prudents du monde entier, qui doivent trouver des compromis difficiles entre risque et rendement. D’autres fois, ils ressemblent davantage à un match de football joué par des enfants qui ne cessent de s’agiter autour du ballon.

Malgré tous les discours d'incertitude, l'état actuel de l'économie mondiale n'est pas difficile à décrire. La croissance ralentit, mais ne s'effondre pas encore. L'inflation a atteint des sommets historiques, mais semble se modérer (du moins aux Etats-Unis). Selon les dernières prévisions du FMI, l'économie mondiale devrait croître de 3,2% cette année et de 2,7% en 2023. L'inflation mondiale, dans cette optique, ralentira, passant d'un taux fulgurant de 8,8% à un taux encore inconfortable de 6,5%.

En dépit de l'effondrement brutal des marchés à risque cette année, les investisseurs ne semblent guère saisis par la peur. Les écarts de taux sur les obligations d'entreprises de première qualité sont proches de 160 points de base, ce qui n'est pas loin des moyennes historiques. Le ratio cours/bénéfice de l'indice S&P 500 n'est pas cher, puisqu'il est proche de 18 fois pour une saison de rapports de bénéfices nerveux mais corrects. Au milieu des rapports sur la liquidité irrégulière du marché du Trésor et des craintes d'accidents financiers comme la récente crise des retraites au Royaume-Uni, il peut être surprenant que l'indice de volatilité CBOE soit loin de ses récents sommets.

Jerome Powell s’est montré très «hawkish» dans ses déclarations la semaine dernière, mais les marchés semblent actuellement parier sur une baisse des taux l'année prochaine, et ce même s'ils atteignent un sommet plus élevé que prévu. Les marchés ont adopté la définition la plus généreuse possible du terme «pivot» en ce qui concerne la politique de la Fed. La moindre allusion à un ralentissement du resserrement monétaire semble provoquer des vagues de liquidités sur la touche.

Mais comme dans tout match de football, il est souvent moins important de savoir où se trouve le ballon que de savoir anticiper sa trajectoire.

Ainsi, en suivant un scénario optimiste, le marché de l'emploi américain se refroidirait rapidement, les offres d'emploi disparaissant sans que le chômage n'augmente de manière significative. Alors, à Noël, la Fed signalera la fin des hausses de taux. Ensuite, dans un contexte de mécontentement intérieur croissant, le président russe Vladimir Poutine négocierait un cessez-le-feu en Ukraine. Les sanctions seraient maintenues, mais les prix mondiaux de l'alimentation et de l'énergie diminueraient. Désormais investi d'un troisième mandat, le président chinois Xi Jinping, quant à lui, annoncerait un assouplissement des restrictions du Covid et de nouvelles lignes de crédit pour le marché immobilier en difficulté. En Europe, les chefs d’Etat s'accorderaient sur des plans visant à répondre à leurs besoins énergétiques en recourant davantage à l'énergie nucléaire, à l'importation de GNL et à des fonds supplémentaires pour accélérer la transition climatique. Enfin, la révolution démocratique pacifique en Iran ouvrirait la perspective d'une fin des sanctions, d'une réduction des tensions au Moyen-Orient et d'un nouvel approvisionnement des marchés énergétiques mondiaux.

A l’inverse, il est toujours possible que la tournure des événement empire d’ici la fin d’année. Dans cette hypothèse, les salaires continueraient d'augmenter, les prix de l'essence grimperaient en flèche et les loyers deviendraient de plus en plus élevés, ce qui maintiendrait l'inflation des prix à la consommation bien au-dessus de 5% en 2023. Alors que l'on parle de «bombes sales», une nouvelle escalade militaire en Ukraine pourrait être désastreuse. Des sanctions plus strictes contre la Chine, qui développe ses relations économiques avec la Russie, serait pire sur le plan économique. Une nouvelle poussée de Covid entraînerait de nouvelles mesures de verrouillage en Chine, ce qui perturberait davantage la reprise nationale et les chaînes d'approvisionnement mondiales. Sur le plan énergétique, un hiver européen beaucoup plus froid que prévu, exercerait une pression énorme sur les réserves et les prix de l'énergie. Enfin, dans le scénario du pire, la BCE augmenterait considérablement ses taux d'intérêt et le gouvernement américain déciderait de sanctionner l'Arabie saoudite pour ses relations continues avec la Russie et déclencherait une nouvelle réduction de l'offre de l'Opep.
Toutes ces hypothèse nous rappellent que les perspectives restent incertaines. Les marchés pourront sans doute évaluer très rapidement les améliorations et les détériorations sur chacun de ces plans ainsi que la probabilité ou non de ces différents scénarios.

Cela rappelle également le peu de leviers politiques crédibles dont disposent encore les gouvernements pour relancer la croissance ou ralentir l'inflation dans un avenir proche. L'économie mondiale est malade et le seul médicament disponible ne fera qu'empirer les choses avant de les améliorer.

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