Les carnets de commandes et la récession

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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Le secteur industriel a actuellement des carnets de commandes supérieurs aux moyennes historiques.

Depuis près de trois ans les entreprises industrielles n’ont pas pu produire dans des conditions normales car elles ont subi des pénuries ou des perturbations logistiques. De son côté, la demande de biens manufacturés a bondi avec les effets inflationnistes que l’on connait. Dernièrement, les contraintes d’offre se sont corrigées en bonne partie et la demande est devenue plus hésitante. Les carnets de commandes sont largement garnis. Les perspectives de production semblent ainsi protégées. Dans un contexte de forte incertitude, on doute néanmoins que l’activité industrielle puisse échapper à une correction.

Des carnets de commandes au plus haut historique

Hausse des prix de l’énergie, renchérissement du crédit, incertitude géopolitique… A première vue, tous les éléments sont réunis pour peser sur un secteur cyclique tel que le secteur manufacturier. Aux Etats-Unis, l’indice ISM-manufacturier est tombé à 49 points en novembre, le PMI est à 47,7; en zone euro, il est à 47,1. Dans ces deux zones, la baisse avoisine 10 points depuis le début de l’année. A ce jour, il n’y a plus que 20% des pays du monde ayant un indice de confiance manufacturier en zone d’expansion. Pourtant, l’activité industrielle n’a pas chuté. La production mondiale aurait même affiché une hausse de 4,8% sur un an en septembre. En Europe, région la plus exposée à la crise de l’énergie, la production industrielle a même accéléré depuis le printemps.

Ces résultats reflètent peut-être le classique décalage temporel entre les indices de sentiment et les données d’activité. Mais une autre explication est possible: les industriels ont accumulé un tel stock de commandes depuis deux ans que cela leur permettrait désormais de ne pas ajuster leur volume d’activité aux signes d’affaiblissement de la demande. Pour certaines entreprises, le cas n’est pas douteux, mais que penser de cette hypothèse à l’échelon macroéconomique?

C’est en Allemagne qu’on trouve le plus de données détaillées sur le stock des commandes, ce qui n’est guère étonnant vu le poids de l’industrie dans son économie. Il y a quelques différences de niveau entre les sources disponibles mais l’évolution est similaire. Selon l’institut IFO, les carnets de commandes du secteur manufacturier représentent près de cinq mois de production, à comparer avec une moyenne historique inférieure à trois mois. Les données américaines montrent une hausse significative du ratio commandes/livraisons depuis le début de la pandémie, d’une ampleur moindre toutefois qu’en Allemagne. En somme, dans les pays développés, le secteur industriel a aujourd’hui des carnets de commandes élevés, supérieurs aux moyennes historiques et même aux points hauts passés.

L’origine du mal

Venons-en aux causes de ce phénomène pour apprécier s’il est durable. Tout d’abord, il y a les effets décalés des confinements. La production manufacturière a été stoppée ou réduite lors de chaque épisode de confinement en 2020, puis 2021. Même avec une remise en route rapide des économies, l’activité a pris du retard. En se basant sur l’écart de production en 2020-21, cela explique entre un tiers et la moitié de la hausse des carnets de commandes dans le cas de l’Allemagne. Le temps passant, ces perturbations causées par la pandémie vont s’atténuant. Par ailleurs, la demande de biens capitaux tend à réagir de manière disproportionnée aux variations de demande totale. Cet accélérateur d’investissement est l’un des mécanismes bien identifiés à l’origine des changements de phase du cycle des affaires. Cet effet a été renforcé par la crise sanitaire. La pandémie a en effet induit des changements de comportement et généré une demande soudaine de certains biens d’équipement pour toutes les activités à distance, que ce soit le travail, l’enseignement, les loisirs ou le commerce. De leur côté, les gouvernements ont mis en œuvre des mesures visant à soutenir la demande à court terme mais aussi à encourager ces transformations. Le choc passé, il y a tout lieu de s’attendre à une normalisation. Un exemple parmi d’autres: en France, les ventes à distance ont bondi de 27% en 2020, ont quasi-stagné en 2021 (+2%) et s’effondrent en 2022 (-15%). Au plus fort des confinements, le stock de capital a perdu de sa valeur (pensons aux bureaux soudainement vides, aux magasins fermés), créant un fort besoin d’investissement de remplacement. Trois ans plus tard, le futur postpandémique ne semble pas si différent du passé. Il peut y avoir un retour de balancier. Par rapport aux prévisions du début d’année, la croissance anticipée sur 2022 et 2023 a été coupée d’environ 4 points aux Etats-Unis et en zone euro. A l’échelon global, la croissance du PIB réel est désormais attendue au voisinage de 2% l’an prochain, au-dessous de sa tendance moyenne (>3%). Dans ce contexte, la demande de biens d’investissement est amenée à se tasser.

Les perturbations causées par la pandémie en 2020 ont un écho sur les conditions d’activité en 2022. Le haut niveau actuel des carnets de commandes est un héritage de la crise sanitaire. On peut douter que cela suffise aux entreprises industrielles pour éviter d’avoir à ajuster à la baisse leur production et leurs dépenses en capital.

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