Les bons et les mauvais élèves de la dette

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Pour les économies avancées, l’encours de la dette publique n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Pour le Fonds Monétaire International, s’il n’y a urgence que pour certains pays, la question de l’accroissement des dettes publiques se pose à tous aujourd’hui. Pour les économies avancées, et malgré quelques efforts de réduction, l’encours de la dette publique n’a jamais été aussi élevé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tandis que nombre de pays émergents retrouvent ou dépassent les seuils de la crise des années 1980. C’est même ce qui caractérise la situation présente: un fort endettement en temps de paix. La question se pose avec d’autant plus d’acuité, que la Réserve Fédérale a entamé le processus de réduction de son bilan, tandis que la Banque Centrale Européenne vient elle aussi d’arrêter son programme d’achats nets d’actifs. Seule la Banque du Japon semble déterminée à poursuivre son «quantitative easing». La Chine aussi rejoint le club des pays à fort endettement, notamment son secteur des entreprises publiques et des collectivités locales. Les efforts d’assainissement dans ce domaine, pèsent sur la croissance du pays. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement aux risques induits par les dettes américaines et européennes. Les moyennes ne sauraient rendre compte de la dispersion des situations. En effet, 10 ans après la grande crise financière, il faut bien distinguer les bons des mauvais élèves de la dette.

Du côté des bons élèves, saluons l’Allemagne et la Suisse. La première a retrouvé en 2018, le ratio des 60% de dette sur PIB, défini par Maastricht. La Suisse a connu depuis la crise un parcours encore plus remarquable, car sa dette a été constante réduction et vient de passer sous le seuil des 30% de son PIB. Les deux pays affichent désormais des surplus budgétaires. Ces situations contrastent fortement avec celle de la France par exemple, qui continue de voir sa dette croître et tangente vers le niveau symbolique de 100% du PIB. De même, la crise des années 2010-2012 a laissé la Grèce avec un taux d’endettement explosif à plus de 170% du PIB, ce qui implique des efforts de réduction des déficits (hors charge d’intérêt) considérables, pour ne pas dire insupportables. L’Espagne et le Portugal, qui ont également fait exploser leur dette durant la crise (96% et 120% respectivement en 2018) voient leurs efforts récompensés par un lent reflux de leurs dettes. On l’a souligné également, l’Italie qui porte une dette de plus de 130% du son PIB, n’a pu la réduire, malgré des efforts budgétaires réels ces dernières années. Aux Etats-Unis, la politique budgétaire et fiscale agressive du Président Trump a abouti à une forte détérioration des finances publiques du pays depuis 2017, et à une augmentation de la dette publique brute qui s’établit désormais à près de 105% du PIB.

Lorsque les rendements obligataires sont inférieurs au taux de croissance,
les Etats parviennent à payer leur dette sans recourir à l’impôt.

Quel risque court-on et à quelle échéance? Cette question revient à examiner la soutenabilité des finances publiques. L’évolution des finances publiques est considérée comme soutenable à terme si la dette publique est stabilisée en pourcentage du PIB. Cette définition a été complétée par d’autres, mais retenons que pour stabiliser ou réduire la dette publique, il faut pouvoir agir sur plusieurs leviers.  D’abord réduire le déficit (hors charge d’intérêt) soit juste assez pour stabiliser la dette, soit plus au regard d’un objectif de réduction de ce ratio. Ensuite, ajouter un effort supplémentaire de réduction des dépenses pour tenir compte de la croissance de celles liées au vieillissement de la population. De tels efforts impliquent un arbitrage clair entre réduction des dépenses et augmentation de la fiscalité. Leur impact peut être allégé lorsque la croissance nominale progresse plus vite que les taux d’intérêt de la dette.

C’est ce que souligne l’économiste Olivier Blanchard dans une récente étude1 où il avance que – et ce fut le cas en moyenne dans la plus grande partie du siècle passé – lorsque les rendements obligataires sont inférieurs au taux de croissance, les Etats parviennent à payer leur dette sans recourir à l’impôt. De même, si le niveau de taux d’intérêt reste inférieur à la croissance, le coût marginal social de l’accumulation de la dette n’est peut-être pas aussi important, et dépend aussi du coût et du rendement comparé du capital. La politique de «quantitative easing» menée par la Fed comme la BCE, ont bien eu pour effet de réduire le coût de la dette avec l’intention d’alléger son poids sur les économies des pays concernés.  De fait, en Europe depuis 2014 – bien qu’à des degrés divers – la baisse des rendements obligataires a bien servi cet objectif. Mais le décalage est resté modeste dans certains cas au regard de l’effort à consentir, tandis que d’autres en ont usé autrement. Et l’ancien chef Economiste du FMI, met clairement en garde contre toute interprétation laxiste de son étude. Car il est clair que les plus endettés sont aussi les plus vulnérables et les plus susceptibles de subir la sanction des marchés, surtout en cas de retournement de conjoncture.

Et la question n’est pas théorique. Le ralentissement actuel de la conjoncture, le resserrement généralisé du crédit, pèsent sur l’activité tandis que l’inflation est encore très modeste. A ce stade, la Réserve Fédérale s’est bien ménagé une certaine marge de manœuvre monétaire. Elle pourrait décider de baisser ses taux directeurs pour contrer la récession, mais elle entraînerait probablement un mouvement de baisse du dollar tel qu’il pourrait aggraver la situation du reste du monde. De son côté, la BCE, qui vient de stopper son programme d’achat nets d’actifs, maintient ses taux directeurs au plus bas, au moins jusqu’à l’été, dit-elle. Si elle devait relancer ses achats de titres, elle est tout de même limitée dans son intervention par les règles européennes qui lui imposent des quotas par pays. Et les «bons élèves» alors, sont-ils pour autant exempts de toute critique? Loin s’en faut ! Beaucoup à l’intérieur comme à l’extérieur, leur reprochent leur «avarice» et leur pusillanimité. Ne devraient-ils pas concevoir des plans de dépenses, de redistribution et d’infrastructures plus ambitieux? Le débat est loin d’être tranché.  Chez les premiers comme chez les derniers de la classe.

 

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