Le chat de Battelle

Antoine Mach, Covalence SA

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Partage d’expériences et échanges sur l’actualité de la finance durable à la Haute école de gestion de Genève.

Le chat de Schrödinger évoque le problème de la mesure en physique quantique. La semaine passée, le chat de Battelle symbolisait, lui, le problème de la mesure en finance durable. Kevin Pham, juriste chez Swissquote, a immortalisé ce moment: «En entrant dans la salle de cours, cet ami à quatre pattes n’a pas eu besoin de parler pour nous rappeler que la durabilité est une préoccupation globale qui nous interpelle dans notre vie quotidienne et professionnelle.»

Cette visite inopinée a eu lieu sur le campus de Battelle dans le contexte du CAS Sustainable Finance1, un programme de formation continue de la Haute école de gestion de Genève (HEG) conçu par Andrea Baranzini, Jean Laville et le soussigné pour aider les professionnels de la finance à maîtriser les enjeux de l’analyse Environnement, Social, Gouvernance (ESG) et, plus largement, de l’investissement durable. Ce programme répond à une demande importante dans un domaine où les banquiers, et en particulier les conseillers à la clientèle, sont insuffisamment formés2.

Durant trois jours, des experts sont venus à la rencontre des 25 participants pour aborder, précisément, les défis de la notation ESG, de la mesure d’impact et de l’évaluation de portefeuilles, et présenter des approches fondées sur l’analyse des modèles d’affaires (Monica Goddard, Inrate), l’intelligence collective (Bertrand Gacon, Impaakt), l’intelligence artificielle (Covalence) ou le consensus (Conser). Le témoignage des praticiens a été complété par la contribution académique de Catalina Martínez, de l’Université de Genève (GFRI), qui nous a rappelé la différence entre output, outcome et impact.

L’investissement d’impact, ou impact investing, est une stratégie d’investissement durable particulièrement exigeante requérant intentionnalité, mesures objectives et additionnalité. Elle se situe dans l’au-delà de la conformité et de la gestion des risques, cherchant avant tout à financer des modèles d’affaires durables et des solutions concrètes aux défis contemporains (énergie renouvelable, inclusion financière, agriculture durable, logement social, accès aux soins, économie circulaire, etc.). Cela nécessite force de conviction, présence sur le terrain auprès des entreprises et outils d’analyse robustes, comme en ont témoigné Florian Kemmerich de Bamboo Capital Partners, Tim Radjy d’AlphaMundi et Aymeric Jung de Quadia.

L’engagement actionnarial est un outil efficace pour susciter des changements de pratiques et générer des impacts positifs.

Un investissement en actions cotées peut-il prétendre à l’impact? Faut-il opposer ESG et impact, et cantonner ce dernier au small is beautiful? Au contraire, est-il préférable d’élargir le spectre et de viser l’impact à grande échelle, même si la mesure en devient plus ardue et les risques de greenwashing plus étendus? Ces questions ont fait partie des échanges menés avec Sarunas Kubilickas de ASTERIA Investment Manager.

A l’échelle des sociétés cotées et des investisseurs institutionnels, l’engagement actionnarial est un outil efficace pour susciter des changements de pratiques et générer des impacts positifs. Telle est la conviction partagée par Vincent Kaufmann, de la fondation Ethos, Dominique Habegger, chez de Pury Pictet Turrettini & Cie, et Grégoire Haenni, de la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève.

Durant ces trois journées à la HEG, les échanges ont aussi porté sur les exclusions sectorielles, la plus ancienne pratique de finance durable. Si le rejet des armements controversés ne fait pas débat, d’autres thèmes situés en zone grise ont nourri des discussions animées. Ainsi, faut-il dissuader les investissements qui permettraient au Cambodge d’exploiter les gisements de pétrole récemment découverts sur son territoire? Ces considérations relevant du développement économique et social, en tension avec les objectifs climatiques formalisés dans l’Accord de Paris, ne devraient-elles pas figurer dans le concept de transition énergétique juste (fair transition)?

Un cadre réglementaire est nécessaire pour que la finance durable produise des résultats à la hauteur de ses ambitions.

Dans un autre registre, face à l’intérêt croissant des hedge funds pour les mesures et signaux de durabilité, des réponses contrastées ont été données à la question: les stratégies long-short intégrant le facteur ESG pourraient-elles représenter un instrument utile pour sanctionner le greenwashing?

La performance financière des investissements durables a également été abordée, le plus souvent dans une perspective à long-terme suivant les changements sociétaux profonds, comme l’a illustré Christian Roessing à propos des Clean Energy Funds de Pictet Asset Management. Foort Hamelink, de Lombard Odier Asset Management, a quant à lui cité plusieurs études démontrant une surperformance des sociétés faiblement émettrices de CO2, tandis que sa collègue Ebba Lepage témoignait des efforts menés par la banque elle-même en termes de durabilité.

Pour la plupart des experts et des participants réunis à la HEG en juin, un cadre réglementaire est nécessaire pour que la finance durable produise des résultats à la hauteur de ses ambitions. Antoine Amiguet et Sonia De La Fuente, avocats chez OBERSON ABELS, ont ainsi présenté les nouvelles règles adoptées au sein de l’Union Européenne (taxonomie verte, SFDR), alors que Sabine Doebeli, de l’organisation faîtière Swiss Sustainable Finance, faisait le point sur la position plus libérale de la Confédération en la matière. Les pratiques des banques de détails, des assurances et des caisses de pension helvétiques ont été analysées par Amandine Favier du WWF Suisse.

Enfin, Sandrine Salerno, directrice de l’association Sustainable Finance Geneva, a rappelé la position stratégique de Genève sur la carte de la finance durable et nous a donné rendez-vous du 29 novembre au 2 décembre pour Building Bridges, une semaine d’événements consacrée à la transition vers une économie plus durable où l’on abordera certainement le problème de la mesure, sous le regard toujours attentif du chat de Battelle...

 

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