Au Royaume-Uni comme aux États-Unis, les partis politiques de gauche et de droite rivalisent pour montrer aux électeurs qu'ils sont du côté des travailleurs. La question est de savoir si les approches dominantes en matière de protection des travailleurs – qui se concentrent sur une combinaison de politique industrielle et de restrictions au commerce, à l'investissement et à l'immigration – sont réellement dans l'intérêt des travailleurs.
La protection des travailleurs est devenue pratiquement synonyme de protectionnisme. Ces dernières années, les électeurs de nombreux pays, soucieux de leur bien-être économique, se sont retournés contre le libre-échange, l'immigration et les investissements étrangers directs. Ils ont rejeté les dirigeants et les partis qui ont longtemps promu ces politiques.
L'Europe est un bon exemple. La crise financière mondiale de 2007-2008 a plongé les ménages de la classe moyenne dans l'insécurité économique. Les électeurs ont commencé à regarder au-delà des partis politiques traditionnels à la recherche d'un soutien et d'une protection accrus. Ils ont souvent été attirés par ceux qui accusaient l'immigration d'être à l'origine de leurs difficultés. La pandémie de Covid-19 et la crise du coût de la vie qui a suivi ont renforcé cette tendance. Les récentes élections en Autriche, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas ont été marquées par une montée en puissance des partis anti-immigration.
Aux États-Unis, il n'y a pas eu d'émergence de nouveaux partis politiques, mais d'un nouveau type de leader. Donald Trump a remporté la présidence américaine en 2016 en accusant le libre-échange (en particulier avec la Chine) d'avoir décimé les emplois et les investissements dans la ceinture de rouille des États-Unis. Alors que la critique du libre marché et du capitalisme était autrefois l'apanage de la gauche, même The American Conservative publie désormais des articles mettant au pilori le commerce, l'immigration et la libre circulation des capitaux pour les ravages de la désindustrialisation.
La politique commerciale peut également être utilisée pour protéger les travailleurs, à condition de ne pas se limiter aux droits de douane.
L'une des réponses à ce «carnage» est l'instauration de droits de douane, que Trump s'est empressé de mettre en place lorsqu'il était au pouvoir. Mais Joe Biden – qui a battu Trump aux élections de 2020 – a maintenu et même développé ces droits de douane. Au début de l'année, Joe Biden a imposé des droits de douane de 100% sur les voitures électriques fabriquées en Chine – un taux très élevé, même s'il ne concerne qu'un très faible pourcentage des importations américaines en provenance de Chine. Trump promet, s'il est réélu, d'appliquer des droits de douane de 60% à 100% sur toutes les importations chinoises.
Le message protectionniste est clairement celui que les travailleurs veulent entendre. Mais il est peu probable que les droits de douane soient efficaces. Pour commencer, ils entraînent des représailles et de la méfiance chez les partenaires commerciaux, comme nous l'avons vu en 2018, lorsque Trump a imposé des droits de douane sur l'acier et l'aluminium en provenance du Canada, de l'Europe et du Mexique. Ils réduisent donc l'accès d'un pays aux marchés étrangers, tout en faisant grimper les prix. Parce qu'ils perturbent les chaînes d'approvisionnement qui fournissent des composants vitaux pour la fabrication nationale, ils pourraient également entraîner des pertes d'emplois.
Ces pertes ne seraient pas compensées par les emplois «réimplantés» promis par les protectionnistes, car les emplois précédemment délocalisés (à bas salaires) sont de plus en plus souvent occupés par des machines, et non par des travailleurs. C'est déjà le cas en Chine, où la «fabrication intelligente» est réalisée dans des «usines sombres» entièrement gérées par des robots. La protection des emplois manufacturiers n'est donc pas plus une solution aux taux élevés de chômage des jeunes en Chine que la délocalisation de ces emplois n'est un moyen réaliste de revitaliser la «ceinture de rouille».
Mais, comme l'a montré l'administration du président américain Franklin D. Roosevelt dans les années 1930, il existe un meilleur moyen de protéger les travailleurs: une législation nationale du travail qui favorise la syndicalisation. Au-delà de la garantie d'un niveau de vie décent pour les travailleurs, une telle législation aux États-Unis et au Royaume-Uni a donné une plus grande voix politique aux travailleurs, leur permettant d'accéder à la politique par le biais du mouvement ouvrier.
Cette situation a changé lorsque les partis syndicaux traditionnels ont été dominés par des professionnels libéraux urbains, plutôt que par des représentants de la classe ouvrière. Par exemple, la proportion de députés de la classe ouvrière représentant le parti travailliste britannique a chuté de près de 30% en 1987 à seulement 10% en 2010.
Heureusement, les décideurs politiques au Royaume-Uni et aux États-Unis semblent de plus en plus reconnaître le rôle de la législation nationale du travail dans la protection des travailleurs. Au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement travailliste a présenté un projet de loi sur les droits de l'emploi, qui étendrait les droits des travailleurs dans des domaines tels que les indemnités de maladie, les horaires flexibles et la protection contre les licenciements abusifs. Ce projet de loi ouvre la voie à la réactivation des syndicats, à la suppression des restrictions au droit de grève des travailleurs, à la réduction de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes et au renforcement des protections contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Comme on pouvait s'y attendre, les réactions des employeurs ont été mitigées. Le gouvernement va maintenant s'engager dans de vastes consultations pour transformer le projet de loi en législation.
Aux États-Unis, l'administration Biden a cherché à inclure des incitations à soutenir la syndicalisation dans la loi Build Back Better, qui visait à créer des «millions d'emplois bien rémunérés». Mais les lobbyistes de l'industrie ont fait pression sur le Congrès américain pour qu'il élimine les incitations proposées aux fabricants pour qu'ils installent leurs usines d'assemblage aux États-Unis et qu'ils fassent appel à une main-d'œuvre syndiquée. En fin de compte, l'adoption de la loi s'est jouée à une voix – celle du sénateur démocrate Joe Manchin, qui a insisté pour que le soutien à la main-d'œuvre syndiquée soit supprimé.
La politique commerciale peut également être utilisée pour protéger les travailleurs, à condition de ne pas se limiter aux droits de douane. L'accord États-Unis-Mexique-Canada, que l'administration Trump a négocié pour succéder à l'Alena en 2018, contient les dispositions les plus strictes et les plus ambitieuses en matière de travail de tous les accords de libre-échange américains. En plus de placer les obligations en matière de travail au cœur de l'accord et de les rendre pleinement applicables, l'USMCA prévoit que les pays peuvent aider les travailleurs à s'adapter grâce à des programmes nationaux, tels que les programmes américains d'aide à l'ajustement commercial qui, depuis 1962, aident les travailleurs à faire la transition entre les emplois perdus en raison de la concurrence des importations. L'USMCA prouve que la protection des travailleurs est compatible avec la compétitivité internationale.
Le soutien politique aux politiques commerciales protectionnistes est facile à expliquer. Une part croissante des travailleurs des démocraties industrialisées se sentent – et sont, en fait – moins représentés et moins protégés que les générations précédentes. Les usines chinoises comme les travailleurs immigrés sont des cibles faciles. Ainsi, lorsque les politiciens reconnaissent la frustration de ces électeurs et qu’ils promettent d'améliorer leurs conditions de vie par des droits de douane et des contrôles de l'immigration, ils sont facilement convaincants. En fin de compte, cependant, cette approche n'apportera pas grand-chose aux travailleurs, ni aux dirigeants politiques qui l'adoptent.
Copyright: Project Syndicate, 2024.