Pour que fonctionnent les sommets internationaux

Ngaire Woods, Université d'Oxford

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Les objectifs affichés sont certes louables, mais bien souvent, il ne sort guère de ces grands sommets que des photographies de groupe et de vains serments.

Les dirigeants de la planète qui étaient réunis voici peu à l’occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ont fait vœu de mobiliser des ressources pour soutenir les pays en développement aux prises avec les crises de la dette et de donner aux pays du Sud une place plus grande dans la gouvernance mondiale. Les objectifs affichés sont certes louables, mais bien souvent, il ne sort guère de ces grands sommets que des photographies de groupe et de vains serments.

Malgré cela, le sommet de Paris est important car il a dessiné les contours d’une série de réunions au plus haut niveau, qui se tiendront en septembre: celle du G20 à New Delhi, de Finances en commun en Colombie, et enfin le sommet des Objectifs de développement durable des Nations unies, à New York.

L’efficacité de ces sommets, compte tenu de ce qui est en jeu, devient de plus en plus cruciale. L’augmentation de l’extrême pauvreté au cours des trois dernières années ainsi que la fréquence toujours plus grande à laquelle surviennent les catastrophes naturelles et humanitaires, dont beaucoup sont causées par les changements climatiques, soulignent le besoin de résilience des pays.

La coopération internationale, pourtant, s’affaiblit, alors qu’elle n’a jamais été aussi nécessaire. Les pays en développement se sentent exclus des processus de prise de décision qui donnent la priorité aux besoins des pays riches, que ce soit dans le contexte de la pandémie de Covid-19 ou bien pour ce qui concerne la sécurité de l’Ukraine, privilégiée à la leur. Il ne fait guère de doute qu’une coopération efficace demande un effort de concertation.

Cela ne signifie pas que les sommets internationaux ne peuvent conduire à des changements significatifs. Les sommets du G20 de Washington en 2008 et de Londres en avril 2009, par exemple, ont évité une débâcle économique mondiale et remodelé de système financier. La Conférence monétaire et financière de Bretton Woods, dans le New Hampshire, en 1944, sous l’égide des Nations unies, inaugurée et conclue par des sommets d’une journée des dirigeants mondiaux, a posé les fondations de la gouvernance économique internationale telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.

Pour imposer une taxe sur le transport maritime, par exemple, il faut s’entendre sur ses modalités et sur l’allocation des recettes attendues, que différents pays revendiquent concurremment.

Certains éléments sont cependant indispensables à la réussite des sommets internationaux. L’équilibre des forces en présence – et tout particulièrement la cohérence entre ce que les participants peuvent réellement mettre en œuvre et ce dont ils peuvent convenir – est essentiel.

Autre élément important: la participation. De nombreux dirigeants de pays en développement ont assisté au sommet de Paris, représentant notamment le Niger, l’Égypte, l’Afrique du Sud, la Colombie, le Sri Lanka, le Nigéria, la Barbade, l’Arabie saoudite et le Pakistan. Ont aussi participé les cheffes et chefs d’institutions multilatérales comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque interaméricaine de développement, ainsi que de grandes ONG. En revanche, nombre des leaders du G20 ont brillé par leur absence.

Pour les dirigeants des pays en développement, le sommet de Paris offrait une occasion unique de faire connaître leurs besoins à leurs homologues des pays riches et aux responsables des organisations internationales. La Banque mondiale, par exemple, pourrait accélérer la mise en place de son plan d’augmentation de ses capacités de prêt, de 50 milliards de dollars sur la prochaine décennie. Le FMI pourrait faire des propositions plus ambitieuses sur la hausse des fonds mis à disposition des pays en développement. Le Fonds pourrait aussi plaider pour de meilleures stratégies de restructuration ou de remise de la dette souveraine, en s’inspirant de ses propres initiatives – et de celles d’autres acteurs – permettant de suspendre les remboursements en cas de catastrophe climatique ou de pandémie. Sans compter qu’en améliorant leur efficacité et en renforçant la coopération, les institutions multilatérales pourraient maximiser leur impact.

Mais pour accroître les ressources et diversifier les outils des prêteurs multilatéraux, ou pour mettre en œuvre des idées de financement novatrices comme la taxe internationale sur les émissions carbonées du transport maritime, les pays du G20 doivent parvenir à un consensus. Pour imposer une taxe sur le transport maritime, par exemple, il faut s’entendre sur ses modalités et sur l’allocation des recettes attendues, que différents pays revendiquent concurremment.

Le problème est aujourd’hui l’absence de plusieurs chefs d’État représentant certains des actionnaires principaux. Ainsi le président des États-Unis, Joe Biden et le Premier ministre indien Narendra Modi n’ont-ils pas assisté au sommet de Paris et ont-ils préféré se rencontrer à Washington. Les États-Unis vont entrer en année électorale, et face à des républicains qui dénoncent la position des institutions internationales contre les énergies fossiles, l’administration Biden a d’autres priorités. Modi est lui aussi préoccupé par les élections de l’an prochain et a déjà mis à profit la présidence indienne du G20 pour lancer la Table ronde mondiale sur la dette souveraine, avec le FMI et la Banque mondiale, ainsi qu’avec un groupe d’experts sur le renforcement des banques multilatérales de développement.

D’une façon plus générale, Premiers ministres et présidents, se disputent le premier plan dès lors qu’il s’agit de coopération globale. Nous en avons eu une sorte d’illustration, la semaine passée, quand le Royaume-Uni et l’Ukraine ont organisé à Londres et à des dates qui chevauchaient celles du sommet de Paris la Conférence pour la reconstruction de l’Ukraine, les deux capitales se faisant de fait concurrence pour attirer les participants.

Outre l’absence des leaders du G20, le sommet de Paris, comme d’autres réunions, a manqué d’une préparation adéquate, ce qui réduit la probabilité d’obtenir des accords viables sur les objectifs à définir et les politiques à suivre. Comme le notait, on s’en souvient, Robert Putnam dans son travail précurseur sur le G7 de 1978 à Bonn, la préparation peut faire ou défaire un sommet. Un processus de préparation suffisamment dynamique peut aider les dirigeants politiques à réunir des soutiens pour des accords internationaux en élargissant le spectre des mesures que les groupes d’intérêts nationaux seront susceptibles d’accepter (leur «équation gagnante»).

Lors du G7 de 1978, le gouvernement allemand dut faire face aux pressions de la Bundesbank, du ministère des Finances, des milieux d’affaires et bancaires ainsi que du parti libéral-démocrate, pièce essentielle de la coalition au pouvoir, qui s’opposaient à un plan global de relance économique. Seul un petit groupe de hauts fonctionnaires, autour du cabinet du chancelier et du ministère de l’Économie, avec l’appui des sociaux-démocrates et des syndicats, plaidaient pour une politique économique plus expansionniste. Mais les négociations du G7 offrirent aux expansionnistes l’opportunité de défendre leur cause et leur permirent, finalement, une modeste victoire.

Les sommets à venir doivent jeter les bases de la future coopération mondiale. Faute de la construction d’un large soutien public aux engagements pris par les dirigeants des pays concernés, il est peu probable qu’on assiste à la convergence d’équations gagnantes susceptibles de transformer les choses.

Un dessin de presse satirique a autrefois dépeint un sommet du G7 dont un des participants affirmait: «Si nous ne sommes pas tenus par nos promesses, alors je suis d’accord pour éradiquer la pauvreté.» Un tel cynisme est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. Dans le monde d’aujourd’hui, en fragmentation rapide, les dirigeants doivent se rencontrer, entamer des discussions constructives et agir de façon décisive en faveur de la coopération. S’ils sont préparés consciencieusement, des sommets réunissant les participants idoines pourraient constituer un bon point de départ.

 

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