Le serpent se mord-il la queue?

Yves Hulmann

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Faut-il miser sur les actions de valeur ou celle de croissance? Les discussions sur la rotation… finissent par tourner en rond.

C’était il y a quelques mois seulement, avant que l’inflation ne grimpe à des sommets des deux côtés de l’Atlantique et que la guerre en Ukraine n’éclate. A la fin de l’année 2021 et au début de 2022, de nombreux stratèges insistaient sur la «grande rotation» à venir entre styles d’investissement. Les titres cycliques et de croissance devant faire place aux actions dites de valeur.

Graphiques à l’appui, maints stratèges montraient - par exemple à l’aide du ratio Wilshire Growth/Value qui compare les valorisations des titres de croissance et de valeur - que les actions de croissance se payaient désormais beaucoup trop cher, se rapprochant dangereusement des niveaux observés au début des années 2000 avant que la bulle Internet n’éclate. Quelques mois plus tard, ce pronostic s’est avéré en bonne partie correct pour les valeurs de croissance et de nombreux titres de la «tech» qui affichent souvent des pertes de 20%, voire davantage, depuis le début de cette année. Du côté, des titres «value», qui sont sensés mieux résister en périodes de turbulences, beaucoup de titres n’ont toutefois de loin pas tenu leur promesse.

Les titres de Coca-Cola (+9% depuis début janvier) et de Walmart (+6%) ont pleinement assuré leur rôle de valeur défensive en période de crise.

La comparaison de la performance depuis début janvier de l’indice S&P 500 Value, constitué en principe de titres de sociétés présentant des valorisations modestes et un rendement des dividendes élevé, avec celui du S&P 500 Growth, incluant schématiquement des entreprises affichant des taux de croissance élevés et qui préfèrent investir plutôt que de verser des dividendes, s’avère intéressante à plus d’un titre. Certes, les actions de valeur inclues dans le S&P 500 Value ont limité leurs pertes aux environs de 5% entre janvier et début mai, comparé à une chute de quelque 20% subie par les titres du S&P 500 Growth. A l’intérieur de chacune de ces catégories, les contre-exemples sont nombreux.

Ainsi, parmi les dix actions de valeur qui ont le plus de poids dans le premier indice, on trouve par exemple le titre de Walt Disney qui a plongé de plus de 27% depuis début janvier. L’action du géant des produits de consommation courante Procter & Gamble, souvent considérée comme typiquement défensive, a cédé près de 6% depuis début janvier. Toujours est-il que les titres de Coca-Cola (+9% depuis début janvier) et de Walmart (+6%) ont pleinement assuré leur rôle de valeur défensive en période de crise. Du côté des valeurs dites de croissance, on peut noter à l’inverse que certains ont plutôt bien résisté à la dégringolade généralisée depuis février. L’action d’Apple limite son recul à 11% depuis janvier.

L’action de Booking.com a limité ses pertes à 7% depuis début janvier, soutenue par la reprise du secteur du voyage.

Même au sein du secteur de la «tech», si décrié actuellement, certaines valeurs inclues dans le Nasdaq 100 ont su limiter les dégâts: l’action de Booking.com a limité ses pertes à 7% depuis début janvier, soutenue par la reprise du secteur du voyage. D’ailleurs, cette société cotée au Nasdaq est-elle une valeur technologique ou au contraire une entreprise du secteur des loisirs? La même question se pose pour Amazon: le géant du commerce en ligne est-il une entreprise que l’on doit rattacher au secteur de la consommation, de l'IT (serveurs) ou encore à celui du divertissement (Amazon Prime). Le découplage classique entre styles d’investissement ne correspond souvent plus à la réalité des entreprises.

La crise de ces derniers mois a remis en question de nombreuses certitudes et redistribué les cartes dans beaucoup de domaines. Est-il encore utile de baser ses décisions de placement uniquement en fonction de styles d’investissement – titres «value» contre actions de croissance – ou en fonction de secteurs d’activité? Ou ne faudrait-il pas plutôt s’intéresser davantage à la qualité intrinsèque des entreprises? En particulier à des aspects tels que leurs capacités à pouvoir répercuter des éventuelles hausses de prix, à la force de leur marque et à leurs moyens de s'adapter. Mieux vaut sélectionner un thème d’investissement qui correspond à une évolution ou une attente de la part de la clientèle que de s’orienter en fonction de catégories de titre prédéfinies qui ne correspondent souvent déjà plus à grand-chose.

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