Brevets: la diversification, secret de la réussite de l’économie helvétique

Yves Hulmann

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Par rapport à son nombre d’habitants, la Suisse a été le pays qui a déposé le plus de brevets en 2021, portée notamment par la pharma.

Depuis plus de dix ans, la Suisse se place en tête du classement du nombre de demandes de brevets par habitants. Dans le dernier classement portant sur l’année 2021 publié mardi par l’Office européen des brevets (OEB), la Suisse recensait ainsi 969 demandes par million d’habitants, soit nettement plus que celles déposées en Suède (488 demandes), au Danemark (454), aux Pays-Bas (383) et en Finlande (380).

Demandes de brevets par millions d’habitants en 2021

 

Parmi les pays européens de plus grande taille, l’Allemagne se place au 6e rang avec 310 demandes par million d’habitants, tandis que la France se situe au 13e rang (161 demandes). La moyenne des 27 pays de l’Union européenne est de 155 brevets par millions d’habitants, un nombre qui dépasse légèrement celui des Etats-Unis (140).

Synergies entre le secteur privé et la recherche académique.

Comment expliquer la bonne position occupée par la Suisse en matière du nombre de demandes de brevets déposées par millions d’habitants depuis une décennie? «La Suisse bénéficie d’un système diversifié en termes d’innovation, qui s’appuie à la fois sur des multinationales, des entreprises de taille moyenne et le réseau des universités et des écoles polytechniques fédérales. En matière d’innovations, elle ne dépend ainsi pas d’un seul secteur», analyse Yann Ménière, économiste en chef auprès de l’OEB. Il souligne que le tissu industriel suisse peut s’appuyer sur des sociétés issues de secteurs très divers. «Il y a par exemple des entreprises actives dans les instruments de mesure, dans la mécanique à l’exemple de Liebherr ou dans les techniques liées à l’électricité comme ABB», cite-t-il à titre d’exemple.

Roche et ABB en tête

Côté entreprises, ce sont, dans l’ordre, les multinationales Hoffmann-La Roche (633 demandes), ABB (522) et Japan Tobacco International (495) qui occupent le trio de tête des sociétés qui ont déposé le plus grand nombre de demandes de brevets en 2021 en Suisse. Parmi les autres grandes entreprises helvétiques qui figurent parmi les dix premières positions de l’édition 2021 du classement de l’OEB, on retrouve également Nestlé (5e), Swatch Group (6e), Novartis (8e) et Sika (10e). S'agissant des entreprises basées en Suisse romande, des sociétés telles que Liebherr (15e), Bobst (21e place) et Givaudan (24e) figurent aussi parmi les 30 premières places du classement.

Sciences de la vie: l’innovation vient aussi des medtech

Avec Hoffmann-La Roche qui a déposé l’an dernier à elle seule 633 demandes de brevets auprès de l’OEB et Novartis avec 201 demandes de brevets, la pharma joue ainsi un rôle clé en matière d’innovation en Suisse. Est-ce une chance - ou y a-t-il aussi un risque de trop grande dépendance de la Suisse envers son industrie pharmaceutique? Yann Ménière relativise un tel risque: «L’aspect chance compte ici davantage. D’une part, car le pôle d’innovation lié aux sciences de la vie en Suisse ne repose pas seulement sur la pharma proprement dite mais aussi sur le secteur de la santé, au sens plus général, qui inclut également les entreprises actives dans les techniques médicales.» D’autre part, l’innovation suisse dans la santé ne repose pas seulement sur quelques multinationales, relève Yann Ménière, bien au contraire: «Il y a beaucoup d’entreprises de taille moyenne aussi actives dans ce secteur qui sont également très innovantes». Parmi les trente premières positions du classement, on retrouve des entreprises actives dans les techniques médicales comme SHL Medical (14e) ou Sonova (20e).

La décision de lever ou non un brevet relève des Etats, pas de l’OEB.

L’innovation dans le domaine des sciences de la vie n’est-elle toutefois pas toujours davantage exposée au risque de remise en question de la durée des brevets lorsque ceux-ci concernent des enjeux de santé publique, comme cela a été le cas durant la pandémie de coronavirus? Pour Yann Ménière, il faut ici distinguer entre, d’un côté, le rôle assuré par une organisation comme l’OEB qui est d’enregistrer les brevets et, de l’autre, celui des Etats qui sont en charge de la l’application et de la protection de ceux-ci. «Notre travail est d’examiner les demandes de brevets, de définir l’étendue de leur portée. La question de la durée de validité de ces brevets, quant à elle, relève des Etats. Bien sûr, nous observons qu’il y a un débat sur la question de la levée ou non des brevets dans certaines situations mais une telle décision incomberait aux Etats membres de l’OEB», explique-t-il.

Soutien à l’innovation pour la recherche pharma

Pour autant, l’économiste souligne que le brevet joue traditionnellement un rôle important dans le secteur pharmaceutique, compte tenu des délais et investissements considérables pour la production de nouveaux médicaments ainsi que du risque élevé de copie ce ces innovations en l’absence de protection. «En principe, les brevets ont une durée maximale de 20 ans. Mais dans certains cas, notamment dans le domaine de la pharmacie, il est possible d’obtenir un certificat d’extension de la durée de protection», précise-t-il. De manière générale, Yann Ménière souligne l’importance d’un tel instrument pour soutenir la recherche: «Les brevets jouent un rôle très important pour favoriser l’innovation, non seulement pour les universités mais aussi pour les entreprises».

Forte hausse dans la communication numérique et l’informatique

Par domaines d’application, les secteurs technologiques les plus actifs en 2021, au niveau mondial, ont été ceux de la communication numérique (15'400 demandes de brevets, +9,4%), des technologies médicales (15'321, +0,8%) et de l’informatique (14'671, +9,7%). A l’exception des technologies médicales, les entreprises suisses actives dans les deux secteurs de la communication et l’informatique ne se sont pas particulièrement mises en évidence dans le classement 2021. Comment l’expliquer alors que la Suisse abrite d’importantes antennes d’entreprises comme Google et alors que les deux écoles polytechniques sont aussi très actives dans la recherche en lien avec les technologies de l’information (IT)? Pour Yann Ménière, on ne peut pas considérer que la recherche ou les entreprises suisses manquent de dynamisme dans ce secteur - c’est plutôt que l’innovation dans ces domaines a été très marquée dans d’autre pays comme la Chine, où le nombre de brevets a augmenté de 47% sur un an. Avec une hausse d’environ 20%, la Suisse a également été très dynamique dans le domaine de l’informatique. Toutefois, «comme il y a de l’innovation partout dans le monde, cela a un peu caché la bonne performance de la Suisse aussi dans ces domaines», observe l'économiste.

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