Durabilité: le «S» complète le «E»

Yves Hulmann

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Pour Louis Stevens, spécialiste des placements durables chez Liontrust, il ne faut pas opposer critères sociaux et environnementaux. Les deux enjeux sont liés.

A côté de l’inflation et de la remontée des taux d’intérêts, la durabilité est aussi l’un des thèmes phares du moment dans le domaine des investissements. Alors que l’accent avait été placé ces dernières années avant tout sur les questions en lien avec l’environnement, les aspects sociaux occupent désormais aussi une place grandissante en matière d’investissement durable. Le point sur ces questions avec Louis Stevens, qui est responsable des ventes et spécialiste produits pour les fonds durables chez Liontrust. Il a participé mercredi à un panel de discussion consacré au thème de l’investissement social et de l’engagement qui s’est tenu dans le cadre de Finanz’22 la semaine dernière à Zurich.

«Aujourd’hui, on peut affirmer, sans trop se tromper, que les entreprises qui ont déjà pris conscience de ces enjeux environnementaux ou sociaux s’en sortiront mieux sur le long terme.»
Vous faites partie depuis neuf ans de l’équipe dédiée aux questions de durabilité chez Liontrust. Parmi les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), l'accent a été placé principalement sur le «E» au cours des dernières années. Compte tenu des risques actuels liés au changement climatique notamment, les aspects sociaux ne sont-ils pas devenus une priorité de second rang comparé aux questions environnementales?

Avant de répondre directement à cette question, je pense qu’il est important d’expliquer notre état d’esprit chez Liontrust. Bien sûr, les risques environnementaux sont importants et un très grand nombre de questions sociales sont loin d’être résolues. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de choses se sont améliorées sur le plan social au cours des dernières décennies. Certes, les progrès qui sont réalisés dans divers domaines ne font que rarement les titres des journaux mais il ne faut pas non plus les oublier. Si l’on prend l’exemple de la mortalité infantile au Royaume-Uni au début du XXe siècle, près d’un enfant sur cinq mourrait avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans. C’est presque inimaginable aujourd’hui. On peut aussi citer la forte diminution du nombre d’accidents de la route en un demi-siècle. De même, la qualité de l’air s’est améliorée dans pratiquement toutes les grandes villes occidentales au cours des dernières décennies – et ça commence aussi à être le cas dans certains pays émergents. Tout cela pour rappeler les améliorations apportées dans différents domaines, à la fois grâce aux efforts des gouvernements mais aussi du côté des entreprises. Aujourd’hui, on peut affirmer, sans trop se tromper, que les entreprises qui ont déjà pris conscience de ces enjeux environnementaux ou sociaux s’en sortiront mieux sur le long terme.

Lesquels de ces enjeux sont prioritaires actuellement?

Même s’il faut reconnaître que les enjeux environnementaux figurent actuellement tout en haut de l’agenda, beaucoup de questions sociales ont souvent un lien étroit avec l’environnement. Il existe un grand recoupement entre les questions environnementales et sociales. Par exemple, quand des entreprises commencent à regarder de près les conditions de travail de leur personnel ou ceux de leurs fournisseurs dans des pays émergents, on voit aussi qu’elles font ensuite davantage attention à réduire les nuisances envers l’environnement. Il est donc important de garder une vision d’ensemble de ces deux aspects.

La pandémie de COVID-19 a aussi beaucoup contribué à une prise de conscience d’ensemble des problèmes. Résoudre la question du COVID-19 a eu de larges ramifications à la fois pour la société dans son ensemble et l’économie. La pandémie a mis en lumière, par exemple, l’importance de la qualité des systèmes de santé des différents pays pour éviter une situation de paralysie complète de la société et de l’économie.

«Les 17 membres de notre équipe de gérants réalisent à la fois de l’analyse sur un plan fondamental et en tenant compte des critères ESG.»
Comment peut-on s'assurer que des aspects sociaux soient correctement mis en œuvre par les entreprises, notamment lorsque leurs sous-traitants sont situés dans des pays éloignés?

S’agissant des critères sociaux, les données présentent une très grande dispersion à travers le monde. Lorsque des grandes entreprises ou multinationales travaillent avec une multitude de sous-traitants issus de divers pays émergents, il est évidemment très difficile, en tant qu’investisseur, d’obtenir une visibilité à 100% de la chaîne d’approvisionnement d’une société dans laquelle on investit. Ce serait super de pouvoir l’affirmer mais cela ne correspondrait pas à la réalité. En revanche, un nombre croissant d’entreprises obligent leurs contractants de s’engager à respecter des codes en matière de sécurité pour leur personnel. Cela créée un cadre qui exerce une pression sur ces fournisseurs pour respecter ces conditions.

En tant que gérant de fonds, comment vérifiez-vous le respect des critères environnementaux ou sociaux : utilisez-vous de la recherche effectuée par des sociétés tierces ou comptez-vous seulement sur votre propre analyse?

Nous nous appuyons aussi sur de la recherche effectuée par des tiers. Toutefois, nous formons toujours ensuite notre propre opinion à propos des entreprises dans lesquelles nous décidons d’investir ou non. Nous accordons beaucoup d’importance sur la manière avec laquelle les entreprises gèrent leurs risques essentiels sur le plan ESG.

A l’image des labels qui existent en matière environnementale, y aura-t-il un jour des labels de qualité unique aussi sur le plan des critères sociaux?

Personnellement, je n’en suis pas sûr – du moins pas dans un horizon à court ou moyen terme. Les critères sociaux varient beaucoup d’un secteur à un autre, d’une région du monde à une autre. Cela étant dit, nous gardons l'espoir que - grâce à notre activité d'engagement ainsi qu'à l’initiative qui vise à encourager les entreprises à améliorer les conditions sur le lieu de travail (Working Disclosure Initiative, WDI) -, il y aura des changements positifs aussi sur ce plan à l’avenir, tout comme nous l'avons vu dans le domaine des émissions de CO2 et du changement climatique.

Presque tous les gérants indiquent tenir compte des critères ESG. Comment les solutions de Liontrust dans le domaine des investissements durables se distinguent-elles des autres offres dans ce domaine?

Le premier aspect de différenciation se rapporte à notre longue expérience dans ce domaine. Nos premières solutions en lien avec la durabilité remontent à 2001. Avec près d’une vingtaine d’années d’expérience, nous avons appris à naviguer à travers différentes situations et crises telles que l’éclatement de la bulle technologique au début des années 2000 ou la crise financière globale, sans perdre de vue l’importance des objectifs à long terme en termes de durabilité.

Le deuxième point fort de notre approche est l’analyse intégrée effectuée par nos équipes de gérants. Les 17 membres de cette équipe réalisent à la fois de l’analyse sur un plan fondamental et en tenant compte des critères ESG. C’est le meilleur moyen d’intégrer complètement cette dimension lors de la sélection d’entreprises dans notre fonds. Enfin, nous avons aussi une approche très globale de la durabilité organisée autour de trois axes : à savoir une meilleure efficience de l’utilisation des ressources, une plus grande sécurité et résilience dans différents domaines ainsi que l’amélioration de la santé au sens large. Nous évaluons les entreprises principalement sur la base de ces trois familles de critères.

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