Le fantôme de l’inflation encore à venir

Christopher Smart, Barings

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Pour parer à toute éventualité, il est utile de comprendre à quoi pourrait ressembler l’inflation de demain.

©Keystone

Demandez à la plupart des investisseurs à quoi ressemble leur «fantôme de l’inflation passée» et ces derniers vous dépeindront des files d’attente interminables aux stations-services, des taux hypothécaires astronomiques et les spirales constantes des prix et des salaires qui ont nourri les attentes tout au long des années 1970. Le «fantôme de l’inflation présente» pourrait, lui, se contenter de présenter quelques données récentes comme les différentes mesures de la dynamique actuelle des prix: indice de référence, indice global, moyenne élaguée, élasticité.

Mais à quoi ressemble le monde lorsque le président de la Fed, Jerome Powell, commence à se faire l’écho des esprits de l’économie nous avertissant de temps sombres à venir?

Attentes optimistes

Après quatre décennies de baisse de l’inflation et des taux d’intérêts, la plupart des banquiers centraux et des économistes du monde entier s’attendent à ce que les pressions actuelles sur les prix s’allègent dans le courant de l’année. Ces derniers éprouvent beaucoup de peine à voir des changements fondamentaux par rapport à la période antérieure au COVID, lorsque les forces de la technologie, de la globalisation et de la démographie permettaient de garder les pressions des prix et des salaires fermement sous contrôle. Les avis des investisseurs peuvent diverger quant à la durée ou à l’intensité de la flambée actuelle mais le consensus tend bien vers une baisse prochaine des taux comme de l’inflation.

Les entreprises qui ont enregistré des bénéfices records et prévoient de nouvelles dépenses en capital s’attendent à ce que la demande reste forte.

Le monde est cependant rempli d’incertitudes et changer ne serait-ce que quelques hypothèses suffirait pour que l’inflation des prix à la consommation aux Etats Unis demeure au-delà des 3%, voire même plus, jusqu’à la fin de l’année. Dickens dirait qu’il ne s’agit là que des «ombres des choses qui pourraient arriver», mais ces dernières n’en méritent pas moins notre attention.

Un marché du travail sous pression

Le nombre d’Américains actifs sur le marché du travail a diminué depuis les débuts de la pandémie. Certains ont décidé de partir prématurément à la retraite avec des économies qui se sont considérablement étoffées grâce aux bonnes performances du marché; d’autres ont fait le choix de rester à la maison tant que les risques liés au COVID-19 persisteront; et d’autres encore ont opté pour un changement de carrière, à la recherche d’un mode de vie moins stressant. De nombreux jeunes parents tardent à revenir au travail à cause des coûts trop élevés des gardes d’enfants. Les programmes de soutien du gouvernement américain sont arrivés à leur fin mais l’épargne est à des niveaux historiquement élevés et il est fort possible que les taux de participation au marché du travail pré-pandémiques, proches du 64%, ne soient jamais retrouvés.

Dans le même temps, les entreprises qui ont enregistré des bénéfices records et prévoient de nouvelles dépenses en capital s’attendent à ce que la demande reste forte. Ces dernières peuvent d’une part se permettre de verser des salaires plus élevés et, d’autre part, ne peuvent absolument pas se permettre de perdre des collaborateurs. Les pressions salariales qui montent dans certains secteurs pourraient ainsi durer jusqu’à une prochaine récession qui, elle, paraît encore bien éloignée.

Des prix qui peuvent encore flamber

Les perturbations provoquées par le coronavirus persistent, avec des pénuries d’approvisionnement et des hausses de prix qui touchent tous les produits, des nains de jardin jusqu’aux bougies parfumées. Si Omicron et d’autres variants futurs devaient se révéler plus dangereux ou les vaccins paraître moins efficaces, une nouvelle envolée des prix est à attendre de même que de nouveaux revers importants pour les secteurs de la restauration, de l’aviation et de l’hôtellerie.

Les prix de l’immobilier ne paraissent pas pouvoir s’envoler bien plus haut que le prix moyen actuel de 453'000 dollars.

Il paraît difficile d’imaginer que le prix du pétrole puisse de nouveau flamber de 50% mais le monde n’est pas à l’abri d’une mauvaise surprise si la demande se maintient à des niveaux élevés et si l’Opep tarde à augmenter sa production. La politique climatique a engendré un sous-investissement dans ce secteur qui pourrait bien mener vers plus de volatilité. Entretemps, une nouvelle crise ukrainienne avec les sanctions qui en découleraient pourrait également provoquer un choc sur les exportations russes.

Les prix de l’immobilier, eux, ne paraissent pas pouvoir s’envoler bien plus haut que le prix moyen actuel de 453'000 dollars. Ils peuvent cependant continuer à augmenter sous l’effet d’une demande forte et d’une offre structurellement faible. La manière dont on intègre les prix des logements à l’indice des prix à la consommation est sujette à débat parmi les économistes mais le marché est indéniablement tendu. Et avec des coûts de construction qui augmentent, ni les constructeurs ni les propriétaires ne sont susceptibles de réduire leurs prix de sitôt.

Des risques moins prévisibles

Un affaiblissement du dollar, provoqué par un resserrement monétaire de la part des autres banques centrales, pourrait aggraver la situation en faisant grimper les coûts d’importation. La multiplication des ouragans, des feux de forêt et des coupures de courant viendraient perturber l’approvisionnement en produits clés. Une escalade de la guerre commerciale avec la Chine, enfin, pourrait faire peser des coûts tarifaires supplémentaires sur les prix finaux. Autant d’éléments qui alimenteraient des attentes d’inflation, qui viendraient à leur tour alimenter l’inflation.

Tous ces différents facteurs auraient des conséquences sur l’inflation américaine plutôt que sur les prix mondiaux. Mais la dynamique des prix aux Etats-Unis guidera la politique de la Fed qui, à son tour, déterminera largement la direction que prendront les marchés mondiaux cette année.

La cause profonde de l’inflation actuelle réside principalement dans le flux inattendu de la demande qui a suivi les confinements, flux qui ne devrait pas se reproduire en 2022. Mais il convient de garder un œil attentif sur ces risques. Ebenezer Scrooge aurait certainement été le premier à placer tout son argent dans des titres protégés contre l’inflation (TIPS) si ses fantômes avaient effectivement été ceux de l’inflation…

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