Le brouillard de la stagflation

Christopher Smart, Barings

2 minutes de lecture

Le monde est aux prises avec une combinaison de chocs, produisant un paysage économique incertain et complexe.

© Keystone

La vague du COVID s'est peut-être brisée, mais elle secoue encore l'économie mondiale: les départs massifs de la population active ont durablement resserré le marché du travail aux États-Unis; l'épargne accumulée pendant la pandémie et les aides gouvernementales encore généreuses stimulent la croissance, et les principales puissances économique font preuve d'une résilience inattendue. L'abandon par la Chine de ses politiques draconiennes en matière de pandémie peut avoir un effet inflationniste ou désinflationniste, car il stimule la demande de produits de base tout en atténuant les difficultés de la chaîne d'approvisionnement. La guerre en Ukraine et les besoins mondiaux en matière de décarbonisation ont fermé les routes commerciales et perturbé les chaines de production traditionnelle. Des bouleversements tectoniques sont en cours et les investisseurs ont l'impression que l’incertitude domine. La dépendance aux données est à son apogée.

En effet, l'indicateur économique le plus suivi, l'inflation, montre combien il est dangereux de parier sur un retour à l’avant Covid. Après des mois de discours sur le pic d'inflation, il est devenu soudainement et douloureusement clair que c'est le creux, et non le pic, qui importe pour les banques centrales, et donc pour chaque investisseur. Va-t-on revenir à une inflation de 2%? Ou à 4%? Et quand? Celui qui répondra correctement à ces questions sera le prochain héros de Wall Street.

Le scénario de l'ébullition, dans lequel les forces favorables à la croissance et les perturbations persistantes du côté de l'offre balaient l'impact des hausses de taux, a toujours une probabilité de 30%.
Sur quelle île accostera-t-on?

Le choc de la stagflation de l'année dernière s'est transformé en quelque chose qui pourrait être décrit comme un brouillard provoqué par stagflation. L'issue la plus probable (ce scénario a une probabilité de 60%) est que le marché du travail américain ne reviendra pas de sitôt à la dynamique d'avant la pandémie. Le consommateur américain est en excellente santé, la réouverture de la Chine soutient la croissance mondiale et l'Europe couvre ses besoins énergétiques. Tout cela indique que l'économie mondiale connaîtra un ralentissement progressif de l'inflation, mais pas de retour rapide à ce qui était autrefois la norme. Aussi, les banques centrales font preuve de prudence, atteignant des niveaux de taux d'intérêt restrictifs et campent sur leurs positions jusqu'à ce que des preuves irréfutables que leurs objectifs soient atteints apparaissent. Il est peu probable que le feu vert à la réduction des taux soit donné avant 2024. Au moins, la bonne santé du marché du travail et des bilans des consommateurs permet d'éviter les récessions cette année et l'année prochaine. La situation dans le brouillard de la stagflation n'est pas si mauvaise, même si elle est déstabilisante.

Alors que l'économie mondiale est en train de passer à une nouvelle configuration, prétendre avoir des certitudes sur l'arrivée risque de se terminer comme pour Christophe Colomb: être sûr d'avoir atteint l'Inde alors que l'on touche les côtes de l’île d’Hispaniola. Le scénario de l'ébullition, dans lequel les forces favorables à la croissance et les perturbations persistantes du côté de l'offre balaient l'impact des hausses de taux, a toujours une probabilité de 30%. Ainsi, les banquiers centraux se réveillent avec le fantôme de Paul Volcker. La seule façon de s'en sortir est de provoquer une récession, et c'est ce qu'ils font. Une année 2023 exaltante, avec une croissance supérieure à son potentiel, suivie d'une forte récession. Toutefois, celle-ci ne provoquera peut-être pas la traditionnelle flambée du chômage, car les entreprises en subiront les conséquences sur leurs marges plutôt que de licencier un trop grand nombre de travailleurs qu'elles ont eu tant de mal à embaucher. L'inversion extrême de la courbe des rendements aide les entreprises à obtenir des financements à long terme à des taux plus bas.

Publication après publication, les données ont éloigné le spectre de la récession. Dans une situation ordinaire, on pourrait être raisonnablement sûr que la demande ne puisse pas s'affaiblir soudainement et qu'une récession classique s'ensuive. Mais qu'en est-il si l'épargne a été investie dans des actifs illiquides, utilisée pour rembourser des dettes ou des fusions et acquisitions infructueuses, laissant les entreprises et les ménages dans un besoin de financement? L'augmentation brutale du coût du crédit ne pourrait-elle pas alors commencer à faire sentir ses effets? Et tous ceux qui ont quitté le marché du travail devront-ils y revenir maintenant que leur épargne est épuisée? Un tel scénario n’a pas plus de 10% de probabilité, mais un dérapage ne peut être totalement exclu.

A lire aussi...