L'ordre mondial s’effrite lentement

Christopher Smart, Barings

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La dégradation continue de la relation États-Unis - Chine risque d’avoir un impact durable sur la croissance mondiale.

© Keystone

Récemment, Joe Biden a déclaré à Kiev que «la guerre de conquête de Poutine est en train d'échouer.» Le président russe, quant à lui, a proclamé qu'il est «impossible de vaincre la Russie.» En parallèle, Washington a accusé la Russie de «crimes contre l'humanité» et a mis en garde Pékin contre la livraison d’armes à la Russie.

Prendre du recul et analyser la situation

Ainsi, l’on assiste au lent délitement de l'ordre mondial. Dans cette configuration, les investisseurs doivent saisir à quel point le désordre politique pourrait étouffer la croissance économique dans les années à venir. En effet, si l'escalade militaire en Ukraine ou les méfaits d'une Russie assiégée peuvent déclencher de brèves réactions du marché, le danger réside dans ce qui pourrait devenir une lutte prolongée entre la Chine et l'Occident qui rendra le commerce mondial difficile, coûteux et risqué.

Pour autant, l'Armageddon n'est pas imminent. Pour mieux le comprendre, l’on se doit de décortiquer les gros titres. Les derniers discours de Biden et de Poutine étaient spectaculaires, surtout car ils étaient rapprochés dans l’espace-temps. Néanmoins, aucun des deux leaders n'a apporté grand-chose de nouveau. Les rapports sur une potentielle aide de la Chine à la Russie peuvent faire référence à un flux de technologies à double usage que la Chine envoie depuis longtemps à la Russie dans le cadre de leurs relations économiques et politiques. Quant à la suspension du traité New Start, le kremlin a annoncé qu'il s'en tiendrait pour l'instant aux limites actuelles.

Face à cette lente ébullition des tensions qui peuvent se poursuivre indéfiniment sans perturber les flux actuels d'argent et de marchandises, les investisseurs doivent se munir de patience.

Dans l’immédiat, le péril vient de l'escalade. Moscou a répété qu'elle disposait d'un arsenal nucléaire, mais le tir d'une arme nucléaire tactique risque de faire perdre ses derniers amis à la Russie sans apporter de gains territoriaux. Il est plus envisageable qu’un tir accidentel en Pologne voisine qui déclencherait des représailles immédiates de l'OTAN. Mais même cela ne semble pas susceptible de se transformer en un conflit beaucoup plus large. La Russie a déjà du mal à protéger ses gains et l'Amérique n'a manifestement pas envie d'envoyer ses propres troupes.

Deuxièmement, il existe des risques distincts, bien que liés à ce qui sera probablement le long exil politique et économique de la Russie. Même si les flux commerciaux se poursuivent avec la Chine ou l'Inde, la perte des marchés énergétiques occidentaux, des pièces industrielles et des technologies de pointe met l'économie russe sur la voie d'un lent appauvrissement. À bien des égards, l'impact des sanctions ne fait que commencer à se faire sentir.

Mais si des régimes comme ceux de l'Iran et de la Corée du Nord peuvent encore causer des ravages en étant isolés, que pourrait tenter une Russie rancunière au Moyen-Orient, dans les Balkans ou dans le cyberespace. Là encore, la réaction de Moscou déclencherait des troubles politiques et la volatilité des marchés. Également, une application plus stricte de la loi sur les exportations russes de produits de base pourrait perturber temporairement ces marchés.

Un danger latent

Mais, ce qui peut avoir impact durable sur la croissance mondiale et la stabilité politique, c'est la dégradation continue de la relation déjà fragile entre les États-Unis et la Chine.

Face à cette lente ébullition des tensions qui peuvent se poursuivre indéfiniment sans perturber les flux actuels d'argent et de marchandises, les investisseurs doivent se munir de patience. En effet, l'économie chinoise semble promise à une reprise impressionnante après trois ans de blocage. Mais ils devraient surveiller de près les endroits où les risques sont les plus élevés. Ensuite, dans les sanctions potentielles, des restrictions supplémentaires sur les ventes de technologies semblent logiques, Washington cherchant à exercer une pression sur Pékin. À partir de là, une administration américaine pourrait restreindre les exportations de pétrole et de produits pétrochimiques, puis les biens industriels avancés et enfin les avions. Quant aux sanctions financières, elles pourraient s'étendre des petites banques chinoises proches de l'armée aux grandes institutions publiques.

C'est ainsi que l'escalade des tensions plonge l'économie mondiale dans une récession prolongée. Pour autant, les récents mouvements du marché sont davantage liés à la crainte d'une inflation plus élevée qu'à la bataille pour Bakhmut. Les véritables dangers résident dans une lente détérioration de l'ordre mondial qu'aucune banque centrale ne peut réparer.

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