La transition alimentaire doit s’accélérer

Fabio Sofia, Zebra Impact Ventures avec Mirabaud Asset Management

3 minutes de lecture

La transformation du système alimentaire est à un stade similaire à celui du secteur de l'énergie il y a quelques décennies et des opportunités sans précédent sont sur le point de se présenter.

Sujet brûlant, dans les médias comme dans nos assiettes, la transition alimentaire sera à l’agenda de la prochaine COP 28 en novembre prochain à Dubaï et largement couverte lors de Building Bridges 4 à Genève.

Le système alimentaire mondial semble être arrivé à un point de rupture et doit être urgemment refondé et transformé afin de produire des aliments durables et de qualité pour une population mondiale croissante (qui comptera en 2050 10 milliards d’individus), s’adapter au changement climatique et préserver notre environnement. Ces transformations créent des opportunités d’investissement sans précédent dans le domaine de l’agriculture et de la production alimentaire durable. Indispensable, l’innovation sera clé afin de répondre à ce colossal défi: augmenter la production de nourriture de 60% d’ici à 2050.

Point de rupture

L’agriculture intensive, qui s’est mondialement développée jusqu’à la fin des années 80, a eu un effet dévastateur sur la nature et la santé humaine. Aujourd’hui, elle est à l’origine de 30% des émissions globales de gaz à effet de serre et utilise près de 70% de l’eau potable mondiale, alors qu’un tiers de la nourriture produite est jetée. Les méthodes de production sont responsables de 80% de la déforestation. Elles sont l’une des premières causes de perte de biodiversité, et ont détruit la qualité des sols. En Europe par exemple, 60 à 70% des sols agricoles sont dégradés à cause de ces pratiques agricoles non durables.1

Au cœur de la solution: de meilleures pratiques, l’innovation technologique et les consommateurs.

De meilleures pratiques agricoles limitent les effets nocifs sur l’environnement, certains même inversent les dommages faits à tous les stades du processus. Plus important, en plus de renforcer la production de nourriture, ces pratiques permettent une séquestration du carbone, tout en répondant aux objectifs et cibles du Global Biodiversity Framework adopté lors de la COP 15 en 2022.

L'agriculture fondée sur des principes régénérateurs englobe des méthodes telles que le travail minimal du sol, les cultures de couverture, le pâturage planifié, l'agroécologie, les polycultures, la permaculture et l'agroforesterie. On estime que ces méthodes peuvent réduire de 5 à 15% les émissions mondiales de CO2 par an, tout en rendant les terres agricoles plus saines et plus résistantes. Pour donner une idée de l'ampleur de l'impact potentiel, une réduction annuelle de 15% des émissions de CO2 équivaudrait à une réduction de 6 fois les émissions annuelles totales de l'industrie aéronautique mondiale.

Les aliments cultivés de manière régénérative présentent également des profils nutritionnels nettement supérieurs, grâce à l'amélioration de la santé des sols. Les plus grandes multinationales de l'agroalimentaire investissent massivement dans l'agriculture régénératrice afin d'atteindre la neutralité en CO2 d'ici 2050.

Mettre en œuvre l'agriculture 4.0

La technologie a un rôle énorme à jouer dans l'accélération de la transition vers la durabilité. Les satellites, les drones, les robots et les technologies d'apprentissage automatique trouvent leur place dans les champs pour aider les agriculteurs à comprendre leur sol, à en améliorer la qualité et à affiner l'utilisation des produits chimiques. Les pratiques agricoles traditionnelles, comme l'élevage de bovins pour la viande de bœuf, peuvent être transformées en approches moins consommatrices de ressources, comme l'élevage d'insectes à haute teneur en protéines et à faible émission de carbone. Plus près du consommateur, les blockchains et l'IdO peuvent favoriser des chaînes d'approvisionnement plus efficaces et réduire le gaspillage alimentaire.

Passer à l’action

Les consommateurs s’engagent de plus en plus pour avoir de l’impact et redessinent radicalement l'assiette type par leurs choix alimentaires. Les protéines d'origine végétale, les aliments fermentés et les produits à base d'algues sont déjà l'objet d’une plus grande attention, tandis que la viande cultivée en laboratoire et les insectes comestibles n'en sont qu'aux premiers stades de l'acceptation par les consommateurs. Et beaucoup d'autres produits sont en cours d'élaboration.

Avec l'augmentation de la population mondiale, ce que nous mangeons doit évoluer pour produire plus en utilisant moins de ressources. Le professeur Walter Willett, de la Harvard T.H Chan School of Public Health, a déclaré que la consommation de fruits, de légumes, de noix et de légumineuses devra doubler d'ici à 2050, tandis que la consommation de viande rouge et de sucre devra être réduite de moitié d'ici à 2050.

Une alimentation plus verte et plus saine nécessite une adaptation culturelle, qui est menée par la jeune génération. Selon Deloitte, les milléniaux représentent 40 % des consommateurs de produits alimentaires et sont désireux d'adopter des solutions numériques, tandis que la génération Z recherche de plus en plus des alternatives à base de plantes et a une préférence pour l'alimentation consciente. Ils recherchent des marques qui défendent des sources durables et traçables - ils veulent savoir exactement ce qu'il y a dans leur assiette et sont très conscients des effets négatifs sur l'environnement de la «malbouffe».

Une abondance d'opportunités

Le marché de l'innovation technologique agroalimentaire a été multiplié par six depuis 2012 et devrait atteindre 700 milliards de dollars d'ici à 2030. Trois secteurs sont à l'origine du changement en matière de résilience et de durabilité.

L'agriculture de précision - le passage à l'«agriculture 4.0». L'utilisation de technologies telles que les drones et l'IA pour améliorer l'efficacité des ressources, l'utilisation des pesticides, la séquestration du carbone et la productivité dans la production alimentaire.

La nutrition alternative - création de nouvelles sources alimentaires aussi attrayantes que les protéines animales courantes d'aujourd'hui.

Le gaspillage alimentaire - cibler l'efficacité opérationnelle depuis l'approvisionnement jusqu'à l'entreposage et la distribution, ainsi que le recyclage d'éléments alimentaires traditionnellement gaspillés en produits désirables.

Les innovations technologiques dans le secteur alimentaire

Source: AgFunder Global AgriFoodTech Investment Report, 2023

 

Le montant des investissements nécessaires pour transformer nos systèmes alimentaires est estimé par le Good Food Finance Network à 300-350 milliards de dollars par an d'ici à 2030. Il s'agit d'un chiffre énorme, mais il semble relativement modeste par rapport au montant promis pour la relance suite au Covid-19. Plus important encore, il est éclipsé par les énormes opportunités commerciales potentielles que nous attendons des investissements dans une alimentation durable, saine et équitable, ainsi que par la valeur sociétale que ces investissements peuvent libérer.

La transformation du système alimentaire mondial est en cours et le secteur agroalimentaire bénéficie d'une forte dynamique malgré une correction en 2022 lorsque les marchés mondiaux se sont rétractés. Nous considérons que la transformation du système alimentaire se trouve à un stade similaire à celui du secteur de l'énergie il y a quelques décennies, et que des opportunités sans précédent sont sur le point de se présenter. L'environnement macroéconomique actuel semble le plus à même d'alimenter la croissance des entreprises qui proposent des solutions durables, moins chères, plus résilientes et plus rapides à adopter que leurs homologues.

 

1 United Nations Development Programme, 2022

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