La Suisse et le Luxembourg: complémentarité en matière de fonds de placement

Julien Dif, The Governance Law Firm

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Le marché helvétique dispose d’une forte concentration de clientèle fortunée. Le Grand-Duché offre l’accès au marché unique et un environnement fiscal avantageux.

Le marché des placements collectifs est une composante vitale de la place financière suisse. Il se distingue surtout en matière d’initiation et d’offre de fonds ainsi que de gestion d’actifs. Cette réussite est largement tributaire de la réputation des prestataires financiers du pays ainsi que du nombre élevé d’investisseurs fortunés qui y sont domiciliés.

Cependant, comparée avec d’autres juridictions, la performance helvétique est moins prononcée pour ce qui est de la production de placements collectifs. Ainsi, en 2023, le volume des fonds suisses atteint environ 1’370 milliards de francs, alors que celui des fonds luxembourgeois dépasse le montant de 5’285 milliards d’euros. Cette différence non-négligeable repose sur plusieurs éléments.

En premier lieu, les fonds suisses bénéficient d’un accès nettement limité aux marchés internationaux, abstraction faite de quelques accords bilatéraux fondant une reconnaissance mutuelle de certains produits et prestataires (p.ex. France, Allemagne, Hong Kong). En revanche, grâce au système du « passeport européen » découlant des directives OPCVM et AIFM, les placements collectifs basés dans l’UE peuvent être proposés sans entrave au sein du marché unique, ainsi que sur le territoire suisse sur base de procédures aujourd’hui très facilitées.

La Suisse se démarque par ses professionnels financiers de haute qualité.

En second lieu, le droit suisse relatif à l’impôt anticipé est susceptible de réduire l’intérêt des investisseurs étrangers pour les fonds suisses par rapport à des produits concurrents provenant d’autres juridictions. En effet, les rendements des parts de placement collectifs suisses, qu’ils soient de distribution ou de thésaurisation, sont sujets à l’impôt anticipé de 35%. Les parts de fonds étrangers peuvent cependant se soustraire de la contribution en question, puisqu’elle est prélevée à la source directement auprès du débiteur, qui doit donc être établi en Suisse. En règle générale, ne sont pas soumis à l’impôt à la source les paiements de dividendes d’un fonds luxembourgeois en faveur des personnes non-résidentes. En outre, ce dernier ne doit s’acquitter que d’une très faible taxe d’abonnement.

Enfin, le législateur luxembourgeois se distingue par une réactivité accrue. En 1988, le Grand-Duché fut le premier pays au monde à transposer la directive OPCVM en son droit national, ainsi établissant des avantages de précurseur qui lui sont bénéfiques jusqu’à nos jours. Face aux développements du secteur financier, le Luxembourg a créé, au fil des années, une gamme aussi variée que compétitive d’instruments de placement. Ceux-ci comportent plusieurs véhicules aptes aux placements alternatifs, dont le fonds d’investissement spécialisé (FIS), la société d’investissement à capital risque (SICAR) et surtout le fonds d’investissement alternatif réservé (FIAR). Avec quelques 2’300 véhicules en activité, le FIAR jouit d’un succès remarquable tant auprès d’initiateurs de fonds que des investisseurs. Introduit en 2016, ce véhicule dispose d’une grande flexibilité intéressant la forme juridique, les techniques de placement, le partage des risques et les actifs éligibles. Le FIAR n’est sujet ni à l’agrément préalable ni à la supervision continue de la part de l’autorité luxembourgeoise, la CSSF. En effet, le contrôle se matérialise de manière indirecte dans la mesure où il vise uniquement le gestionnaire, le dépositaire et le commissaire aux comptes. Essentiellement inspiré du FIAR et introduit en mars 2024, le Limited Qualified Investor Fund (L-QIF) constitue le premier véhicule suisse qui n’est soumis ni à surveillance ni à des restrictions de placement.

Eu égard à ce qui précède, il convient d’admettre une certaine complémentarité entre les deux juridictions. L’un des marchés les plus importants pour l’offre de fonds d’investissement à l’échelle mondiale, la Suisse dispose d’une forte concentration de clientèle fortunée. Elle se fait également remarquer par ses professionnels financiers de haute qualité. Le Grand-Duché offre l’accès au marché unique et un environnement fiscal avantageux. Ainsi, de nombreuses structures d’investissement luxembourgeoises sont initiées par des prestataires de services financiers suisses, dont notamment des gestionnaires de fortune collective autorisés par la Finma. Fréquemment, le gestionnaire de ces fonds délègue aux initiateurs helvétiques des responsabilités en matière de «portfolio management», et, dans un moindre degré, de conseil en investissement. Reste à observer dans quelle mesure le L-QIF pourra faire évoluer la situation actuelle. 

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