Entre Europe, Etats-Unis, Chine ou Japon, les banques centrales divergent et les devises doivent s’ajuster, introduisant un nouvel élément d’instabilité économique.
L’irruption de la pandémie de CoVid-19 avait généré très rapidement – dès le mois de mars 2020 - une réaction rapide et coordonnée de la Fed et de la BCE: mise en place d’un programme d’urgence d’achats d’actifs pour permettre le financement des plans de soutiens budgétaires, aides à la liquidité bancaire, lignes de «swaps» en dollars et en euros disponibles dans toutes les zones géographiques pour assurer que les devises essentielles au commerce mondial seraient effectivement disponibles.
En outre, tant la Fed – dès août 2020 – que la BCE un an plus tard, avaient revu leur «cadre stratégique» de façon quasi similaire. Pour les deux institutions, pas question de réagir au quart de tour en cas de poussée de l’inflation: après une décennie de quasi-déflation en Europe et d’inflation très basse Outre-Atlantique, les deux institutions s’accordaient sur la nécessité de se laisser du temps avant de normaliser – voire de resserrer – leur politique monétaire, histoire que les prix puissent rattraper le temps perdu.
En Asie, la banque du Japon et celle de Chine ont été plus en retrait face au virus. La BoJ a poursuivi sa politique d’achats massifs de titres, sans grand changement mais en participant aux dispositifs d’échange de devises. La PBOC a été la plus neutre dans cette période, refusant prudemment de mettre en place un dispositif d’urgence mais s’assurant de la solidité du système financier du pays.
Les turbulences économiques liées à la réouverture des économies ont tout changé. Dans unp contexte de chaines de valeurs perturbées, à la fois par les restrictions chinoises dans le cadre de la politique «zéro Covid», et par les conséquences de la guerre en Ukraine sur les matières premières et sur certains composants industriels, le bel ordonnancement a été rompu. Désormais, c’est la divergence qui domine.
Face à la hausse rapide des prix aux Etats-Unis, la Fed a bougé la première. Dès le mois de décembre 2021, Jerome Powell renonçait à qualifier l’inflation de «temporaire». Et devant à la forte montée des prix – désormais en progression de quasiment 9% en rythme annuel – le comité de politique monétaire a mis fin en mars à ses achats d’actifs, tout en initiant une première hausse de taux. Et la suite du mouvement est annoncé: une hausse à chaque réunion d’ici à la fin de l’année et une diminution anticipée du bilan de plus de 1000 milliards par an à partir du mois de mai. Un retournement spectaculaire.
En Europe aussi, les prix grimpent. Et vite: +7,5% en mars dans la zone euro avec un record à +9,8% pour l’Espagne.
Pourtant, la BCE se montre beaucoup plus réservée que son homologue américaine quant à l’évolution rapide de sa politique monétaire. Certes, les achats d’actifs décidés spécifiquement pour la pandémie ont pris fin le mois dernier. Mais Christine Lagarde a confirmé lors de la réunion de politique monétaire d’avril que les achats «à titre ordinaire» allaient se poursuivre a minima jusqu’au troisième trimestre. Les taux demeurent négatifs et toute hausse est repoussée au dernier trimestre 2022.
Alors que la PBOC reste toujours en retrait, en envisageant jusqu’ici uniquement de relancer le crédit bancaire via des mesures macro-prudentielles, notamment en diminuant le niveau de réserves obligatoires des banques, la BOJ poursuit quant à elle son chemin ultra accommodant. Le gouverneur Haruhiko Kuroda a en effet affirmé le 13 avril que la banque centrale japonaise allait continuer ses achats massifs sur le marché, y compris via un dispositif visant à contrôler l’intégralité de la courbe des taux.
Entre la Fed, désormais ouvertement restrictive, la BCE qui normalise très prudemment, la PBOC qui reste neutre, et la BOJ qui poursuit sans relâche sa politique non conventionnelle, c’est donc la grande divergence. Et les conséquences se font sentir sur les devises.
L’euro, longtemps dans un canal étroit d’évolution entre 1,15 et 1,20 dollars, a cassé cette référence et se rapproche du seuil de 2017 à 1,04 dollars pour un euro. Et que dire du Yen, qui décroche violemment, passant de 110 yens pour un dollar en septembre dernier à plus de 125 le 14 avril. Evolution brutale pour une monnaie de réserve de banque centrale, qui plus est réputée être un refuge en cas de fortes turbulences internationales.
Ce nouvel environnement monétaire, plus instable, renforce les incertitudes économiques mondiales. L’espoir paradoxal des marchés est que le ralentissement de la croissance des deux côtés de l’Atlantique incite rapidement la Fed comme la BCE à se montrer progressivement plus prudente, renouant ainsi avec une convergence de fait. Reste à convaincre la BoJ de faire une pause, ce qui ne sera pas simple mais une relance chinoise du crédit, tellement attendue, pourrait l’y inciter. La deuxième partie de l’année se présenterait alors sous de meilleurs auspices, au grand soulagement des investisseurs.