Avec les sanctions contre la Russie, des alternatives au dollar ont été trouvées. Mais le billet vert reste sans égal, tant que les Etats-Unis resteront le pôle de stabilité mondiale.
Le conflit en Ukraine a généré de puissantes sanctions financières contre la Russie, l’excluant de facto d’une large partie du système financier international, et de l’usage du dollar, pivot de ce système depuis 1945.
En pratique, les seules entrées en devises étrangères pour la Russie sont avant tout liées à l’énergie ou aux matières premières en général, à l’exception des produits agricoles dont le trafic passe par les ports de la mer noire, inaccessibles en raison du conflit et de l’impossibilité d’assurer les cargaisons.
Afin de limiter au maximum les sorties de devises, les autorités russes ont cherché à développer en urgence des alternatives au billet vert et aux infrastructures financières mondiales dominées par les Etats-Unis, à l’image du système de paiement interbancaire SWIFT. C’est ainsi qu’ils ont déclaré privilégier désormais l’utilisation du système chinois CIPS et le Yuan pour les échanges avec la Chine.
La Chine a profité de ces circonstances pour relancer le 15 mars 2022 son projet visant à faire accepter à l’Arabie Saoudite de facturer ses exportations de pétrole vers l’Empire du Milieu directement en Yuans. Un enjeu majeur pour le Royaume qui y dirige 25% de ses exportations d’or noir. Et un changement profond pour le marché des matières premières.
Si ce projet se concrétisait, cela consacrerait définitivement la tendance à la fin de la mondialisation des échanges commerciaux. Le monde se régionalise de plus en plus autour des deux puissances économiques dominantes, les Etats-Unis et la Chine, l’Europe restant encore en retrait faute de puissance politique capable d’appuyer et de crédibiliser financièrement son poids économique.
Mais s’il n’est plus l’unique monnaie des échanges mondiaux, le dollar reste incontournable dans le monde financier, et sa place n’est pas en danger. Et ceci pour trois raisons essentielles.
Premièrement, parce que les Etats-Unis restent le principal marché financier mondial : aucune place au monde n’offre une aussi grande variété du marché, des intervenants aussi nombreux et actifs et, par conséquent, une aussi grande liquidité et profondeur de titres obligataires de toutes sortes.
Lorsque les grandes crises se déclenchent (dettes souveraines, CoVid, Ukraine), le premier réflexe des investisseurs est de se tourner vers le dollar et les T-Bills, premiers refuges en cas d’incertitude. C’est ainsi que le dollar compte encore pour 60% des réserves de changes des banques centrales mondiales.
Deuxièmement, parce que ses concurrents souffrent de défauts à ce jour trop criants pour se poser en alternative crédible.
La Chine pousse le Yuan mais le contrôle strict des capitaux dans le pays et l’inconvertibilité partielle de sa devise, toujours strictement encadrée par les autorités monétaires du pays, ne peuvent donner confiance aux investisseurs internationaux. L’euro est pénalisé par la fragmentation financière et politique de l’Union Européenne. Et les crypto-actifs sont bien trop volatiles – et, pour ce qui est du bitcoin, potentiellement déflationniste en raison de sa quantité strictement limitée par construction – pour être plus qu’une monnaie d’appoint dans des circonstances très spécifiques
Troisièmement, en raison de la stabilité politique, juridique et militaire des Etats-Unis, l’équilibre des pouvoirs, la puissance de l’état de droit… et le nombre impressionnant de porte-avions (11 actuellement en service sur les 16 déployés dans le monde !) constituent des atouts incomparables pour le billet vert.
Attention cependant car ce dernier pilier, depuis plusieurs années, apparait fragilisé sur le plan des institutions et de l’état de droit. Les divisions politiques, sensibles depuis le dernier mandat de Bill Clinton en 1996, se sont très nettement renforcées lors des mandats de Barack Obama et de Donald Trump. La contestation – y compris juridique - de l’élection de 2020, dont le point d’orgue a été l’invasion violente du Capitole le 6 janvier 2021 a donné l’impression d’un pays divisé et de règles de droit à la merci de la bonne volonté et de l’éthique personnelle de quelques acteurs politiques clés.
Même s’il apparait encore très solide, le dollar comme pierre angulaire du système financier international n’est donc pas immortel et l’aggravation de la fracturation du pays pourrait conduire à un nouveau monde monétaire. L’euro, appuyé sur une architecture juridique européenne très puissante, a d’autres atout que le Yuan et ne partirait pas battu dans une nouvelle course au leadership.
Mais le temps n’est pas venu car les réputations monétaires sont résilientes et l’Amérique n’a pas dit son dernier mot. Tant mieux car le monde et les marchés préfèrent ne pas avoir à se confronter à une incertitude de plus!