La Fed y croit, les marchés veulent du concret

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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La banque centrale américaine a annoncé qu’elle commencerait à réduire son bilan à compter de juin en s’abstenant de réinvestir le produit des obligations arrivées à échéance.

© Keystone

Il y a dix jours, l’indice S&P 500 a achevé la semaine en baisse de 0,2%. Néanmoins, ce chiffre occulte des fluctuations marquées, occasionnées par la réaction des investisseurs au relèvement des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) de 50 points de base (pb), une première depuis mai 2000.

La banque centrale américaine a également annoncé qu’elle commencerait à réduire son bilan à compter de juin en s’abstenant de réinvestir le produit des obligations arrivées à échéance. En outre, La Fed s’est montrée confiante quant à sa capacité à faire refluer l’inflation sans avoir à relever ses taux de manière trop marquée.

Son président, Jerome Powell, a estimé qu’un relèvement de 50 pb serait approprié à l’occasion des deux prochaines réunions. Cependant, il a ajouté qu’un relèvement de 75 pb n’était pas vraiment une option. Il a également réaffirmé qu’un atterrissage en douceur de l’économie américaine était envisageable.

La banque d’Angleterre moins confiante

Contrairement au discours rassurant de Jerome Powell, même si ce dernier a souligné que la politique monétaire est un instrument grossier, la Banque d’Angleterre (BoE) s’est montrée moins confiante quant à sa capacité à éviter une récession.

Elle a relevé ses taux de 25 pb, à 1%, et elle a prévenu que l’économie britannique était susceptible d’entrer en récession cette année. La Fed et la BoE ont toutes deux annoncé que la lutte contre l’inflation risquait de nuire à l’économie.

Le marché du travail américain reste tendu

Les Etats-Unis connaissent toujours une situation de plein-emploi. Le sondage sur les créations d’emplois (The Job Openings and Labor Turnover Survey – JOLTS) a fait état d’un chiffre record de 11,5 millions de postes en mars.

Par ailleurs, le rapport sur l’emploi en avril a mis en évidence une augmentation des salaires de 0,3% en glissement mensuel et de 5,5% en glissement annuel. L’économie américaine a créé 428 000 emplois le mois dernier mais le taux d’activité est tombé à 62,2%, contre 62,4% en mars.

A quoi faut-il s’attendre?

Les banques centrales se livrent à un numéro de funambule qui consiste à resserrer suffisamment leur politique monétaire pour contenir l’inflation, sans pour autant engendrer une récession. Comme les marchés interprètent les données publiées et réévaluent leur progression, la volatilité devrait rester marquée.

Jerome Powell a rassuré les marchés en déclarant qu’il est convaincu de pouvoir orchestrer un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Néanmoins, les investisseurs peuvent rapidement basculer dans le scepticisme. Tant que les indicateurs économiques conforteront le scénario de la Recherche d’UBS d’une modération de l’inflation, la crainte d’une récession induite par la Fed devrait rester marquée. L’indice VIX, qui mesure la volatilité implicite des options sur le S&P 500, est supérieur à 30, un niveau qui correspond à des fluctuations journalières de l’ordre de 2%.

Décrue de l’inflation en vue ou pas?

Les investisseurs vont recentrer leur attention sur la publication de l’indice des prix à la consommation (IPC) en avril. La composante prix des biens de production de l’indice ISM non manufacturier en avril a atteint un sommet historique, alimentant ainsi la crainte que l’inflation n’ait pas encore atteint son point culminant.

Toutefois, on observe également que les prix de certains biens très demandés ont amorcé une décrue et que les effets de base devraient, dans les mois à venir, commencer à peser sur les chiffres de l’inflation en glissement annuel. Si tel est le cas, cela devrait favoriser une décrue du taux d’inflation globale et dispenser la Fed de relever ses taux bien au-delà de leur niveau neutre.

Des bénéfices solides

Dans l’ensemble, la saison des résultats du premier trimestre a mis en évidence la bonne tenue de la demande et un réel pouvoir de fixation des prix, ce qui devrait permettre aux entreprises de préserver leurs marges bénéficiaires.

Les déceptions notables concernent essentiellement les secteurs confrontés à des problèmes de chaîne d’approvisionnement (Apple, valeurs des semi-conducteurs), mais aussi les gagnants de la pandémie qui voient désormais les consommateurs se détourner d’eux (Netflix, Amazon) et les entreprises confrontées à une concurrence plus vive (Netflix, Google et Meta).

Près de 90% des entreprises du S&P 500 ont publié leurs résultats. 79% d’entre elles ont dépassé les prévisions de bénéfices, soit un peu plus que la moyenne des cinq dernières années (77%). Les bénéfices sont davantage corrélés à la croissance nominale qu’à la croissance réelle. En outre, même s’il faut rester attentifs aux signes d’érosion des marges et de ralentissement de la demande, la Recherche d’UBS table toujours sur une croissance du bénéfice par action (BPA) de 10% en 2022.

Se concentrer sur l’inflation et non pas sur la récession

Abstraction faite de la volatilité des marchés, la Recherche d’UBS n’est pas encore disposée à positionner les portefeuilles en opposition frontale avec la Fed, qui a bon espoir de réussir à orchestrer une modération de l’inflation et de la croissance en évitant une récession.

Les économies européennes plus vulnérables au renchérissement de l’énergie pourraient enregistrer un ralentissement économique plus marqué, mais les Etats-Unis sont un pays exportateur net d’énergie, ce qui les protège dans une certaine mesure. La situation financière des ménages, ainsi que des entreprises, est très bonne et les salaires augmentent.

Par conséquent, il est toujours recommandé aux investisseurs de se positionner dès aujourd’hui en fonction de l’inflation, bien réelle, plutôt que dans l’optique d’une possible récession à brève échéance.

Comment investir?

L’absence «d’instruments chirurgicaux de précision» dans la panoplie de la Fed, pour reprendre les termes de Jerome Powell, n’est pas étrangère à la volatilité qui met à rude épreuve la plupart des investisseurs. Cependant, rares sont ceux qui estiment que c’est dans la difficulté que l’on prend les meilleures décisions d’investissement.

Les investisseurs seraient donc bien avisés de définir une stratégie de liquidité pour faire face aux dépenses prévues sur un horizon de trois à cinq ans. Cela peut les aider à rester focalisés sur le long terme, à ne pas être obligés de vendre des actifs et à éviter de prendre des décisions sous le coup des émotions en période de volatilité.

Pour positionner les portefeuilles dans l’optique de son scénario central (modération de la croissance et de l’inflation, sans récession à la clé), la Recherche d’UBS privilégie toujours les pans du marché qui devraient surperformer dans un environnement marqué par une forte inflation.

  • Investir dans les valeurs décotées

Les valeurs décotées ont tendance à profiter de la hausse des taux réels. Depuis 1975, elles surperforment les valeurs de croissance lorsque l’inflation est supérieure ou égale à 3%.

Il est conseillé aux investisseurs sous-exposés aux valeurs décotées, après une longue période de sous-performance, de renforcer leurs positions à long terme sur les titres, sur les secteurs et sur les marchés qui présentent une valorisation raisonnable, notamment les valeurs internationales de l’énergie et les titres britanniques.

  • Couvrir les portefeuilles

Les matières premières affichent globalement de bonnes performances en période d’inflation et elles constituent, sans doute, une couverture efficace contre le risque géopolitique compte tenu de la possibilité de nouvelles perturbations de l’approvisionnement. Les matières premières, ainsi que les actions du secteur de l’énergie, font partie des rares actifs à enregistrer une performance positive depuis le début de l’année.

A court terme, le dollar peut encore probablement permettre de couvrir efficacement un portefeuille. Il profitera vraisemblablement de l’engouement pour les valeurs refuges (compte tenu de l’incertitude géopolitique et macroéconomique), de la hausse des taux d’intérêt réel aux Etats-Unis et du fait que les Etats-Unis sont un pays exportateur net d’énergie.

Une exposition accrue à des valeurs défensives comme celles de la santé peut contribuer à réduire la volatilité globale. Les valeurs pharmaceutiques résistent relativement bien à l’aversion au risque en général et leur valorisation semble raisonnable à l’heure actuelle.

  • Composer avec la forte inflation et la hausse des taux d’intérêt

Sur les marchés obligataires, certains titres présentent désormais une valorisation intéressante après la hausse des rendements ces dernières semaines. On décèle une opportunité dans les obligations à haut rendement à engagement environnemental, social et de gouvernance (ESG). La Recherche d’UBS affiche toujours une préférence pour les titres de créances non cotés comme les prêts de premier rang aux entreprises de taille intermédiaire.

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